Grèce
Fiche publiée en 2014
Contexte
Engluée dans la récession depuis 2008, la Grèce traverse une profonde crise politique, économique et sociale. La fragile coalition au pouvoir depuis les élections législatives de juin 2012, formée par les conservateurs de Nouvelle démocratie et les socialistes du Pasok, a dû adopter des mesures d’austérité drastiques sous la pression de ses créanciers internationaux. Ces dernières ont provoqué une paupérisation et une grande détresse au sein de la population, avec un taux de chômage record de 28,6 % en mars 2013 et une augmentation de 26,5 % du nombre de suicides entre 2010 et 2011. Cette politique de rigueur a aussi eu des répercussions négatives sur la situation des droits de l’homme : entraves à la liberté de la presse, avec notamment la fermeture de la radiotélévision publique ERT en juin 2013 ; montée constante des crimes de haine à caractère raciste, commis en particulier par des militants du parti néo-nazi Aube dorée, qui a emporté 18 sièges au Parlement lors du scrutin de 2012 ; durcissement de la répression policière contre les manifestations et les grèves suscitées par les coupes budgétaires et atteintes graves au droit d’asile. Du fait de ses frontières communes avec la Turquie et de ses nombreuses côtes et îles, la Grèce représente la principale porte d’entrée dans l’Union européenne pour les immigrés clandestins et les demandeurs d’asile venus d’Afrique, du Moyen-Orient et d’Asie. Or, la prise en charge de cet afflux de personnes (128 000 en 2010 ), dont beaucoup fuient des pays en proie à des conflits comme l’Afghanistan et la Syrie, s’accompagne de multiples violations des droits de l’homme.
Pratiques de la torture
Entre 1959 et 2012, la Grèce s’est fait condamner à 39 reprises par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) pour violation de la Convention européenne sur l’interdiction des traitements inhumains et dégradants et de la torture, dont 11 fois en 2012. Ces arrêts portent essentiellement sur l’usage excessif de la force par les policiers et sur le traitement et les conditions de détention imposés aux personnes privées de liberté. La dernière condamnation prononcée au moment de la rédaction de ce rapport, datée du 13 juin 2013, portait ainsi sur le manque d’espace alloué au requérant iranien lors de sa détention de trois mois dans un poste de la police des frontières. Conditions d’accueil et d’enfermement des migrants sans papiers et des demandeurs d’asile
Les personnes qui entrent illégalement sur le territoire, y compris les femmes seules, les familles avec enfants et les mineurs non accompagnés, sont systématiquement incarcérées, pour des durées allant parfois jusqu’à dix-huit mois, dans des postes de surveillance des gardes-frontières, des centres de rétention administrative, des stations de police et des locaux inadaptés comme des entrepôts désaffectés, des casernes militaires ou même des conteneurs. Cellules vétustes et surpeuplées, absence de ventilation et de lumière naturelle, possibilité réduite ou nulle d’effectuer une promenade et de faire de l’exercice, insuffisance et saleté des couchages et des installations sanitaires, absence de produits d’hygiène et de linge propre : les détenus, qui ne bénéficient pas de l’assistance médicale, sociale, juridique et psychologique nécessaire, y vivent dans des conditions épouvantables constitutives de traitements inhumains et dégradants. Ainsi, en octobre 2012, un tribunal correctionnel grec a acquitté 15 ressortissants étrangers qui avaient fui le commissariat où ils étaient placés en détention. Le juge a reconnu le caractère illicite de l’acte d’évasion, mais a considéré que ce dernier avait été commis par les accusés pour éviter les risques de contagion par des maladies infectieuses. Le 27 juillet 2013, Hassan Muhammad, un Afghan placé dans le centre de rétention de la ville de Corinthe depuis plus de dix mois est mort à la suite d’une infection pulmonaire après avoir demandé à voir un médecin à de nombreuses reprises, en vain. Le 10 avril 2013, dans ce même lieu, des affrontements avaient éclaté entre les forces de sécurité et des migrants qui entreprenaient une grève de la faim pour dénoncer « l’enfer des centres de détention ».
Les personnes remises en liberté avec un ordre de quitter le pays dans les trente jours sont livrées à elles-mêmes, sans aucune aide ni ressources. Parmi elles, les candidats à l’asile rencontrent de nombreuses difficultés pour faire enregistrer leur demande à la Direction de la police des étrangers de l’Attique à Athènes, qui les reçoit seulement un jour par semaine et ne retient qu’entre vingt et trente dossiers à chaque fois. Par conséquent, les demandeurs se rendent souvent sur place plusieurs jours à l’avance et doivent pendant ce temps subir les opérations d’intimidation et d’éloignement menées par la police pour les décourager de revenir - parfois par la force, les aléas de la météo, la faim, la soif et la fatigue, sans accès à des installations sanitaires et dans un climat de tension propice aux incidents. Ceux qui ne réussissent pas ou renoncent à déposer leur requête risquent d’être arrêtés, placés en détention, renvoyés par la force dans leur pays d’origine en dépit des risques d’atteintes aux droits de l’homme qu’ils peuvent courir là-bas ou expulsés en Turquie en vertu de l’accord bilatéral de réadmission signé avec la Grèce, en violation du principe de non-refoulement*.
Ces graves dysfonctionnements ont conduit la CEDH, dans l’arrêt M.S.S. c. Belgique et Grèce, à considérer que la Belgique avait violé l’article 3 de la Convention européenne en renvoyant conformément au règlement dit « