Rwanda
Appel à mobilisation

Rwanda. L’opposante Victoire Ingabire, privée de la liberté de circulation

Depuis la grâce présidentielle qui lui a permis de sortir de prison en septembre 2018, l’opposante Victoire Ingabire est privée de la liberté de circulation, et vit constamment surveillée au Rwanda. Elle ne peut pas sortir du territoire rwandais, et n’est pas autorisée à rendre visite à sa famille en Europe.
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Mobilisons-nous pour demanderla levée des restrictions de la liberté de circulation de Victoire Ingabire !

Téléchargez la lettre, personnalisez-la avec vos coordonnées et retournez-la par voie postale ou par voie électronique au ministre de la justice du Rwanda !

 

 

Qui est Victoire Ingabire ?

Victoire Ingabire Umuhoza est une opposante politique rwandaise. Elle est la présidente du parti non reconnu par les autorités rwandaises « Développement et Liberté pour Tous » également appelé « Dalfa-Umurinzi ». Il s’agit d’un parti d’opposition qui a pris le relai d’un précédent parti, « Forces démocratiques unifiées (FDU-Inkingi) », qui n’avait pas non plus eu l’autorisation de s’enregistrer, et de participer aux élections dans le pays.

Après avoir longtemps vécu aux Pays-Bas, Victoire Ingabire rentre au Rwanda en janvier 2010 où elle espère enregistrer son parti politique (FDU-Inkingi) et se présenter à l’élection présidentielle d’août 2010. Elle est arrêtée le 21 avril 2010 pour avoir affirmé qu’il fallait non seulement se souvenir des victimes du génocide des Tutsis, mais également des victimes hutues pour qu’une véritable réconciliation soit réalisée au Rwanda. Rapidement libérée, elle est assignée à résidence puis de nouveau arrêtée en octobre 2010. En octobre 2012, elle est condamnée en première instance, à 8 ans de prison. En mai 2013, un arrêt de la Cour suprême alourdit sa peine et la condamne finalement à 15 ans de prison. Après 8 années d’enfermement, dont 5 en isolement, Victoire Ingabire bénéficie en septembre 2018, comme plus de 2 000 autres prisonniers, d’une grâce présidentielle et retrouve la liberté.

Prisonnière dans son propre pays

Selon l’arrêté présidentiel n°131/01 du 14 septembre 2018 accordant la grâce à Victoire Ingabire Umuhoza, cette dernière doit « demander l’autorisation au ministre ayant la justice dans ses attributions chaque fois qu’elle veut se rendre à l’étranger ». Depuis bientôt 6 ans, Victoire Ingabire n’a jamais été autorisée à quitter le Rwanda. Elle a écrit à cinq reprises aux autorités rwandaises (6 mai 2019, 26 novembre 2019, 25 janvier 2022, 2 mai 2023, 23 avril 2024) pour demander l’autorisation de quitter le territoire, afin de se rendre en Europe visiter sa famille et pouvoir assister au mariage de son fils, à la naissance de son petit-enfant ou rendre visite à son mari gravement malade aux Pays-Bas. Dans son dernier courrier datant du 23 avril 2024, elle demande au ministre de la Justice une autorisation de quitter le Rwanda afin de rendre visite à son mari malade aux Pays-Bas, qui souffre du syndrome de Guillain-Barré. Elle ne l’a pas revu depuis janvier 2010. Toutes ces demandes sont restées sans réponse. Afin de recouvrer ses droits civiques, Victoire Ingabire a adressé une demande de réhabilitation. En mars 2024, la Haute Cour du Rwanda  a rejeté cette demande.

Une procédure devant la Cour de Justice de l’EAC

Considérant que la décision judiciaire la Haute Cour du Rwanda viole les obligations du Rwanda relatives au Traité de la Communauté de l’Afrique de l’Est (East African Community, EAC), qui exige que le Rwanda respecte les principes fondamentaux de la démocratie, de l’état de droit et des droits de l’Homme, Victoire Ingabire ouvre, le 30 avril 2024, une procédure judiciaire devant la Cour de Justice de l’EAC afin d’obtenir un jugement contre le refus de l’État rwandais de restaurer ses droits civiques. Pour les avocats de la plaignante, les autorités rwandaises, en refusant l’autorisation à l’opposante de pouvoir quitter le territoire rwandais et voir ses enfants et son mari à l’étranger, violent les articles 6(d) er 7 (2) du traité d’EAC.

La liberté de circulation, un droit garanti au Rwanda

La liberté de circulation est une liberté pour tout individu de se déplacer librement dans un pays, de quitter celui-ci et d'y revenir. L’article 13 de la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948 établit deux droits : « Toute personne a le droit de circuler librement et de choisir sa résidence à l’intérieur d’un État » et « toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays ». Selon l’article 26 de la Constitution du Rwanda révisée en 2015 « Tout Rwandais a le droit de se déplacer librement et de résider dans n’importe quel lieu du territoire rwandais. Tout Rwandais a le droit de quitter librement le Rwanda et d’y revenir. Ces droits ne peuvent être limités que par la loi pour des raisons d’ordre public ou de sécurité nationale, afin de parer à un danger public ou de protéger des personnes en péril ».

