Kazakhstan
Fiche publiée en 2011
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Contexte
L’ancienne République socialiste soviétique vit sous un régime autoritaire et corrompu dirigé par Noursoultan Nazarbaïev. Président depuis l’indépendance en 1991, il a été réélu avec 95,5 % des voix en avril 2011 lors d’une élection anticipée, boycottée par l’opposition et jugée non démocratique par les observateurs de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE). Son parti, Nour-Otan (Lumière de la patrie), contrôle la totalité des sièges du Parlement. Autorisé à briguer le mandat de chef de l’État autant de fois qu’il le souhaite grâce à une réforme de la Constitution adoptée par des députés aux ordres en juin 2007, Noursoultan Nazarbaïev s’est aussi fait proclamer Elbassy (Leader de la nation) par le Parlement en mai 2010. Grâce à ce statut, il peut décider à vie des grandes orientations politiques du pays, indépendamment de sa fonction, et dispose d’une immunité perpétuelle. Les autorités kazakhes utilisent des mécanismes financiers, administratifs et juridiques pour restreindre la liberté d’expression des opposants, des associations, des partis et des médias indépendants et censurent Internet. Quant aux 5 000 organisations de la société civile évoquées par le gouvernement, elles sont en grande majorité placées sous son contrôle. En dépit des limitations du droit de réunion, soumis à une autorisation préalable et accordé seulement aux groupes progouvernementaux, les mouvements sociaux se multiplient dans les secteurs du gaz et du pétrole depuis quelques mois. La représentante juridique du Syndicat des ouvriers du pétrole a d’ailleurs été condamnée le 9 août 2011 à six ans d’emprisonnement pour avoir incité des salariés à se mettre en grève, manifestation déclarée « illégale ». En 2009, avant de prendre la présidence de l’OSCE l’année suivante, le Kazakhstan a lancé un Plan national d’action pour les droits de l’homme et a créé un mécanisme de contrôle indépendant des lieux de détention. Selon les ONG kazakhes, ces annonces, peu suivies d’effet, ne servent qu’à dissimuler des violations courantes. La position stratégique du pays, dont le sous-sol regorge d’hydrocarbures et d’uranium, en fait un interlocuteur de premier plan pour la Russie, la Chine et les puissances occidentales.
Pratiques de la torture
Les mauvais traitements et la torture commis par les forces de l’ordre demeurent un problème persistant au Kazakhstan. En juillet 2011, le Comité des droits de l’homme des Nations unies a dénoncé le « nombre croissant de rapports faisant état de torture ». Les autorités elles-mêmes reconnaissent le recours généralisé aux mauvais traitements et aux actes de torture lors des interrogatoires et des enquêtes criminelles.
Victimes
Bien que des cas de sévices infligés à des opposants politiques aient été rapportés, il apparaît que ces pratiques concernent le plus souvent les détenus de droit commun. D’après la Cour européenne des droits de l’homme, tout suspect encourt le risque sérieux d’être maltraité et torturé, parfois sans but ou raison particuliers, dans les postes de police et les prisons.
