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Communiqué

Torture: quel bilan en 2019?

En 2019, la Convention contre la torture fête ses 35 ans. Aujourd’hui, elle compte 166 États parties dans le monde, un chiffre qui ne cesse de croître. Pourtant, la torture continue à être pratiquée dans de nombreux pays. De plus, elle semble plus acceptée et tolérée dans de nombreuses démocraties, y compris en France et en Europe, ce qui laisse penser qu’un retour de la torture n’est pas impossible. Le signe que la vigilance doit être accrue et que les moyens pour lutter contre la torture doivent être renforcés.
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Dans un rapport de 2018, le Rapporteur spécial sur la torture notait que la tolérance de l’opinion publique à l’égard de la torture dans le monde semblait gagner du terrain. C’est aussi le constat fait en France par l’ACAT. Selon un sondage réalisé par notre association en 2016, une proportion croissante de la population française (plus d’un tiers au lieu d’un quart dans un précédent sondage réalisé par Amnesty International en 2000) accepterait que les autorités publiques recourent à la torture dans certaines situations. 45% des personnes interrogées  considéraient la torture comme efficace pour prévenir des actes de terrorisme et obtenir des informations fiables. Certaines personnes interrogées s’affirmaient même prêtes à passer à l’acte elles-mêmes.

L’un des ressorts de cette évolution de l’opinion publique est l’idée que la torture est utile pour combattre le terrorisme et justifiée au nom de la protection des innocents. Tel est en tout cas le discours souvent véhiculé par certains Etats tel que les Etats Unis, la Russie ou le Brésil.

Pourtant, ces dernières décennies, le monde s’est doté d’un cadre institutionnel et normatif élaboré[1], visant à rendre effective et réelle l’interdiction universelle de la torture. Au titre de la Convention contre la torture, les États sont tenus d’ériger la torture en infraction, d’enquêter sur les violations, d’en poursuivre les auteurs et enfin d’offrir réparation aux victimes. Ils sont tenus de développer des plans d’actions et des politiques nationales, y compris des mesures de prévention, pour lutter contre ce fléau et d’en rendre compte au Comité d’experts indépendants, garant de la mise en œuvre de la Convention contre la Torture.  

Pourtant, la torture perdure.

Parce que la Convention n’a pas été universellement ratifiée.

Parce qu’entre autres, les codes pénaux nationaux ne reconnaissent pas tous la torture comme une infraction spécifique.

Parce que trop de gouvernements continuent d’accepter, comme preuves, des informations obtenues sous la torture, ce qui contribue à sa perpétuation.

Parce que l’absence de mécanismes indépendants d’enquête laissent la place à l’impunité pour les tortionnaires.

Parce que certains États, tout en ayant ratifié les traités internationaux de lutte contre la torture, continuent à avoir recours à des méthodes conçues pour ne pas laisser de traces.

Parce que de nombreux gouvernements, sous couvert de la lutte contre la criminalité, contre le terrorisme ou dans des « circonstances exceptionnelles », y ont impunément recours.

Parce que l’absence de bonne gouvernance et d’état de droit laissent la violence être la seule réponse à la résolution des conflits.

Parce que souvent les gouvernements n’allouent suffisamment pas de moyens pour mettre véritablement en œuvre des politiques de prévention et de lutte contre la torture. 

FOCUS PAYS

 

Le Vietnam  a par exemple ratifié la Convention des Nations unies contre la torture en 2015. Si cette avancée est un signe encourageant, les actes de torture contre les défenseurs des droits humains n’ont pas diminué pour autant. Au contraire, la répression et la criminalisation des défenseurs ne font qu’augmenter. Ceux-ci étant souvent accusés de crimes liés à la sécurité nationale, ils ne sont pas éligibles à la libération sous caution et sont détenus à l’isolement durant la période d’enquête, qui peut durer de nombreux mois.

La détention au secret facilite et perpétue des pratiques tortionnaires, allant du passage à tabac en vue d’extorquer des aveux à l’injection de produits psychotropes. En plus des violences physiques, les autorités pénitentiaires soumettent les défenseurs emprisonnés à des pressions psychologiques intenses, grâce à des tactiques ne laissant aucune trace ni cicatrice, toujours dans l’optique de les faire passer aux aveux. Dénoncer ces actes de torture peut valoir des représailles.