Pour l’ACAT-France, les autorités rwandaises empêchent intentionnellement Victoire Ingabire d'exercer son droit à la libre circulation.

Contexte

Victoire Ingabire Umuhoza est une opposante politique rwandaise. Durant le génocide des Tutsis au Rwanda, elle vit aux Pays-Bas. Elle commence ses activités politiques en 1997, en rejoignant le Rassemblement républicain pour la démocratie au Rwanda (RDR). Au sein de la diaspora rwandaise, elle tente de rassembler toute une série de groupes d’opposition, avec pour objectif de créer un mouvement d’opposition en capacité de lutter contre le Front patriotique rwandais (FPR), le parti au pouvoir au Rwanda depuis juillet 1994. En 2006, elle participe à la création des Forces démocratiques unifiés (FDU-Inkingi) – parti d’opposition non reconnu par les autorités rwandaises – dont elle devient la présidente.

Des propos polémiques sur un sujet tabou : les crimes du FPR

Après avoir vécu seize ans à l’étranger, elle décide de rentrer au Rwanda début janvier 2010 en vue de se porter candidate à l’élection présidentielle d’août 2010. Le lendemain de son arrivée, le 16 janvier 2010, elle visite le Mémorial du génocide des Tutsis de Kigali. À la fin de la visite, elle dépose une gerbe de fleurs et prononce un discours dans lequel elle demande que les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité perpétrés contre des Hutus par le Front patriotique rwandais (FPR) donnent lieu à l’ouverture de poursuites, et qu’un hommage soit rendu, lors des commémorations, aux victimes hutues tuées pendant la guerre. Il s’agit d’un sujet rarement débattu en public. Ses propos sont perçus par les autorités rwandaises comme prêtant à controverse. Victoire Ingabire est rapidement qualifiée par les médias proches du gouvernement de « négationniste » et de « divisionniste ». Une loi rwandaise promulguée en octobre 2008 érige en infraction « l’idéologie du génocide » dans des termes vagues et ambigus restreignant indûment la liberté d’expression.

Le 3 février 2010, Victoire Ingabire et son assistant Joseph Ntawangundi sont agressés à Kigali, alors qu’ils récupèrent dans un bâtiment gouvernemental, les documents requis pour l’enregistrement de leur parti. Le passeport de Victoire Ingabire est dérobé et Joseph Ntawangundi est roué de coups. En mars 2010, les autorités rwandaises l’empêchent de se rendre en Europe en raison d’enquêtes de police en cours. Pour les autorités rwandaises, certains propos tenus par Victoire Ingabire devant le Mémorial du génocide de Gisozi, le 16 janvier 2010, s’apparentent à une « négation du génocide » et relèvent du « divisionnisme ».

Une opposante condamnée pour avoir exercé son droit à la liberté d’expression

Victoire Ingabire est arrêtée le 21 avril 2010 à Kigali à l’occasion de sa sixième convocation par la direction de la police criminelle. Dans la même journée, elle comparait devant le tribunal de grande instance de Gasabo qui l’inculpe d’« idéologie du génocide », de « minimisation du génocide », de « divisionnisme » et de « collaboration avec une organisation terroriste » à savoir, les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), un groupe armé en activité dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC), composée en grande partie de Hutus rwandais. Ce groupe compte dans ses rangs d’anciens Interahamwe et soldats rwandais ayant pris part au génocide de 1994. Victoire Ingabire est accusée d’avoir rencontré des responsables des FDLR en RDC et d’avoir l’intention de former sa propre milice. Elle nie ces allégations et indique avoir assisté aux Pays-Bas à des réunions de « dialogue inter-rwandais » rassemblant des personnes issues d’ethnies et d’horizons politiques divers, dont des représentants du FPR et des participants soutenant les FDLR. Victoire Ingabire plaide non coupable pour l’ensemble des chefs d’accusation. 

Le 22 avril, le tribunal décide que Victoire Ingabire peut être remise en liberté à condition qu’elle ne quitte pas la capitale jusqu’à la fin de la procédure engagée contre elle. Elle est alors assignée à résidence. Le 14 octobre 2010, Victoire Ingabire est de nouveau arrêtée et placée en détention provisoire dans l’attente de son procès pour « idéologie du génocide », « discrimination et sectarisme », « propagation délibérée de rumeurs dans le but de monter l’opinion publique contre le pouvoir en place », « complicité dans des actes de terrorisme », « création d’un groupe armé », « recours au terrorisme, à la violence armée et à toute autre forme de violence en vue de porter atteinte aux pouvoirs établis et aux principes constitutionnels ».

