Allégations de torture sur un journaliste en détention
Connu pour sa liberté de ton et ses reportages critiques à l’endroit des autorités en place au Rwanda, le responsable de la web-télé Ishema TV est emprisonné depuis le 11 novembre 2021 à la suite de sa condamnation en appel pour « agression, obstruction auprès d’agents des forces de l’ordre et exercice du journalisme sans carte de presse ».
Selon plusieurs témoignages, dont celui de la sœur du reporter qui lui a rendu visite le 10 juin 2022, Dieudonné Niyonsenga aurait subi à plusieurs reprises des violences physiques au sein de la prison de Nyarugenge, dans le secteur de Mageragere, à Kigali. Dieudonné Niyonsenga aurait montré à sa sœur les blessures liées aux violences subies et indiqué qu’il avait fait l’objet de « tortures sexuelles ». Nombre de dissidents sont détenus à la prison de Nyarugenge, au sein de laquelle les allégations de mauvais traitements et de torture sont régulièrement révélées.
Jusqu’à ce jour, ces allégations ne font l’objet d’aucune enquête de la part des autorités judiciaires rwandaises et ce en violation des obligations qui lui incombent en vertu du droit national et international relatif à la lutte contre la torture.
Les proches de Dieudonné Niyonsenga ont peur pour son intégrité physique et psychologique. En raison de l’absence de réaction des autorités rwandaises face à leurs responsabilités, l’ACAT-France exhorte le Rwanda à respecter ses obligations légales.
Mobilisons-nous auprès des autorités rwandaises pour leur demander d’enquêter sur les allégations de torture sur Dieudonné Niyonsenga !
- Téléchargez la lettre, personnalisez-la avec vos coordonnées et adressez-la à l'Honorable Dr. Emmanuel Ugirashebuja, Ministre rwandais de la Justice.
- Tweetez en mentionnant le compte @Rwanda_Justice, postez sur Facebook, faites-le savoir autour de vous !
Qui est Dieudonné Niyonsenga ?
Le journaliste Dieudonné Niyonsenga, plus connu sous le nom de Cyuma Hassan est né le 18 juin 1990. Ses reportages sur les victimes des injustices et des inégalités sociales au Rwanda sur sa chaine YouTube Ishema TV ont rapidement conduit à ce qu’il fasse l’objet d’une attention toute particulière des autorités au pouvoir et d’un début de harcèlements.
En février 2020, le journaliste avait affirmé publiquement sur sa chaîne YouTube avoir constaté des blessures sur le visage de Kizito Mihigo, célèbre chanteur rwandais militant pour la paix, lors de ses funérailles, mettant ainsi à mal la version du suicide en prison prôné par les autorités rwandaises.
Le reporter a été arrêté pour la première fois le 15 avril 2020 pour « non-respect des directives de confinement liées au COVID-19 » et utilisation d’une fausse carte de presse dans le cadre d’une « vague d’arrestations et d’abus liés au confinement ». Peu de temps auparavant, il avait mis sur sa chaîne YouTube un reportage dans lequel des habitants du quartier « Bannyahe » à Kigali témoignaient avoir fait l’objet, en mars 2020, de violences de la part de militaires rwandais en plein confinement (viols, bastonnades).
Suite à ce reportage, l’armée rwandaise a annoncé l’arrestation de cinq militaires « indisciplinés ». Selon les habitants de ce quartier, ces violences ne sont pas l’œuvre de militaires isolés mais s’inscrivent dans le cadre d’une politique de terreur visant à les expulser de terrains constructibles. Dieudonné Niyonsenga a ensuite été maintenu en détention pour « falsification de documents, exercice illégal de la profession de journaliste et entrave à des travaux publics ».
Le 12 mars 2021, après un peu moins d’un an de détention provisoire, le reporter a finalement été acquitté de toutes les charges pesant contre lui. Le juge de première instance a estimé qu’aucune accusation portée contre Dieudonné Niyonsenga n’était fondée et qu’il devait être libéré immédiatement. Le journaliste a été libéré le 13 mars. Le Comité de protection des journalistes (CPJ) a alors rappelé qu’il n’aurait jamais dû être arrêté.
