Un monde tortionnaire

Mauritanie


Fiche publiée en 2011

Héritage des gouvernements dictatoriaux successifs, la torture est largement utilisée autant à l’encontre des détenus de droit commun que des personnes arrêtées pour des raisons politiques. Elle est particulièrement utilisée comme méthode d’enquête : des cas de tortures et de mauvais traitements sont régulièrement signalés pendant les périodes de garde à vue, qui peuvent durer quinze jours « en cas de crime ou délit contre la sûreté intérieure ou la sûreté extérieure de l’État ».

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Mise à jour 2021 : pour aller plus loin, retrouvez l'éclairage pays consacré aux conditions de détention en Mauritanie, publié dans la 6ème édition de notre rapport Un monde tortionnaire en 2021.

Contexte

Depuis son indépendance en 1960, la République islamique de Mauritanie a vu défiler des régimes civils ou militaires autoritaires, issus pour la plupart de coups d’État. En août 2005, après plus de trente ans à la tête de ce pays, le président Maaouyia Ould Taya – arrivé lui-même au pouvoir à la faveur d’un putsch – est renversé par un coup d’État militaire. La junte en place engage alors une transition démocratique, marquée par l’adoption en juin 2006 d’une nouvelle Constitution et par l’élection en mars 2007 de Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi comme président de la République, à l’issue d’un scrutin qualifié de libre et transparent par les observateurs internationaux. Mais, en août 2008, à la suite de dissensions entre le chef de l’État et certains responsables militaires, Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi est chassé de son poste par le général Mohamed Ould Abdel Aziz. Après une longue période d’instabilité constitutionnelle, ce dernier démissionne de l’armée en avril 2009 pour se présenter à l’élection présidentielle de juillet 2009. Les résultats du vote, contestés par les principaux partis d’opposition et aussi par la Commission électorale nationale indépendante, ont donné l’ancien militaire vainqueur. Né dans le sillage des révolutions arabes avec une première manifestation le 25 février 2011, le mouvement dit de «la jeunesse du 25 février» a organisé depuis plusieurs rassemblements pour réclamer des réformes économiques, sociales et politiques, dont la baisse du prix des denrées de base, et la démission du gouvernement actuel.

Pratiques de la torture

Héritage des gouvernements dictatoriaux successifs, la torture est largement utilisée autant à l’encontre des détenus de droit commun que des personnes arrêtées pour des raisons politiques. Elle est particulièrement utilisée comme méthode d’enquête : des cas de tortures et de mauvais traitements sont régulièrement signalés pendant les périodes de gardes à vue, qui peuvent durer quinze jours « en cas de crime ou délit contre la sûreté intérieure ou la sûreté extérieure de l’État ».

Victimes

Les personnes arrêtées pour des infractions de droit commun, comme le vol ou le trafic de drogue, représentent les principales victimes de torture. Les plus pauvres d’entre elles, sans famille puissante, ni liens tribaux, ni réseaux d’influence, sont particulièrement exposées aux mauvais traitements. Depuis 2003, plusieurs dizaines d’islamistes avérés ou présumés, dont des imams et des dignitaires religieux, et des personnes taxées de liens avec al-Qaïda pour le Maghreb islamique (AQMI) ont été arrêtées au nom de la « lutte contre le terrorisme » et ont systématiquement subi des actes de torture. En août 2009, Taher Ould Biyé, islamiste supposé, s’est par exemple plaint des mauvais traitements qu’il a subis en détention, à l’instar d’autres prisonniers salafistes (fondamentalistes sunnites) de la prison centrale de Nouakchott, capitale du pays. De même, les trois ressortissants maliens Sidi Ould Sidina, Maarouf Ould Haiba et Mohamed Ould Chabarnou, suspectés d’appartenance à AQMI et accusés du meurtre de quatre ressortissants français le 24 décembre 2007, ont été condamnés à mort par la Cour criminelle de Nouakchott le 25 mai 2010, sur la base d’aveux qui auraient été arrachés après de longues séances de torture, d’après les déclarations qu’ils ont faites à Amnesty International et à leurs avocats. Officiellement en vigueur, la peine capitale n’est plus appliquée depuis 1987 dans le pays. Sous prétexte de cette « lutte antiterroriste », de nombreux membres de l’armée accusés de tentative de coup d’État sont aussi arrêtés et victimes de sévices. Les personnes qui contestent publiquement le pouvoir en place sont également concernées. À la suite du putsch militaire d’août 2008, les forces de sécurité ont ainsi fait un usage excessif de la force pour réprimer plusieurs manifestations pacifiques exigeant la restauration de l’ordre constitutionnel. Ainsi, le 19 avril 2009, de nombreuses femmes, dont l’ancienne ministre de l’Éducation Nebghouha Mint Mohamed Vall, qui avaient organisé un sit-in devant le siège des Nations unies à Nouakchott pour dénoncer des risques de dérive politique, ont été frappées à coups de pied, de matraque et de ceinturon par des policiers. L’une d’entre elles, Chicha Mint Benna, fille du président du Parti travailliste mauritanien (PTM), a perdu connaissance et a dû être hospitalisée.

Les défenseurs des droits de l’homme courent aussi le risque d’être maltraités et torturés. Par exemple, le 2 avril 2009, Boubacar Ould Messaoud, membre de la Commission nationale des droits de l’homme (CNDH) et président de l’association SOS-Esclaves, ainsi que plusieurs parlementaires, ont été passés à tabac par des agents de police lors d’une marche non violente contre la tenue prévue d’une élection présidentielle le 6 juin 2009. Pris pour cible par un groupe de quatre policiers, le militant a été mis à genoux, assommé avec une matraque, puis roué de coups et traîné vers le coffre d’une voiture banalisée. Des passants ont alors reconnu Boubacar Ould Messaoud, alerté la foule et réussi à faire fuir ses agresseurs. De même, Biram Ould Dah Ould Abeid, président de l’ONG Initiative pour la résurgence du mouvement abolitionniste en Mauritanie (IRA), non reconnue par le gouvernement, a été matraqué par des employés du commissariat de la commune d’Arafat le 13 décembre 2010. Il avait mis au jour un cas présumé d’esclavage concernant deux filles mineures et protesté contre les conditions d’audition des ces dernières par le commissaire. Blessé à la tête et au genou, Biram Ould Dah Ould Abeid a dû recevoir des soins médicaux.

Enfin, selon l’Ordre national des avocats de Mauritanie, la torture est monnaie courante dans les prisons. Les détenus soupçonnés de vouloir s’évader sont continuellement battus, enchaînés aux pieds et aux bras, tandis que les autres peuvent faire l’objet de coups et de mauvais traitements.

Tortionnaires et lieux de torture

Les auteurs de torture appartiennent à la Police nationale, à la garde nationale et à la gendarmerie. Les officiers de police judiciaire (OPJ), placés sous la tutelle du ministre de l’Intérieur et chargés de constater les infractions à la loi pénale, de rassembler les preuves et de rechercher les coupables, recourent fréquemment aux mauvais traitements et aux actes de torture. D’autres directions de la Police nationale sont également accusées de faire un usage routinier de la torture, principalement la Direction de la surveillance du territoire et la Direction de la sûreté de l’État, qui lutte notamment contre le terrorisme. La garde nationale, dépendante du ministre de l’Intérieur, assure la surveillance des prisonniers et la sécurité des établissements pénitentiaires et des autres installations gouvernementales. Ses agents peuvent aussi intervenir à la demande des autorités régionales pour rétablir l’ordre public lors d’émeutes et de troubles importants. Les agents de la gendarmerie nationale, sous l’autorité du ministre de la Défense nationale, exercent des missions de maintien de l’ordre public et de police judiciaire en zone rurale. La majorité des sévices est commise dans des lieux de détention officiels (commissariats de police, postes de gendarmerie, établissements pénitentiaires comme ceux de Dar Naïm à Nouakchott et de Nouadhibou, au nord-ouest du pays), dans des installations policières ou militaires (casernes de gendarmerie, écoles et compagnies de police, locaux de la marine, siège de l’état-major de l’armée, Direction de la sûreté du territoire), mais aussi dans des lieux non officiels comme des domiciles privés. Il semblerait par ailleurs exister une équipe spécialisée dans la torture, dont les membres, cagoulés pour ne pas être identifiés, s’en prennent particulièrement aux islamistes présumés. Enfin, des agents des forces de sécurité marocaines auraient aussi participé aux sévices infligés à des personnes suspectées d’islamisme, au cours d’interrogatoires, ce qui implique une coopération interétatique.

