Un monde tortionnaire

Oman


Fiche publiée en 2014

Il existe peu d’informations sur le phénomène tortionnaire à Oman. Les ONG locales et internationales recensent régulièrement des cas d’arrestations et de détentions arbitraires pour des motifs politiques, mais font peu état de mauvais traitements et encore plus rarement de tortures.Malgré ce manque d’informations, les mauvais traitements et la torture ne sont pas des pratiques marginales et se sont intensifiées à partir de 2011, dans le cadre de la répression qui s’est abattue sur la contestation née dans la veine du Printemps arabe.

Contexte

La révolution omanaise n’a pas eu lieu et le sultan Qabous continue de régner sans partage plus de quarante ans après sa prise de pouvoir. Toutefois, cette monarchie de 3,3 millions d’habitants n’a pas été totalement épargnée par la vague du Printemps arabe. Dès le 17 janvier 2011, la jeunesse est descendue dans la rue pour dénoncer la corruption. Ce premier rassemblement, appelé « marche verte », a été suivi de nombreuses autres manifestations ou grèves, souvent sectorielles, revendiquant notamment la revalorisation des salaires, l’amélioration des conditions de travail et du marché de l’emploi et le renvoi des ministres et autres représentants de l’État coupables de détournement de fonds, en particulier de la rente pétrolière. Le soulèvement populaire, plus massif au printemps 2011, a continué de mobiliser travailleurs du secteur privé, agents publics, étudiants, chômeurs, journalistes et intellectuels tout au long de l’année et aujourd’hui encore, quoiqu’avec une moindre intensité. La réponse du sultan à ces multiples mouvements de protestation oscille entre réformes et vagues de répression. Il a procédé à un remaniement ministériel le 7 mars 2011, a consenti à une création d’embauches et à l’allocation d’une indemnité chômage. En parallèle, les forces de sécurité recourent à une violence excessive pour disperser les manifestants et effectuent de nombreuses arrestations dans leurs rangs. Des sites internet d’information ont été fermés ou piratés et des dizaines de protestataires, notamment des journalistes et des blogueurs, ont écopé de peines d’emprisonnement, allant généralement de six mois à un an et demi, pour diffamation contre le sultan, crime technologique ou participation à un rassemblement non-autorisé. En mars 2013, le sultan a gracié toutes les personnes condamnées sur ce fondement, mais ce geste d’apaisement n’a pas mis un terme aux arrestations.

Pratiques de la torture

Il existe peu d’informations sur le phénomène tortionnaire à Oman. Les ONG locales et internationales recensent régulièrement des cas d’arrestations et de détentions arbitraires pour des motifs politiques, mais font peu état de mauvais traitements et encore plus rarement de tortures. Malgré ce manque d’informations, les mauvais traitements et la torture ne sont pas des pratiques marginales et se sont intensifiées à partir de 2011, dans le cadre de la répression qui s’est abattue sur la contestation née dans la veine du Printemps arabe.

Victimes

D’après les données collectées par les défenseurs des droits de l’homme omanais et les organisations internationales, le phénomène tortionnaire touche principalement les manifestants, les défenseurs des droits de l’homme et les blogueurs témoignant de leur opposition au régime. Le 8 avril 2011, l’écrivain et défenseur des droits de l’homme Said Ben Sultan al-Hashimi et la journaliste Basma al-Rajhi ont été enlevés par une dizaine hommes cagoulés dont les tenues et le type de véhicule laissaient supposer qu’il s’agissait d’agent du renseignement (Service de sécurité intérieure). Ils ont été conduits dans le désert, ligotés, les yeux bandés, battus, soumis à un simulacre d’exécution puis abandonnés sur place. Said Ben Sultan al-Hashimi est connu pour ses prises de position en faveur de réformes institutionnelles et pour sa participation à des manifestations. Son engagement lui a valu d’être à nouveau arrêté par la police le 11 juin 2012 au cours d’un rassemblement pour la libération de prisonniers politiques et condamné à un an et demi de prison pour rassemblement illégal et entrave à la circulation.