Le 30 octobre 2012, elle est condamnée par la Haute Cour de la République à une peine de huit ans de réclusion pour « complot en vue de porter atteinte aux pouvoirs établis et aux principes constitutionnels en ayant recours au terrorisme, à la violence armée ou à toute autre forme de violence » et « minimisation flagrante du génocide » sur la base de ses relations présumées avec les FDLR.

Plusieurs organisations de défense des droits de l’Homme, dont Amnesty International, dénoncent de graves irrégularités ayant entaché le procès en première instance. Un observateur d’Amnesty International a suivi la quasi-totalité des audiences entre septembre 2011 et avril 2012. Lors du procès, « Amnesty International n’a constaté ni appel ni incitation à la violence ou à la haine ethnique dans les éléments de preuve présentés par le ministère public ». Avant le procès, les autorités rwandaises – notamment le président Paul Kagamé – ont fait des déclarations publiques sur la culpabilité de Victoire Ingabire. Affirmations qui ont posé des problèmes en termes de respect de la présomption d’innocence de l’accusée, et qui ont probablement eu un impact sur le procès et les juges. Au cours du procès, selon Amnesty international, « l’accusée n’a pas été traitée de manière équitable et impartiale. Les juges ont manifesté de l’hostilité et de la colère envers elle et ils l’ont régulièrement interrompue » lorsqu’elle se défendait. Le tribunal a examiné minutieusement les éléments de la défense sans en faire de même pour l’accusation. Aucune question n’a été posée au ministère public sur les éléments de preuves qu’il a fournis en ce qui concerne l’utilisation d’aveux de détenus au Camp militaire de Kami, extorqués sous la torture. Pour Amnesty International, Victoire Ingabire a « été traité injustement ». « Le procès en première instance a suscité différents sujets de préoccupation quant à son équité […] Victoire Ingabire n’aurait pas dû être condamnée pour avoir exercé de manière légitime et pacifique son droit à la liberté d’expression ».

Le 17 décembre 2012, Victoire Ingabire fait appel de la décision de la Haute Cour auprès de la Cour suprême.

Le 13 décembre 2013, elle est condamnée en appel à 15 ans de prison ferme pour « conspiration contre les autorités par le terrorisme et la guerre », « minimisation du génocide » de 1994 et « propagation de rumeurs dans l'intention d'inciter le public à la violence ». Au cours du procès, quatre témoins de l’accusation et un co-accusé révèlent que leurs témoignages, devant la Haute Cour rwandaise, contre Victoire Ingabire en 2012, avaient été obtenus sous la torture et été falsifiés.

Une opposante soutenue par la Cour africaine et le Parlement européen

En 2015, Victoire Ingabire interjette un appel devant la Cour africaine des droits de l’Homme et des peuples, accusant le gouvernement rwandais de bafouer ses droits. En mars 2015, le Rwanda se retire de la Cour africaine en arguant que les juridictions nationales sont tout à fait capables de traiter l’ensemble des affaires locales, ce qui n’empêche pas la Cour de poursuivre son travail sur cette affaire. Pour ne pas devoir répondre à la Cour, le Rwanda retire, le 29 février 2016, sa déclaration acceptant la compétence de la Cour africaine pour connaître des affaires soumises directement par les particuliers. Dans le même temps, les conditions de détention de Victoire Ingabire se dégradent. Elle est privée à partir d’avril 2016, de repas en provenance de l’extérieur adaptés à son régime alimentaire particulier et son certificat médical est invalidé. Au cours de sa détention, Victoire Ingabire reçoit à deux reprises le soutien du Parlement européen, qui adopte deux résolutions de soutien en mai 2013 et octobre 2016. En novembre 2017, la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples rend son verdict. Pour la Cour, la condamnation de Victoire Ingabire porte atteinte à sa liberté d’expression. Elle ordonne au Rwanda « de prendre toutes les mesures nécessaires pour rétablir la requérante dans ses droits ».

Une libération de façade dans une prison à ciel ouvert

En septembre 2018, Victoire Ingabire bénéficie d’une grâce présidentielle. Depuis sa libération, elle plaide en faveur d'une réforme de la gouvernance au Rwanda, à travers un dialogue inter-rwandais réunissant le gouvernement rwandais et ses voix dissidentes, afin qu'ils se mettent d'accord sur un nouveau cadre politique qui puisse garantir l’inclusion politique, le respect des droits de l’Homme et de l’état de droit, ainsi que le développement pour tous au Rwanda. En vue d’obtenir un jugement contre le refus de l’État rwandais de restaurer ses droits civiques, Victoire Ingabire ouvre le 30 avril 2024 une procédure devant la Cour de justice de la communauté de l’Afrique de l’Est (EACJ).

Depuis 2017, cinq membres de son parti sont morts ou portés disparus. Victoire Ingabire est régulièrement intimidée sur les réseaux sociaux, ce qui ne l’empêche pas de s’exprimer dans les médias internationaux. Aucun média rwandais ne peut lui donner la parole, sans faire l’objet de représailles de la part des autorités au pouvoir.

 

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