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« LE VIETNAM TRAVERSE UNE PÉRIODE NOIRE »

Pham Minh Hoang est professeur, blogueur et défenseur des droits humains francovietnamien. Ancien prisonnier de conscience, il s’est vu retirer sa nationalité vietnamienne par les autorités et a été expulsé en juin 2017. Il vit actuellement en France.
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Quelles sont les difficultés que rencontrent actuellement les activistes vietnamiens ?

PHAM MINH HOANG : Le Vietnam traverse une période noire. Ces derniers temps, les activistes des droits de l’homme ont dû faire face à de fortes pressions et intimidations de la part de la police, des arrestations arbitraires et de lourdes peines de prison. Au Vietnam, rien que pour avoir écrit un texte, on risque d’être emprisonné. Une fois les activistes arrêtés sous de faux prétextes, les périodes de détention provisoire peuvent être très longues. C’est le cas pour l’avocat Nguyen Van Dai, en détention sans procès depuis plus de deux ans [il a depuis été condamné à 15 ans de prison, ndlr]. Lorsqu’ils sont libérés les activistes peuvent avoir des difficultés à trouver un hébergement, car personne n’ose les loger à cause des pressions de la police. Beaucoup sont également ciblés par de violentes attaques perpétrées par des agents en civil. Par ailleurs, le pouvoir a commencé à expulser ceux qu’il estime représenter une menace potentielle. Ce fut le cas pour mon ami Dang Xuan Dieu et pour moi-même. Beaucoup de jeunes ont quitté le Vietnam pour l’étranger. Mais même là, ils ne sont pas à l’abri de la répression et préfèrent se garder de commenter la situation de leur pays.

Comment expliquez-vous le durcissement des autorités vietnamiennes depuis 2016 ?

P.M.H : L’arrivée du président Donald Trump à la Maison Blanche a levé tout mécanisme de pression sur le Vietnam. Les échanges commerciaux priment au détriment des droits de l’homme. Le Parti communiste vietnamien (PCV) au pouvoir est aussi en proie à des luttes internes, à la faveur desquelles chacun cherche à réaffirmer sa fermeté envers la dissidence. En 2017, les condamnations prononcées contre des activistes pacifiques ont été extrêmement sévères, allant jusqu’à 14 ans de prison, alors qu’il y a 5 ans, pour les mêmes chefs d’accusation, j’avais écopé de 3 ans de prison. L’augmentation du nombre de dirigeants conservateurs et pro-chinois a également participé à alourdir les condamnations. Il ne faut pas oublier le rôle de la catastrophe environnementale de Formosa dans le durcissement de la répression (voir encadré). Le PCV n’hésite pas à brutaliser et jeter en prison toute personne qui cherche à sensibiliser sur les dégâts causés et qui aide les victimes à obtenir réparation. C’est un sujet très sensible pour le parti.

Quelles sont les conditions de détention au Vietnam ?

P.M.H : Les détenus qui ne sont pas accommodants avec les autorités font l’objet de restrictions arbitraires sur leur accès aux médicaments, à la nourriture ou aux visites. Par exemple, les détenus disposent d’un droit de visite mensuel… à condition de ne pas être trop têtu ! Lorsqu’il était détenu, le militant Dang Xuan Dieu n’a pas pu recevoir de visite car il a toujours refusé de reconnaître sa culpabilité et de porter l’uniforme de prison. Il a également été placé à l’isolement. Les activistes peuvent aussi être abusivement transférés d’une prison à une autre. Les blogueuses Nguyen Ngoc Nhu Quynh (Me Nam) et Tran Thi Nga, toutes deux mères de jeunes enfants, ont été transférées à plus de 1 000 kilomètres de leurs familles. Les prisons se trouvent souvent dans des zones très reculées, et beaucoup de prisonniers sont abandonnés par leur famille. En ce qui concerne la nourriture, les familles doivent bien souvent amener elles-mêmes des colis de compléments pour améliorer le sort de leurs proches détenus. Par ailleurs, si la police se doit de transporter le détenu à l’hôpital en cas de graves soucis de santé, de nombreux cas sèment le doute sur le traitement des prisonniers. Je pense à mon ami Dinh Dang Dinh, un professeur condamné à six mines de bauxite. En prison, il a développé rapidement un cancer de l’estomac et a indiqué à sa famille avoir été intoxiqué. Il est mort peu de temps après. Je n’accuse pas le gouvernement de l’avoir empoisonné, mais ce sont des choses sur lesquelles il ne peut pas y avoir de contrôle indépendant puisque tout est verrouillé par le Parti.

Comment le public français peut-il soutenir concrètement les victimes vietnamiennes ?

P.M.H : Le Vietnam est un pays lointain, et pour certains en Europe, son nom évoque encore la guerre, même un demi-siècle plus tard. Très peu d’informations vous parviennent. Contrairement à d’autres États autoritaires qui frappent devant les caméras, le Vietnam agit à l’abri des regards et connait les limites à ne pas dépasser. Il casse une jambe, mais il ne coupe pas la tête. C’est grâce à cela que le pays a pu être membre du Conseil des droits de l’homme de l’ONU à plusieurs reprises. Il faut donc commencer par s’informer. Lorsque je tiens des stands d’information sur la situation des droits de l’homme, très peu de personnes s’arrêtent pour nous écouter. Mais je ne reproche rien aux Français, car c’est à mes compatriotes de réagir sans attendre. On ne peut pas demander aux autres de nous aider sans que l’on s’aide soi-même.

La crise de Formosa, catalyseur de la répression

Lorsqu’en avril 2016, la firme taïwanaise Formosa déverse des tonnes de déchets toxiques dans la mer, la catastrophe affecte quatre provinces et près de 10 millions de personnes. Ce scandale a entraîné d’immenses dégâts environnementaux et d’importantes pertes de revenus pour les pêcheurs des régions centrales du Vietnam. Depuis, l’entreprise taïwanaise a déboursé 500 millions de dollars de dédommagement, mais très peu de victimes ont pu toucher cet argent, notamment à cause de la corruption. Les autorités essaient d’étouffer le problème en verrouillant l’information et en empêchant toute mobilisation.


Propos recueillis par Jade Dussart, responsable des programmes Asie à l'ACAT

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