Cameroun
Appel à mobilisation

La justice ne doit pas oublier Jean-Jacques Ola Bébé !

Depuis que le présentateur radio et prêtre orthodoxe Jean-Jacques Ola Bébé a été retrouvé mort le 2 février 2023 près de son domicile à Yaoundé, aucune enquête judiciaire n’a été menée pour établir les responsabilités dans cet assassinat survenu onze jours après celui de Martinez Zogo, directeur de la station privée Amplitude FM. La justice camerounaise ne doit pas oublier Jean-Jacques Ola Bébé !
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La justice camerounaise ne doit pas oublier Jean-Jacques Ola Bébé !

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Qu'est-il arrivé à Jean-Jacques Ola Bébé ?

Plus de sept mois sont passés depuis l’assassinat de l’animateur radio et prêtre orthodoxe Jean-Jacques Ola Bébé, 41 ans, retrouvé mort le 2 février 2023 dans le quartier Mimboman à Yaoundé non loin de son domicile, alors qu’il enquêtait sur l’assassinat de son ami et ex-collègue, le journaliste Martinez Zogo, dont le corps supplicié avait été retrouvé le 22 janvier 2023, cinq jours après son enlèvement à Yaoundé. Depuis lors, aucune enquête judiciaire n’a été menée pour établir les responsabilités dans cet assassinat. Pourquoi la justice camerounaise a-t-elle oublié Jean-Jacques Ola Bébé ?

Le 7 février 2023, le Haut-commissariat aux droits de l’homme des Nations unies avait pourtant demandé publiquement aux autorités camerounaises « de veiller à ce que le meurtre d'Ola Bébé fasse l'objet d'une enquête indépendante, efficace et impartiale et que les responsables de [ce] meurtre, à tous les niveaux, soient tenus pour responsables ». Dix jours plus tard, le 17 février 2023, la Directrice générale de l’UNESCO, Audrey Azoulay, demandait à son tour publiquement une enquête : « Je condamne le meurtre de Jean-Jacques Ola Bébé. Je demande aux autorités d’enquêter sur ce crime et d’établir si celui-ci est lié à son travail de journaliste. Les responsables doivent être traduits en justice afin de faire respecter l'État de droit et de protéger les médias de la censure sous la menace ».

Les autorités camerounaises n’ont jusquà ce jour jamais communiqué sur le meurtre de Jean-Jacques Ola Bébé. Pourquoi ce silence ? Y a-t-il une enquête en cours ? Aucun indice ne le laisse réellement penser. Sa famille vit aujourd’hui dans la peur, tout comme les journalistes camerounais face à un potentiel crime d’État.

Dans sa dernière intervention télévisuelle, Jean-Jacques Ola Bébé émettait des doutes quant à la responsabilité de l’homme d’affaires Jean-Pierre Amougou Belinga dans l’assassinat de Martinez Zogo et posait ainsi, dans le débat public, la piste d’éventuels autres responsables dans cet assassinat. Un nouvel enregistrement audio de Jean-Jacques Ola Bébé de près de 45 minutes, rendu publique le 20 avril 2023 par le journaliste Jean-Bruno Tagne, pourrait établir un lien entre les deux assassinats, potentiellement des crimes d’État.

Contexte

Des journalistes camerounais qui vivent dans la peur

« Il ne fait pas bon être journaliste ou lanceur d’alerte au pays de Paul Biya. Tous ceux qui enquêtent sur la corruption des élites sont menacés, violentés, torturés et parfois tués, dans un silence assourdissant de la communauté internationale » ont écrit, en janvier 2023, les deux journalistes camerounais Chief Bisong Etahoben et Elizabeth BanyiTabi dans Afrique XXI.

Ces dernières années, nombre de journalistes camerounais ont fait l’objet de violences, certaines mortelles, d’arrestations arbitraires suivies de condamnations pénales abusives pour avoir exercé avec professionalisme leur métier.

Disparu le 7 août 2019, après avoir été transféré d’une installation militaire de Buea vers Yaoundé, le journaliste Samuel Wazizi est mort, semble-t-il, le 17 août 2019 à l’hôpital militaire de Yaoundé dans des circonstances encore non élucidées. Samuel Wazizi avait dit craindre des représailles du fait des critiques publiques envers les autorités à propos de leur gestion de la crise anglophone. L’ACAT-France a demandé, à de nombreuses reprises, qu’une enquête soit menée afin de faire toute la lumière sur son décès en détention. Dans cette affaire, les autorités camerounaises gardent le silence.

Dans la soirée du 9 au 10 mars 2022, le journaliste Paul Chouta a été enlevé à Yaoundé en pleine rue par trois hommes en tenue civile. Conduit dans une camionnette en périphérie de la ville, le journaliste a été frappé avec divers objets jusqu’à ce qu’il perde connaissance. L’ACAT-France s’est alors mobilisée en vain pour demander une enquête, qui n’a jamais été réellement effectuée. Au regard des circonstances de l’enlèvement et de l’assassinat de Martinez Zogo, l’enquête sur l’agression de Paul Chouta, laissé pour mort dans la nature, aurait pu être relancée, ce qui ne semble toutefois pas être le cas.

Deux journalistes anglophones sont encore aujourd’hui arbitrairement détenus à la prison centrale de Yaoundé pour avoir exercé leur liberté d’expression concernant la crise anglophone. Le journaliste Tsi Conrad est arbitrairement détenu depuis plus de six années. Il a été condamné à quinze ans de prison ferme, en mai 2018, pour avoir informé des premières manifestations de mécontentement des populations anglophones en octobre 2016 et leur répression. Son procès n’a pas été conforme aux règles du procès équitable, d’où le caractère arbitraire de sa détention. Mancho Bibixy est détenu en représailles à ses discours publics dénonçant la marginalisation économique et sociale de la minorité anglophone au Cameroun. Selon les Nations unies, sa détention qui dure depuis plus de six ans est arbitraire. Dans ces deux cas, les autorités camerounaises font fi du droit international et maintiennent ces deux journalistes en prison bien que leur détention soit arbitraire.

Absence d’enquête  véritable dans l’affaire Ola Bébé

« Rendre justice pour Martinez Zogo et Jean Jacques Ola Bébé adressera un message fort : ceux qui tuent des journalistes seront tenus responsables de leurs actes » affirmait Human Right Watch (HRW) le 10 février 2023. Le corps de Jean-Jacques Ola Bébé aurait été maintenu soixante dix jours à la morgue de l’Hôpital Central de Yaoundé pour besoin d’enquête. Cette information laissait pensé qu’une enquête était en cours concernant le meurtre de Jean-Jacques Ola Bébé. Pourtant, à aucun moment, les autorités camerounaises n’ont évoqué la moindre enquête sur cet assassinat. Lorsque le journaliste a été enterré le 28 avril 2023, sa famille n’a même pas eu le droit de recevoir copie des résulats de l’autopsie. La brève audition du journaliste Jean-Bruno Tagne au Secrétariat d’État à la Défense (SED) à Yaoundé suite à la diffusion le 20 avril 2023 d’un enregistrement audio de Jean-Jacques Ola Bébé pose question. « Le sous-lieutenant Moïse Bodo m’a interrogé sur la diffusion par Naja Tv d’audio posthumes du père Jean Jacques Ola Bébé au sujet de l’affaire de l’assassinat de Martinez Zogo. La principale préoccupation étant de savoir de qui notre média les a obtenus et pourquoi nous les avons diffusés » indique le journaliste Jean-Bruno Tagne, le 30 mai 2023. Les autorités camerounaises souhaitent-elles faire la lumière sur le meurtre de Jean-Jacques Ola Bébé ou s’intéressent-elles seulement aux témoignages qui circulent et notamment ceux des victimes ? Aux vues de l’opacité entourant les enquêtes sur les assassinats de Martinez Zogo et de Jean-Jacques Ola Bébé, force est de constater que la Justice au Cameroun a de grandes difficultés à travailler de manière indépendante et impartiale sur ces deux affaires, possiblement liées entre elles. Le 7 juillet 2023, un groupe de journalistes internationaux a publié une enquête détaillée sur l’assassinat de Martinez Zogo dans laquelle le meurtre de Jean-Jacques Ola Bébé est abordé.

Il se pourrait que Jean-Jacques Ola Bébé ait été assassiné parce qu’il enquêtait sur l’assassinat de Martinez Zogo, qui fut son ami et collègue au temps où ils travaillaient tous les deux à Amplitude FM. La veille, de son décès, Jean-Jacques Ola Bébé confiait à son épouse qu’il faisait l’objet d’une filature. Selon l’animateur à Mo'o Radio à Yaoundé et prêtre de l’église orthodoxe, il est possible que Martinez Zogo ait été piégé et tué par ceux qui lui avaient fourni des documents dans ses révélations sur les détournements de fonds public.

  • Justice et impunité