Le 11 novembre 2021, près de 9 mois après son acquittement, Dieudonné Niyonsenga est condamné à sept ans de prison par la Cour d’appel de Kigali pour « falsification de documents, exercice illégal de la profession de journaliste, entrave à des travaux publics et humiliation d’officiels de l’Etat » et à une amende de cinq millions de francs rwandais (environ 4300 euros). Il est immédiatement arrêté à son domicile et mis en prison. Le 16 novembre 2021, le parquet a annoncé avoir déposé un 2ème appel dans l'affaire contre Dieudonné Niyonsenga afin de corriger une erreur le condamnant pour le « crime d'humiliation d’officiels de l’Etat », un crime qui a été abrogé en 2019.
Lors de son procès en appel sur l’irrégularité de la décision judiciaire, le détenu a dénoncé devant le juge les conditions cruelles et inhumaines de sa détention. Il a affirmé qu’il était dans une cave en isolement où ils subissaient les actes de tortures de toute sorte dont les bastonnades, coups et blessures. Lorsque son père lui a rendu visite en novembre 2021 à la prison de Nyarugengeà Kigali, il a été arrêté et mis en détention dans des conditions d’humiliation pour le seul fait d’avoir rendu visite à son fils. La maison du journaliste à Kigali a été rasée en mars 2022.
Contexte
La république du Rwanda est dirigée depuis 1994 par Paul Kagamé, chef du Front patriotique rwandais (FPR). Son gouvernement bénéficie d’un fort soutien international. Depuis que cette ancienne rébellion armée a pris le pouvoir au régime génocidaire, l’armée contrôle étroitement les espaces politique, économique et social en jouant sur la peur du retour des ex-génocidaires ayant fui dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC). Mais le long règne sans partage de Paul Kagamé et ses dérives autocratiques, notamment dans la gestion du conflit en RDC et dans la mise à l’écart d’opposants potentiels de son clan, engendrent des dissensions internes au sein du FPR et de l’armée. Les autorités s’attachent à donner une image exemplaire du pays et exercent pour ce faire un contrôle quasi complet de l’information. Pourtant, elles bafouent régulièrement les standards internationaux relatifs aux droits humains quand il s’agit de respecter les libertés d’expression et d’association. À l’approche des élections, le pouvoir a tendance à restreindre encore plus ces droits fondamentaux et n’hésite pas à user de la violence.
Pratiques de la torture
Le recours aux mauvais traitements et à la torture est relativement peu répandu envers les détenus lambda retenus dans le système de détention officiel. Il touche plus les personnes arrêtées illégalement et détenues au secret dans un premier temps. Les personnes considérées comme des adversaires du régime sont quasi systématiquement soumis à une répression pouvant aller jusqu’à la violence physique et l’assassinat. Les dissidents au sein du parti FPR, des forces militaires et des rébellions armées congolaises pro-Rwanda sont particulièrement ciblés par les brutalités. Les personnes qui critiquent publiquement les autorités ou tiennent un discours différent de celui du parti au pouvoir (journalistes, blogueurs, opposants et défenseurs des droits humains) sont réduites au silence, par des intimidations, des interpellations et parfois par des violences. Le Rwanda occupe le 136ème rang sur 180 dans le classement mondial 2022 de la liberté de la presse de RSF. Au moins 2 journalistes, 3 commentateurs et 16 militants de l’opposition sont actuellement emprisonnés au Rwanda pour avoir critiqué, notamment sur YouTube, le gouvernement et/ou dénoncé des violences passées ou récentes commises par les forces de défense et de sécurité rwandaises. La plupart de ces personnes ont été condamnées à l’issue de procès politiques.
Pour aller plus loin :
> « Fiche torture Rwanda »
> « Portait de Dieudonné Niyonsenga »
> « Rwanda : sept ans de prison pour un journaliste, RSF dénonce une condamnation lourde et aberrante »
> « Note de situation - Tortures et traitements inhumains de Cyuma Hassan Niyonsenga »