Le défenseur et intellectuel Lokman Slim assassiné
Alors que sa famille avait signalé sa disparition la veille, l’intellectuel et militant Lokman Slim a été retrouvé mort dans sa voiture de plusieurs balles dans la tête le 4 février 2021 dans le Sud Liban. Il était parti rendre visite à des amis dans le sud Liban et était reparti de chez eux dans la soirée. Ne le voyant pas revenir et n’arrivant pas à le joindre sur son portable, sa famille avait donné l’alerte de sa disparition sur les réseaux sociaux. Son téléphone a finalement été retrouvé à quelques centaines de mètres de la maison de ses amis alors que son corps et la voiture ont été retrouvés sur une route peu fréquentée une trentaine de kilomètres plus loin.
Après une première autopsie réalisée dans la ville du Sud Liban de Saïda, une deuxième expertise a été réalisée à Beyrouth, à la demande de la famille par un médecin de confiance. Aucune trace de torture ou de mauvais traitement n’a été relevé en dehors de 4 balles dans la tête et d’une dans le dos. L’enquête a été confié au procureur de la région, ce qui pose problème car les nominations à ce type de poste se font par cooptation politique. Pour cette raison la famille exprime de sérieuse réserve sur l'indépendance et l'impartialité de la justice libanaise.
Si son crime n’a pas été revendiqué, de nombreux regards se sont tournés vers le Hezbollah et ses alliés. Lokman, né d’un père chiite, était un ardent défenseur d’un Liban déconfessionnalisé et démocratique. Il s’était largement engagé dans le mouvement révolutionnaire de 2019 et était l’une des voix chiites les plus critiques du Hezbollah qui l’avait menacé à plusieurs reprises, à tel point que Lokman avait déclaré en décembre 2019 que s’il lui arrivait quelque chose, il fallait en tenir responsable Hassan Nasrallah et Nabih Berri, les leaders chiites respectifs du Hezbollah et du parti Amal.
Plusieurs pistes sont soulevées pour expliquer son assassinat. En janvier, il s’était appuyé sur un article d’investigation pour dénoncer la responsabilité du régime syrien et de ses réseaux d’influence, dont le Hezbollah, dans l’explosion du port de Beyrouth en août 2020. Une autre piste pointe vers sa participation à la tentative d’exfiltration d’un proche du Hezbollah impliqué dans des affaires blanchiment d’argent prêt à dévoiler l’affaire.
D’autres enfin soulèvent que cet attentat pourrait servir à marginaliser le Hezbollah et ainsi saboter les efforts internationaux pour constituer un nouveau gouvernement libanais. La nouvelle administration Biden présente en effet une position plus ouverte sur l’Iran, le sponsor international du Hezbollah, et la France appelait justement les Etats-Unis à ne pas exclure le parti chiite du processus politique libanais si l’on souhaite déboucher sur une solution politique.
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CONTEXTE
Lokman Slim et son épouse Monika Borgmann, avaient fondé l’ONG UMAM, dans leur propriété située en banlieue sud de Beyrouth, en plein fief du Hezbollah. L’une des missions d’UMAM étaient d’effectuer un travail de mémoire sur la guerre civile libanaise en développant un fond d’archives accessible à toutes et tous et en proposants une offre intellectuelle et artistique autour de la mémoire, de l’impunité et de la dignité humaine. Ensemble, ils avaient réalisé deux documentaires marquants, l’un sur le massacre de Sabra et Chatila et l’autre sur l’expérience de détenus de la prison de Palmyre durant la guerre civile syrienne. L’ACAT avait été en contact récemment avec UMAM concernant le projet MENA Prison Forum, une plateforme transdisciplinaire sur les questions en lien avec la détention et la torture dans le monde arabe. Lokman était également un amoureux de la littérature et avait fondé avec sa sœur écrivaine Racha Al-Ameer la maison d’éditions Dar Al-Jadid, reconnue pour sa qualité sur la scène culturelle arabe.
Son meurtre s’inscrit dans un contexte politique et économique particulièrement tendu. Six mois plus tôt, une importante quantité de nitrate d’ammonium explosait, ravageant plusieurs quartiers de Beyrouth à proximité du port de la ville. Cette catastrophe pointait du doigt l’incurie du régime oligarchique libanais dont la confiance et la crédibilité étaient déjà largement réduites. En effet le Liban continue de s’enfoncer dans une grave crise économique et monétaire depuis plus d’un an tandis qu’un mouvement de contestation de grande ampleur a débuté en 2019 face à l’incompétence répétée du système politique confessionnel libanais. Il convient de rajouter à cela la crise du Covid-19 avec ses conséquences sanitaires et économiques pour avoir une esquisse de la situation catastrophique dans laquelle le Liban se trouve actuellement.
La situation des droits humains est également préoccupante. Les forces de sécurité font un usage de la force disproportionnée face aux manifestants notamment durant les mouvements de contestations initiés en 2019 et les manifestations qui ont lieu depuis le début de l’année dans le nord du pays à Tripoli. Surtout, l’impunité et l’inefficacité du système judiciaire empêchent de poursuivre les responsables d’actes d’intimidations ou de violence à l’égard de militants ou personnalités publiques. Il en va de même concernant l’enquête portant sur l’énorme explosion dans le port de Beyrouth, où les recherches n’avancent pas. Plusieurs assassinats suspects – celle d’un photojournaliste présent sur les lieux de l’explosion et d’un officier des douanes – pourraient d’ailleurs être en lien avec cette affaire, sans que leurs enquêtes n’aient elles-mêmes progressées.