C’est le cas du jeune Nguyen Van Hoa, victime de torture et de mauvais traitements dès son arrestation en janvier 2017 et qui a osé porter plainte. Depuis, il a été tabassé et placé à l’isolement sans droit de visite.

En 2018, l’ACAT s’était associée à plusieurs organisations vietnamiennes et internationales de défense des droits humains et avait soumis deux rapports alternatifs, ayant pour objectif d’évaluer la mise en œuvre des engagements pris par le Vietnam concernant l’amélioration de la situation des droits humains depuis le dernier Examen périodique universel (EPU) de ce pays en 2014, et la ratification de la Convention contre la Torture en 2015.


Au contraire, au Mexique la Convention de l’ONU a été ratifiée de longue date et une nouvelle Loi générale contre la torture conforme aux standards internationaux est en vigueur depuis le 26 juin 2017. Pourtant, la torture y a plusieurs fois été qualifiée de pratique « généralisée » par des experts de l’ONU. Dans le cadre de la  « guerre » gouvernementale contre la délinquance organisée, priorité a été donnée à la « sécurité intérieure » sans contrôle réel des forces de l’ordre et de l’appareil judiciaire.

Policiers et militaires sont généralement responsables des épisodes de torture les plus sévères au cours des premières heures de l’arrestation, des transferts et de la détention. Dans de nombreuses affaires, des agents des ministères publics sont accusés d’avoir couvert des arrestations et des détentions arbitraires, torturé les détenus et fabriqué des preuves, procédé à des intimidations jusqu’à la présentation devant le juge. Plusieurs cas mettent  en évidence la complicité de juges qui n’ordonnent pas d’enquête en cas d’allégations de tortures, d’avocats commis d’office (liés au ministère public) qui couvrent ou taisent les atteintes aux droits de leurs clients.

Ces dernières années, l’ACAT s’est opposée et a dénoncé la militarisation de la sécurité intérieure et de la politique de « guerre contre le crime » ayant entraîné une aggravation de la pratique tortionnaire. Elle a pointé par ailleurs l’absence d’enquêtes et de poursuites pénales dans les affaires de torture, donnant lieu à une impunité quasi absolue pour ces crimes. Elle a aussi mis au jour le ciblage et les techniques spécifiques de torture à l’encontre de certaines catégories de personnes, tels que les femmes, les communautés autochtones, les migrants et les défenseur.e.s des droits humains. 


Ces quelques exemples ne font que démontrer une acceptation croissante de la torture. Si ces exemples nous renvoient à des réalités lointaines, la tolérance à la violence ne cesse de s’installer chez nous et chez nos voisins : et pour preuve, la crise d’accueil des migrants tout comme la montée de forces politiques qui prônent des pratiques contraire au respect des droits humains et à la Convention contre la Torture.

L’ACAT s’inquiète de ce constat et souligne la nécessité pour les États et toutes les parties prenantes d’être vigilants. Les États doivent fournir davantage de moyens et de mesures pour lutter contre la torture, en mettant en place des programmes de sensibilisation de l’opinion publique et de la jeunesse en particulier, en développant des mécanismes indépendants ayant des moyens réels pour pouvoir mener leurs missions et en investissant dans la formation du personnel de justice et pénitentiaire.

[1]Le cadre institutionnel et normatif s’étend des grands traités internationaux (ex: le  Statut de Rome)  aux  traités régionaux (Conventions inter américaine et européenne pour la prévention et la répression  de la torture)  en passant par un manuel pour enquêter efficacement sur les symptômes de torture, destiné aux médecins (le « Protocole d’Istanbul) 

 

Contact presse : Mariam Chfiri, 01 40 40 40 24, mariam.chfiri@acatfrance.fr

 

[1]. Le cadre institutionnel et normatif s’étend des grands traités internationaux (ex: le  Statut de Rome)  aux  traités régionaux (Conventions inter américaine et européenne pour la prévention et la répression  de la torture)  en passant par un manuel pour enquêter efficacement sur les symptômes de torture, destiné aux médecins (le « Protocole d’Istanbul) 

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