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Mexique
Actualité

Les populations autochtones face à la torture

A partir de la documentation de 98 cas sur dix-huit mois, l’ONG Frayba au Chiapas, partenaire de l’ACAT, publie un rapport qui rend compte des tortures à l'encontre des communautés autochtones et doit servir de support à un plaidoyer commun afin d’en finir avec ces pratiques.
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Les personnes et communautés autochtones du Mexique (21,5 % de la population), encore très largement discriminées et marginalisées (71,9 % vivent dans la pauvreté ou l'extrême pauvreté), sont surreprésentées parmi les victimes de torture et n'ont pas accès à des procédures équitables.

De janvier 2018 à juin 2019, l’ONG Frayba a documenté la torture de 98 victimes (95 hommes et 3 femmes) au Chiapas, et dans une moindre mesure, dans l’état voisin de Tabasco. 48 victimes ont indiqué appartenir à un peuple autochtone (Tseltal, Tsotsil, Tojolabal, Ch'ol et Zoque), les 50 autres sont métisses. Outre les méthodes de torture psychologiques et physiques, 12 – dont 8 autochtones – dénoncent des tortures sexuelles. 100 % des victimes autochtones ont déclaré que les menaces et les humiliations subies dans le cadre de la torture avaient systématiquement une connotation discriminatoire, se référant à leur identité, leur tenue vestimentaire, leur langue ou leur apparence physique.

Frayba fait le constat que ces épisodes de torture vont de pair avec une présence militaire et des incursions policières accrues, parfois en collusion avec des groupes criminels, dans les communautés autochtones. Dans une majorité des cas, les autorités recourent de façon disproportionnée à la force et procèdent à des arrestations arbitraires (sans mandat ni flagrant délit) sur la base de critères s’apparentant à du « nettoyage social » ou en représailles de revendications territoriales et environnementales. Les enquêtes ensuite menées par le ministère public se caractérisent également par l’obtention d’aveux ou de déclarations auto-incriminantes obtenus sous la torture.

Discrimination du système judiciaire

Les lois sur la prévention et l’éradication des discriminations ainsi que sur les droits linguistiques des peuples autochtones établissent une égalité de traitement qui oblige la mise à disposition d’interprètes dans les procédures en justice. Par ailleurs, la loi générale contre la torture prévoit des sanctions pénales plus lourdes lorsque les sévices perpétrés à l’encontre de personnes le sont en raison de leur appartenance à une minorité ethnique.

Malgré ces dispositions, les personnes autochtones n’ont pas accès à des procédures régulières et à une défense adéquate. Elles sont confrontées à un système judiciaire discriminatoire, étranger à leur culture et coûteux.

Détenues et poursuivies pénalement, elles font face à un manque de traducteurs et d’interprètes officiels en langues amérindiennes si bien qu’elles ne sont pas dûment informées. La plupart des avocats commis d’office sont dans l’incapacité de remplir leur mission parce qu’ils méconnaissent également la langue et la culture des accusés autochtones qu’ils ont à défendre. Cette situation permet à des agents du ministère public d’expédier des enquêtes à charge, y compris en passant sous silence des tortures commises lors de l’arrestation, voire en en perpétrant de nouvelles, et en faisant signer des documents dont le contenu échappe totalement aux accusés autochtones. Nombre de juges, enfin, ignorent les spécificités culturelles et les droits garantis pour les peuples autochtones et continuent de les condamner sur la base de preuves obtenues de manière illégale.

Ces discriminations sont à l’origine de nombreuses détentions préventives abusives et de condamnations injustes et excessives. Le Chiapas est l’un des 6 États qui comptent le plus de personnes autochtones en situation carcérale.

Le comportement de certains agents du Parquet spécialisé contre la torture au Chiapas n’apparaît pas plus exemplaire. La perspective interculturelle semble absente des enquêtes lorsque les victimes sont issues de communautés autochtones. Par ailleurs, plusieurs victimes ont indiqué que des agents, en collusion avec d’autres services du ministère public mis en cause pour des faits de torture, avaient tenté de les dissuader de porter plainte en échange d’une somme d’argent. Selon  Frayba, ces agents du parquet spécialisé agissent généralement de la sorte lorsque les personnes autochtones sont en situation de pauvreté, dépourvues d’accompagnement juridique et ne connaissent pas leurs droits en tant que victimes.

La double discrimination des femmes autochtones

La violence récurrente à l'égard des femmes mexicaines, liée à la société patriarcale et machiste, est plus criante encore envers les femmes autochtones qui subissent en somme une double discrimination. A la violence des forces de l’ordre peut s’ajouter celle des autorités communautaires. Les tortures auxquelles elles sont soumises intègrent le plus souvent une composante sexuelle (propos obscènes, menaces, attouchements, viols). Leur accès à la justice est plus compliqué encore.

Le Parquet spécialisé contre la torture au Chiapas n’intègre pas de perspectives sexospécifiques dans ses enquêtes, alors que cela permettrait de rendre visibles les réalités particulières de la victime ainsi que les relations de pouvoir vis-à-vis de ses tortionnaires.

La torture pour briser le tissu collectif et solidaire

La répression et la torture à l’encontre des peuples autochtones visent également à les dissuader de s’organiser et de porter des revendications quant à leurs cultures, leurs territoires et l’environnement.

Dans son rapport, Frayba constate un recours systématique à la force à l’encontre des mouvements sociaux autochtones et de leurs défenseur.e.s, et ce au mépris du respect des principes du droit international de légalité, de nécessité, de proportionnalité et de précaution.

Dans bien des cas, la torture infligée à une personne autochtone peut également être considérée comme une punition exemplaire adressée à toute sa communauté, et au-delà à l’ensemble des peuples autochtones du pays. La dimension communautaire de la torture ne renvoie pas seulement à la relation de la victime avec sa communauté, mais aussi à l'expression d'une stratégie de terreur contre une communauté en particulier, représentée par la victime.

Enfin, parce qu’elles sont détenues, souvent dans des prisons très éloignées, et parfois même stigmatisées par leur propres communautés, les victimes autochtones de torture, ainsi que leurs familles parfois, se retrouvent très isolées.  Les arrestations arbitraires et les détentions abusives des personnes autochtones contribuent progressivement à rompre le lien communautaire.

La lutte contre l'impunité menée par les survivants de torture et leurs familles se heurte à l'usure du temps et au manque de réponses adaptées. Cela contribue à la fragmentation du processus collectif et de soutien entre les victimes elles-mêmes.

Recommandations

Les autorités mexicaines doivent oeuvrer à la mise en place :

  • de garanties d'accès à la justice et à des procédures régulières pour les personnes et les communautés autochtones, et notamment à des interprètes et des défenseurs dûment formés pour les accompagner et les conseiller ;
  • d'enquêtes rapides, impartiales et exhaustives pour toute allégation de torture, en veillant à ce que les responsables soient condamnés et les victimes protégées par des mécanismes efficaces et culturellement adaptés ;
  • de mesures de réparation intégrale qui permettent la non-répétition des tortures et la transformation des causes structurelles à l’origine de ces violences.

 

 

Télécharger le rapport (en espagnol)

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