Le 8 juin 2009, Petrenko Anatoliy Alexandrovich a été frappé en pleine rue par trois policiers au ventre, à l’aine et au visage, dans le village de Chelgashy, avant d’être forcé de monter dans leur voiture, de nouveau passé à tabac et emmené, inconscient, au poste. À son réveil, il a été interrogé sur sa responsabilité dans le décès de l’un de ses amis, retrouvé mort de froid dans une décharge, et il a répondu qu’il n’avait tué personne. Il a été encore violemment battu pour avouer ce crime, puis il a senti que quelqu’un lui retirait son pantalon et il lui insérait un objet dans l’anus. Il a perdu connaissance sous l’effet de la douleur et il a ensuite été reconduit chez lui. Hospitalisé douze heures après, il a subi plusieurs opérations, mais il reste invalide. Le 20 mars 2010, au centre correctionnel de haute sécurité LA-155/8 à côté d’Almaty, des gardiens ont rasé de force la tête du détenu Sagatov Zhandos, 27 ans, et l’ont obligé à se dénuder. Ils l’ont insulté, humilié et menacé de viol. Puis ils l’ont emmené aux toilettes où ils l’ont matraqué avec l’aide d’autres détenus. Ils lui ont aussi mis la tête dans la cuvette en tirant la chasse d’eau à de multiples reprises, l’ont soumis au waterboarding et violé plusieurs fois avec des bâtons. Pour dissimuler les séquelles, les médecins de l’établissement pénitentiaire ont tardé à transporter Sagatov Zhandos à l’hôpital, en dépit de son état critique. Par ailleurs, les détenus de la prison de Granitny, une ville du nord du pays, ont reçu de violents coups de massue dans la cour, le 24 juin 2011, par les gardiens. Cette séance de punition aurait fait suite à un début d’émeute. Les femmes et les enfants soupçonnés ou accusés d’infractions ne sont pas épargnés par ces brutalités. Les femmes seraient régulièrement menacées ou victimes d’abus sexuels de la part des policiers et du personnel pénitentiaire. Quant aux mineurs, ils sont maltraités, voire torturés, non seulement dans le cadre des enquêtes pénales, mais aussi dans les établissements scolaires − en particulier ceux destinés aux enfants en difficulté ou handicapés et les écoles privées −, dans les orphelinats et dans les centres de correction pour jeunes délinquants. Sous prétexte de lutte contre le terrorisme et de protection de la sécurité nationale, les individus considérés comme des membres d’organisations et de partis islamiques interdits ou non enregistrés au Kazakhstan, les personnes issues de minorités religieuses − nombreuses dans ce pays multiconfessionnel −, les demandeurs d’asile venus d’États voisins, notamment de Chine et d’Ouzbékistan, sont aussi la cible d’actes de torture.
Renvois dangereux
La loi sur les réfugiés, promulguée le 1er janvier 2010 prévoit le principe de non-refoulement, l’accessibilité et la transparence de la procédure d’asile, ainsi que le droit de faire appel. Elle a aussi créé une procédure nationale de détermination du statut de réfugié, confiée à un Comité central national et non plus au Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR). Cette législation a été très critiquée en raison de ses lacunes et de certaines dispositions contraires au droit international qui n’offrent ni une protection effective pour les personnes cherchant l’asile ni des recours effectifs. En vertu de cette loi et de leurs engagements internationaux, les autorités doivent s’abstenir de renvoyer du territoire toute personne risquant de subir des tortures dans son pays d’origine. Elles ont pourtant déjà extradé plusieurs fois des demandeurs d’asile pour ménager leurs relations diplomatiques avec les États voisins. Ainsi, le 9 juin 2011, 28 personnes victimes de persécution religieuse en Ouzbékistan ont été renvoyées de force dans ce pays malgré les dangers encourus. La majorité d’entre elles avait obtenu le statut de réfugié par le HCR avant 2010, mais avait vu ce statut annulé après l’entrée en vigueur de la loi kazahke. Ces personnes n’ont pu bénéficier d’un recours régulier devant les juridictions nationales. En outre, cette extradition a violé les mesures provisoires prononcées par le Comité des Nations unies contre la torture. Il avait exigé du Kazakhstan, à trois reprises, de ne pas renvoyer ces individus avant l’examen de leur plainte. Quatre hommes, arrêtés en même temps que ces 28 personnes en juin 2010 à la demande du gouvernement ouzbek, avaient déjà été extradés à l’automne 2010.
