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Mexique. Une loi sur les disparitions … Et après ?

Depuis le lancement de la « guerre contre le crime » fin 2006, les disparitions se sont multipliées au Mexique. Les familles mènent le combat pour enquêter et rechercher les disparus tandis que les autorités tardent à se montrer à la hauteur.
Disparitions_forcées_Mexique

30 942… C’est le nombre de disparitions recensées en mars 2017 par le Registre national des personnes perdues ou disparues (RNPED) du Mexique. Ce chiffre est en constante augmentation depuis les débuts de la « guerre contre le crime organisé », selon la Commission nationale des droits de l’homme (CNDH), qui atteste de 474 % d’augmentation des cas de disparitions entre 2007 et octobre 2016.

Si ces chiffres officiels sont dramatiques, la réalité l’est plus encore. D’après plusieurs associations mexicaines, les parquets fédéraux  et des États fédérés n’ont pas communiqué au RNPED l’ensemble des données concernant les plaintes pour disparition. Par ailleurs, au vu des nombreux témoignages collectés, ces associations estiment qu’en moyenne seules 2 familles sur 10 portent plainte pour la disparition d’un proche, car elles ont peur pour leur sécurité et redoutent la collusion entre criminels et agents de l’État. Que dire encore des centaines de milliers de migrants, centraméricains pour l’essentiel, qui traversent chaque année le pays pour rejoindre les États-Unis ? Parmi eux, un nombre indéterminé disparaît sans que l’on connaisse leur identité et sans que leurs familles n’aient les moyens d’agir. Toutes les conditions sont donc réunies pour que les experts de l’ONU parlent d’un phénomène de disparitions « généralisé » au Mexique.

Incompétence et mauvaise volonté

Jusqu’à présent les autorités ont joué un jeu particulièrement trouble sur le sujet. Elles ont à peine reconnu l’ampleur du problème et systématiquement contesté la part dite « forcée » des disparitions, c’est-à-dire celles qui, selon la définition, sont commises par des agents de l’État ou « par des personnes ou des groupes de personnes qui agissent avec l'autorisation, l'appui ou l'acquiescement de l'État  ». Elles ont entretenu le flou en parlant de personnes « non localisées », « perdues » ou « disparues », mais toujours du fait des seuls criminels. Pourtant, l’augmentation des disparitions est principalement constatée dans les zones où il y a eu un renforcement des forces de l’ordre pour lutter contre les cartels. De même, bon nombre de personnes ont été vues pour la dernière fois alors qu’elles étaient arrêtées par des policiers ou des militaires. En 2013, l’ONG Human Rights Watch estimait disposer d’éléments de preuve tangibles concernant 149 disparitions « forcées », sur 250 cas étudiés. En janvier 2017, le Procureur spécial de Veracruz reconnaissait que les autorités avaient participé d’une manière ou d’une autre à au moins 60 % des disparitions dans cet État.

Alfredo López Casanova, artiste engagé et créateur de l'exposition Traces de mémoire, revient sur l'ampleur du phénomène des disparitions forcées au Mexique

 

Cette position ambiguë s’est traduite par la piètre qualité des démarches engagées pour retrouver les disparus et condamner les coupables. Bien souvent les plaintes ont été enregistrées pour d’autres infractions, comme « kidnapping » ou « traite de personnes », et elles ont rarement été suivies d’effets. Quand il y a eu enquête, les règles de base, comme la protection des proches, la diligence, la préservation des éléments de preuves, n’ont souvent pas été respectées, sans parler des tortures courantes pratiquées sur les prévenus. Dans certains cas, les autorités ont jeté l’opprobre sur les victimes, les accusant de liens supposés avec la délinquance organisée ou d’être parties volontairement sans prévenir. Elles ont demandé aux familles de considérer que leurs proches étaient morts, qu’ils ne pourraient être retrouvés et les ont exhortées à accepter un dédommagement financier. À l’arrivée, très rares ont été les inculpations pour disparition forcée, plus rares encore les condamnations.

Des familles longtemps livrées à elles-mêmes

Finalement, ce 27 avril 2017, les parlementaires mexicains ont adopté une nouvelle loi censée transposer les engagements pris avec la ratification de la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées  de mars 2008. Si cette nouvelle loi était correctement appliquée, elle pourrait contribuer à endiguer le fléau. Elle donne enfin une définition de la disparition forcée conforme aux standards internationaux et reconnaît le caractère permanent et imprescriptible de ce crime. Autre disposition majeure, la mise en place d’un système national de recherches qui croiseraient les différents registres (personnes disparues, personnes décédées non identifiées, fosses clandestines) et qui tiendrait compte des différentes catégories de populations concernées (migrants, enfants, disparition remontant à la « guerre sale » des années 70-80 ou postérieures).

Dans le contexte de ces dernières années, les familles ont enduré seules des souffrances permanentes, ignorant le sort réservé à leurs proches disparus, devenus des « ni morts ni vivants ». Des femmes ont dû aussi livrer des batailles éprouvantes pour récupérer des prestations sociales servant à compenser la perte de revenus des hommes disparus. Les familles ont mené elles-mêmes des enquêtes et des recherches. Elles y ont souvent perdu leur emploi, leurs économies et ont couru de grands dangers. Plusieurs y ont laissé leur vie.

María de Jesús Tlatempa, mère de l'un des 43 étudiants disparus d'Ayotzinapa, raconte son combat pour connaître la vérité et obtenir justice

 

Au fil des ans, elles se sont organisées collectivement. Aguerries face à la corruption et l’impunité, elles ont émis une liste de conditions à remplir à destination des parlementaires. Elles ont choisi de soutenir l’adoption récente de la nouvelle loi afin d’avancer dans la lutte contre les disparitions. Cependant, elles sont largement insatisfaites par le volet qui concerne les recherches. Elles regrettent en premier lieu que la future Commission nationale des recherches ne prévoit pas une autonomie de moyens suffisante, ainsi que le manque de clarté sur le pilotage des recherches entre l’État fédéral et les états fédérés. Elles s’inquiètent par ailleurs du manque de prise en compte de la responsabilité des supérieurs hiérarchiques dans les disparitions forcées. Seuls des changements rapides et des résultats performants de la part des autorités seront de nature à soulager, en partie, les victimes.

 

Deux cas de disparitions forcées soutenus par l'ACAT :

En juin 2011, huit hommes de la famille Muñoz ont été embarqués par un commando. Plusieurs témoignages laissent clairement penser qu’il s’agissait de policiers (une insigne visible, des communications par codes et radios à ondes courtes) mais les autorités ont toujours nié l’arrestation. Le procureur général de l’État a récemment déclaré qu’un seul des auteurs, lié au crime organisé, étaient en vie et détenu. L’ACAT poursuit les actions pour demander une enquête sérieuse pour disparition forcée.

En octobre 2012, un commando a forcé le domicile d’Adrián Favela Márquez et l’a embarqué avec son ami Adriel Ávila Barrios. Face à la voisine d’Adrián, qui est aussi sa tante, les hommes du commando se sont présentés comme des agents de la police judiciaire de l’État de Chihuahua. Pourtant, les autorités locales n’ont jamais reconnu détenir les deux hommes, et mènent une parodie d’enquête concernant une simple disparition. L’ACAT continue d’exiger une enquête pour disparition forcée et la saisine du dossier par le Parquet fédéral mexicain.

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