Si les blogueurs et défenseurs des droits de l’homme sont victimes d’une forte répression, il apparaît que ce sont les simples manifestants qui subissent les agressions les plus graves, à l’exemple des jeunes protestataires dits de la « bande des explosifs » qui ont été arrêtés en avril 2011 après avoir pris part à des protestations sur la place de la Réforme. Accusés de posséder des explosifs et de fomenter une attaque contre les forces de sécurité et des bâtiments gouvernementaux dans le district de Sohar, ils ont tous été condamnés à deux ans et demi d’emprisonnement après avoir signé des aveux sous la torture. L’un d’eux, Khaled Hamid Moubarak al-Badi, arrêté le 6 avril 2011, a été sévèrement frappé sur les organes génitaux pendant son interrogatoire et souffre aujourd’hui encore des séquelles de ces sévices.

Les protestataires continuent à subir des violences politiques, en dépit de l’affaiblissement du mouvement populaire. Ainsi, le 29 juillet 2013, le blogueur Sultan al-Saadi a été arrêté par des membres du service de renseignement et détenu incommunicado* pendant vingt-trois jours pour être interrogé sur son activité sur Twitter. Il a été maintenu en isolement* cellulaire pendant toute sa détention et soumis à des mauvais traitements, notamment à l’obligation de porter un sac opaque sur la tête à chaque sortie de sa cellule.

Outre les abus et tortures infligés aux opposants et défenseurs des droits de l’homme en détention, les forces de sécurité se rendent aussi coupables de recours excessif à la force envers les manifestants. Deux d’entre eux ont ainsi été tués à Sohar, le 27 février 2011, lors de l’un des premiers rassemblements populaires, organisés pour réclamer la création d’emplois, la fin de la corruption et un remaniement ministériel. Les policiers anti-émeutes ont utilisé des balles en caoutchouc et du gaz lacrymogène pour disperser les quelque 2 000 manifestants réunis dans le centre ville. Ils les ont aussi frappés avec des matraques. Des dizaines de manifestants ont été blessés au cours du premier semestre 2011, au plus fort du soulèvement. Plus récemment, le 23 août 2013, les forces de sécurité ont à nouveau employé du gaz lacrymogène dans la ville de Liwa pour mettre fin à un rassemblement de protestation contre la pollution de la région.

Enfin, de nombreux migrants illégaux affluent dans le sultanat à la recherche de travail et sont pourchassés par les services de sécurité omanais. Chaque année, des centaines d’entre eux sont arrêtés, enfermés dans des centres de rétention surpeuplés et renvoyés vers leurs pays d’origine, malgré les risques de torture pesant sur une partie d’entre eux là-bas. Ils sont très nombreux à être expulsés vers le Yémen, l’Afghanistan, le Pakistan ou les pays de la Corne de l’Afrique, dans certains cas après s’être vus refuser l’asile par la Police royale chargée de l’examen des demandes.

Tortionnaires et lieux de torture

La plupart des mauvais traitements et des tortures ont lieu au cours de l’arrestation et de la détention provisoire par les agents du Service de sécurité intérieure ou des Forces spéciales, qui dépendent tous les deux du Bureau royal, chargé de la sécurité intérieure et extérieure du pays.

Les arrestations d’opposants politiques et de défenseurs des droits de l’homme se déroulent souvent la nuit. Hilal Aloui, un des leaders du mouvement de protestation, a été arrêté le 29 mars 2011 par des membres des Forces spéciales cagoulés et habillés en noir. Ces derniers ont fait irruption à son domicile de nuit en enfonçant les portes et ont pointé leurs armes sur son visage, ainsi que sur ceux de sa femme et de sa fille de six mois.

La personne arrêtée est ensuite détenue au secret ou incommunicado dans un poste de police ou une prison pendant plusieurs jours, voire plusieurs semaines, durant lesquels elle est souvent victime de mauvais traitements pouvant aller jusqu’à de la torture. Ahmed al-Shezawi, un manifestant, a été arrêté la nuit du 29 mars 2011 dans son foyer à Mascate. Détenu au secret pendant une semaine, il a été maintenu en isolement cellulaire et soumis jour et nuit à une privation de sommeil par la diffusion permanente de musique à un volume très élevé.

Les mauvais traitements se poursuivent parfois après la condamnation. Par exemple, le 3 avril 2013, le prisonnier politique Hilal Aloui a été roué de coups par des gardiens de prison de Smail puis placé en isolement.

Plusieurs opposants au régime ont été violemment agressés par des hommes non identifiés, soupçonnés par leurs victimes d’appartenir aux forces de sécurité. C’est ainsi que l’avocat blogueur Abdul Khaleq al-Maamari a été retrouvé inconscient à son domicile en septembre 2011, après avoir été passé à tabac par des inconnus au milieu de la nuit.