Méthodes et objectifs

Les techniques de torture recensées en Mauritanie comprennent notamment l’immobilisation des détenus dans des positions qui les contorsionnent douloureusement, en particulier celle du « jaguar », où ils sont suspendus à une barre de fer la tête en bas ; les coups et les bastonnades à l’aide de divers objets (bâtons, câbles électriques, bouts de bois, tuyaux d’arrosage, cordes tressées...); les décharges électriques, surtout sur la plante des pieds; l’introduction de cigarettes allumées dans le conduit des oreilles; les violences sexuelles, comme l’introduction de matraques, de bâtons et de morceaux de bois dans l’anus; l’arrachage des cheveux et des poils, technique utilisée principalement contre les islamistes présumés; la torture psychologique*, notamment avec des menaces d’abus sexuels et de viols formulées contre les mères et les sœurs. Dans certains cas, les séances de torture surviennent la nuit et s’accompagnent d’une forme de cérémonial avec des airs chantés par les bourreaux. L’interdiction de communiquer, sauf à son avocat, que peut prescrire un juge d’instruction à un inculpé pour une période de quinze jours renouvelable une fois, peut s’assimiler à de la torture psychologique.

La détention au secret* prolongée – sans accès à la famille, à un avocat ou à un médecin –, qui serait couramment employée contre les islamistes présumés ou accusés d’après leurs témoignages ainsi que ceux de leurs proches, relève aussi de la torture psychologique. Le 23 mai 2011, 13 personnes condamnées pour terrorisme et détenues à la prison civile de Nouakchott ont ainsi été transférées dans un endroit inconnu. Aucune information sur leur sort et sur leur lieu de détention n’avait été communiquée en juillet 2011. Mal rémunérés, mal formés et peu équipés, les policiers recourent aux sévices pour soutirer des aveux et établir la culpabilité d’un suspect ou pour obtenir des informations permettant d’identifier d’autres suspects. Ces témoignages arrachés sous la contrainte constituent des éléments de preuve au niveau des tribunaux, même en cas de rétractation des victimes, contrairement aux dispositions légales. Les membres de la garde nationale se servent des mauvais traitements et de la torture pour humilier et punir les prisonniers à la suite de tentatives d’évasion avérées ou présumées, en cas de querelle entre détenus ou simplement au gré de leur arbitraire. Lorsqu’ils sont dotés des fonctions de police, ils y recourent pour réprimer les manifestants.

Législation et pratiques judiciaires

Condamnation juridique de la torture

La Mauritanie est partie à plusieurs instruments régionaux et internationaux prohibant le recours à la torture, notamment la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques. La Constitution mauritanienne, en son article 13, condamne « toute forme de violence morale ou physique ». Le Code pénal ne prévoit pourtant aucune sanction spécifique pour les actes de torture commis par les agents de l’État dans l’exercice de leurs fonctions et dispose seulement : « Lorsqu’un fonctionnaire ou officier public, un administrateur, un agent ou un préposé du gouvernement ou de la police, un exécuteur des mandats de justice ou jugements, un commandant en chef ou un sous-ordre de la force publique aura, sans motif légitime, usé ou fait user de violence envers les personnes dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions, il sera puni selon la nature et la gravité de ces violences ».