Tortionnaires et lieux de torture
Selon les témoignages des victimes, les mauvais traitements et les tortures sont attribuables à l’ensemble des corps de sécurité et du personnel des lieux privatifs de liberté. Lors de la mise en place de son Plan d’action pour les droits de l’homme, le gouvernement avait évoqué le faible niveau de connaissance, par les forces chargées du maintien de l’ordre, des procédures pénales nationales et des obligations internationales du Kazakhstan. Le Comité de la sécurité nationale (Komitet Natsional’noï Bezopasnosti-KNB), responsable de la sécurité intérieure, de la garde des frontières et dirigé par des militaires, commet de nombreux actes de torture, notamment contre les minorités religieuses et ethniques, sous couvert du combat antiterroriste. Certaines victimes ont fait état de sévices subis dans la rue ou pendant leur transfert vers les lieux de détention, officiels ou clandestins. Selon le droit kazakh, les policiers doivent enregistrer tout placement en détention dans les trois heures suivant l’arrestation. Seule la détention officielle permet au prévenu de bénéficier d’une assistance médicale et juridique et des visites de sa famille. Dans les faits, les officiers dépassent régulièrement ce délai et pratiquent ainsi des détentions clandestines propices aux mauvais traitements. Les centres de détention provisoire (sledstvennyi izolator-SIZO) et les locaux de garde à vue (izolator vremenni soderzhanie-IVS) de la police ou du KNB constituent les principaux lieux de torture.
Dans les prisons, de nombreux décès suspects ont lieu, accompagnés, par exemple, de fractures, et sont déguisés en suicides ou en maladies par l’administration pénitentiaire. Ainsi, selon l’autopsie officielle, la mort de Dmitry Rakishev, 21 ans, survenue le 8 mai 2011 au centre de détention provisoire de la commune de Stepnogorsk, faisait suite à une pneumonie et à une tuberculose et ses deux côtes cassées résultaient d’une chute accidentelle. Mais, d’après son père, le corps du jeune homme portait des marques de torture. Les mauvaises conditions de détention (surpeuplement, manque de nourriture et de soins médicaux appropriés, en particulier pour les séropositifs) dans les 94 prisons et SIZO du pays ont débouché sur de nombreuses émeutes depuis 2010 et à plusieurs cas d’automutilation parmi les prisonniers. Au moins 147 d’entre eux se sont blessés volontairement en 2010. Pour endiguer ces violences, le gouvernement a décidé, en juillet 2011, de redonner au ministère de l’Intérieur, contrôlé par l’armée, la direction de l’appareil pénitentiaire, au grand dam des défenseurs des droits de l’homme, alors qu’elle avait été justement transférée au ministère de la Justice en 2001 dans le but d’« humaniser » le système carcéral. En outre, les commissions publiques de surveillance, chargées d’inspecter les lieux privatifs de liberté, possèdent des pouvoirs restreints. Elles ont seulement pu se rendre quatre fois dans les centres de détention provisoire du KNB en 2009 et huit fois en 2010 – visites toujours annoncées au préalable.
Méthodes et objectifs
Les victimes évoquent des passages à tabac, des coups de poing, de pied, de matraque ou avec des bouteilles en plastique remplies de sable, des violences sexuelles dont des viols commis par des codétenus et des gardiens en prison, des asphyxies avec des sacs en plastique et des masques à gaz, des simulacres de noyade, des menaces, des insultes et des humiliations. Avant une condamnation, le recours à la torture vise généralement à extorquer des aveux pour des crimes et des délits de droit commun, même mineurs, afin de réduire au maximum le temps d’enquête. Cette pratique est encouragée par le système de notation annuelle des policiers en fonction du nombre d’affaires résolues, par l’absence de formation adéquate et le manque d’équipements médicolégaux permettant de mener des investigations rigoureuses. Par ailleurs, la torture psychologique et physique utilisée en détention sert à punir, humilier, voire « briser » les prisonniers difficiles.