Les mauvais traitements perpétrés dans le cadre de la répression de manifestations sont essentiellement le fait de la Police royale omanaise, parfois assistée par l’armée.

Méthodes et objectifs

Il semble que dans la majorité des cas, les services de sécurité recourent aux mauvais traitements et parfois aux tortures pour punir les détenus politiques de leur engagement contre le régime ou pour les effrayer et les dissuader de poursuivre leur mobilisation.

Dans la plupart des cas recensés, les opposants qui ont raconté avoir été maltraités ou torturés ont été détenus au secret ou incommunicado et privés ainsi de tout contact avec l’extérieur. Ils ont généralement été maintenus en isolement cellulaire pendant plusieurs jours et, dans certains cas, soumis à un froid extrême, à des privations de sommeil, de nourriture et de soins, ainsi qu’à des humiliations et intimidations. Certains ont été insultés et obligés de revêtir une cagoule ou un sac chaque fois qu’ils sortaient de leur cellule, comme le manifestant Hamud al-Rashidi, arrêté avec huit autres personnes le 31 mai 2012 au cours d’un rassemblement critiquant l’absence de réforme par le gouvernement et placé en isolement pendant six semaines. Il a ensuite été condamné à six mois d’emprisonnement pour avoir diffamé le sultan.

Plusieurs victimes ont rapporté avoir été menacées de mort et battues sur tout le corps au point, pour certaines, d’en garder de graves séquelles. Les défenseurs des droits de l’homme omanais ont rapporté quelques cas dans lesquels des manifestants avaient été torturés en détention pour signer des aveux.

Législation et pratiques judiciaires

Condamnation juridique de la torture

Oman n’est pas partie au Pacte international relatif aux droits civils et politiques ni à la Convention contre la torture ni à la Convention relative au statut des réfugiés.

Les dispositions du droit national relatives à la torture sont insuffisantes par rapport aux standards internationaux. L’article 20 de la Constitution éditée par le sultan le 6 novembre 1996 dispose que « nul ne sera soumis à la torture physique ou psychologique, à des traitements d’intimidation et d’humiliation et toute personne coupable de tels délits sera punie conformément à la loi. Toute déclaration ou confession obtenue sous la torture ou par intimidation ou humiliation ou la menace de ces actes est considérée comme nulle ». L’article 22 ajoute qu’« il est interdit de nuire à la santé mentale ou physique d’un accusé ». La Constitution renvoie donc à la loi pour la définition des peines. Or, la loi ne sanctionne pas directement la torture ni les mauvais traitements, seulement les coups administrés par un agent de l’État. Selon l’article 181 du Code pénal, « est puni d’une peine de trois mois à trois ans tout fonctionnaire ayant asséné des coups dont l’intensité dépasse ce qui est légal pour établir un crime ou obtenir des informations à son propos ». La peine encourue est faible et l’infraction est définie de manière restrictive dans la mesure où elle prend seulement en compte deux objectifs en matière de violence. De plus, l’article fait implicitement référence à des coups qui pourraient être infligés légalement selon leur intensité, sans plus de précision. Il s’agit ici d’une légalisation d’une certaine forme de mauvais traitements, illégale au regard du droit international.

L’article 41 de la loi de procédure pénale dispose que le détenu doit être traité d’une manière qui garantit le respect de son honneur et qu’il ne doit pas être soumis à des intimidations, contraintes, incitations ou à des comportements indignes dans le but de lui extorquer des déclarations ou de l’empêcher d’en faire au cours de l’enquête préliminaire ou du procès. Ici encore, la loi ne mentionne pas la torture et n’interdit que les brutalités exercées dans des buts strictement définis. De plus, elle ne sanctionne pas ces comportements et renvoie donc nécessairement au Code pénal.

Poursuite des auteurs de torture

En 2008, le sultan a institué une commission nationale des droits de l’homme qui a notamment pour mandat d’inspecter les lieux de détention du pays. La dernière visite, effectuée dans la prison de Samail, remonte au 2 avril 2013. La Commission n’en a présenté qu’un bref compte rendu sur son site.

Les autorités judiciaires ont ponctuellement annoncé avoir diligenté des enquêtes concernant des allégations de torture ou de mauvais traitements, comme dans le cas de l’agression subie par Said Ben Sultan al-Hashimi et Basma al-Rajhi le 8 avril 2011, sans communiquer aucun résultat.

 

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