Le Code de procédure pénale, révisé en 2007, interdit aussi le recours à la torture et énonce en son article préliminaire que « l’aveu obtenu par la torture, la violence ou la contrainte n’a pas de valeur ». Selon l’article 58, « toute personne privée de liberté [...] doit être traitée conformément au respect de la dignité humaine. Il est interdit de la maltraiter moralement ou physiquement ou de la détenir hors des lieux prévus légalement à cet effet. »

Par ailleurs, le Code pénal, qui combine le droit dit « moderne » et le droit musulman, comporte des sanctions prévues par la charia caractéristiques de mauvais traitements ou d’actes de torture, comme les Qisas (loi du talion, par laquelle la famille ou le clan peut demander que le coupable subisse le même traitement que celui infligé à sa victime) et les Hudud (punitions prescrites par le Coran qui incluent la peine de mort, l’amputation et la flagellation), parfois prononcées mais jamais exécutées.

Poursuite des auteurs de torture

En cas d’allégations d’atteintes aux droits de l’homme, le tribunal administratif est compétent pour recevoir des plaintes individuelles de civils et plusieurs départements ministériels et institutions ont le mandat d’enquêter sur ces affaires. Il s’agit notamment du Commissariat aux droits de l’homme, à l’action humanitaire et aux relations avec la société civile, du Médiateur de la République et de la CNDH, organisation indépendante créée le 12 juillet 2006, dotée de l’autonomie administrative et financière et autorisée en particulier à visiter tous les lieux de détention à l’improviste. Dans les faits, l’impunité des agents de l’État soupçonnés de torture est totale en Mauritanie. Les gouvernements successifs ont toléré, cautionné et même encouragé cette pratique. Prêts à reconnaître le recours aux mauvais traitements et à la torture de la part de leurs prédécesseurs, les pouvoirs publics n’ont entrepris aucune réforme importante du fonctionnement des forces de sécurité et n’ont, à ce jour, poursuivi aucun de leurs membres pour de tels crimes. Le 27 septembre 2009, la chaîne de télévision al-Jazeera a montré des images d’agents de la garde nationale en train de frapper violemment et de soumettre au waterboarding* un détenu salafiste condamné pour terrorisme, Khadim Ould Semane, dans la prison de Nouakchott. La chaîne a aussi diffusé une interview du prisonnier, où il évoquait les décharges électriques que ses codétenus et lui avaient reçues. Les autorités ont évoqué une mise en scène et n’ont pas diligenté d’enquête.

L’indépendance du pouvoir judiciaire, inscrite dans la Constitution (article 89), ne résiste pas en pratique à l’emprise du pouvoir exécutif, chargé de la nomination des juges. Peu formés et sous-payés, les magistrats sont susceptibles de céder à la corruption et aux pressions sociales et ethniques. De fait, l’appareil judiciaire n’a pas son mot à dire sur les exactions perpétrées par les forces de sécurité. Les tribunaux et les juges d’instruction refusent même d’examiner les plaintes pour torture déposées par des prisonniers. Et les procureurs ne pratiquent pas le contrôle régulier et systématique des lieux de garde à vue prévu par la loi.

En général, les victimes de torture refusent de porter plainte, soit par méfiance envers la justice, soit par peur des représailles. Les quelques plaintes adressées aux pouvoirs publics ne donnent lieu à aucune enquête sérieuse et sont immédiatement réfutées. Par une lettre datée du 27 avril 2009, la Mauritanie a par exemple indiqué au Rapporteur spécial* sur la torture que les allégations relatives à l’agression de Boubacar Ould Messaoud au cours de la manifestation non autorisée du 2 avril 2009 étaient inexactes. Selon elle, la victime faisait partie d’un groupe d’individus qui a été sommé de quitter la voie publique conformément aux lois et textes préservant l’ordre public et n’a déposé aucune plainte pour agression ou enlèvement.

 

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