Législation et pratiques judiciaires
Condamnation juridique de la torture
Le Kazakhstan est partie au Pacte international relatif aux droits civils et politiques et à la Convention contre la torture. Il a ratifié, en 2008, le Protocole additionnel à cette dernière et a aussi reconnu le mécanisme de plainte émanant d’un État ou d’un individu devant le Comité contre la torture (Committee Against Torture-CAT). L’article 17 de la Constitution de 1995 condamne le recours à la torture et à tout traitement cruel ou dégradant. Le Code pénal, modifié en janvier 2011, contient un nouvel article relatif à la torture (141-1), qui améliore la définition de cette infraction. Cette dernière prend désormais en compte les actes commis par tout individu intervenant à l’instigation ou avec le consentement exprès ou tacite d’un agent de la fonction publique ou de toute autre personne agissant à titre officiel. Cependant, une note précise que les « souffrances physiques ou mentales résultant d’actions légitimes », notion floue et non définie, ne sont pas constitutives de torture et, de plus, ces amendements n’ont pas augmenté l’échelle des peines, qui prévoit un maximum de 10 ans de prison en cas de décès de la victime. En pratique, les méthodes d’enquête et de détention illégales sont seulement poursuivies sur le fondement de l’article 308 du Code pénal qui condamne l’abus de pouvoir des agents de la fonction publique. En outre, aucune réparation financière n’est prévue pour les victimes de torture. Elles ne figurent pas dans la liste des personnes éligibles pour des indemnisations ou des dommages et intérêts établie par l’article 40 du Code de procédure pénale et ne sont pas non plus mentionnées dans l’article 923 du Code civil relatif aux intérêts civils liés aux « préjudices résultant d’actes illégaux commis par des agents de l’État ».
Poursuite des auteurs de torture
En 2010, 263 plaintes pour torture ont été enregistrées par les organisations kazakhes des droits de l’homme, contre 286 en 2009. Selon les statistiques officielles, seulement un agent de l’État a été inculpé en 2009, sur le fondement de l’ancien article du Code pénal consacré à la torture et quatre personnes ont été condamnées en 2010. En janvier 2011 s’est ouvert le tout premier procès concernant des actes de torture en prison. Cinq agents de l’administration pénitentiaire et quatre détenus ont été jugés pour les sévices infligés en mars 2010 au prisonnier Sagatov Zhandos (voir section « Victimes »). À part ces quelques cas, l’impunité des tortionnaires prévaut au Kazakhstan. Le taux d’enquête concernant des allégations de torture reste très faible en pratique. Fin 2010, officiellement, les autorités avaient mené des investigations sur 48 affaires. Les plaintes sont d’abord traitées par les services de la sécurité intérieure du ministère des Affaires intérieures, dont le gouvernement a lui-même admis le manque d’indépendance pour conduire une enquête effective. Généralement, l’examen confidentiel qu’ils mènent se conclut par une mention « absence de preuve concluante » empêchant l’ouverture d’une enquête criminelle. Les plaignants n’ont aucun moyen de soumettre des preuves, de convoquer des témoins ou d’accéder au dossier pour contester la décision devant un tribunal. Régulièrement menacées et intimidées, les victimes sont contraintes de retirer leur plainte sous peine d’être à nouveau torturées. Malgré plusieurs réformes, le pouvoir judiciaire au Kazakhstan demeure fortement dépendant du pouvoir exécutif, la nomination et la révocation des juges relevant, par exemple, du président de la République. En violation d’un arrêt de la Cour suprême du 28 décembre 2009 posant des règles normatives pour la prévention de la torture et interdisant la recevabilité des aveux obtenus sous la contrainte devant les tribunaux, les juges continuent de les prendre en compte, considérant que ces allégations sont soulevées pour éviter une condamnation. Dans la procédure kazakhe, il appartient à la victime de prouver qu’elle a été torturée pour que les juges acceptent de rejeter les preuves soumises par le parquet. La plupart des prévenus étant en détention pendant les enquêtes et les audiences, la charge de la preuve est déraisonnable et contraire au droit international. D’autres mécanismes d’enquête sur les atteintes aux droits de l’homme existent, mais ne sont ni effectifs, ni indépendants. La Commission présidentielle des droits de l’homme, formée de membres désignés par le chef de l’État, émet seulement des recommandations sur les plaintes qu’elle a reçues. De même, le bureau de l’Ombudsman − nommé par Noursoultan Nazarbaïev − ne peut ni se pencher sur des cas impliquant les hauts responsables du pays, comme le président ou les membres du gouvernement et du Parlement, ni intenter des procès. Ces instances, soumises à la pression du pouvoir exécutif, sont sommées de ne « pas interférer avec le travail de la police et de la justice ».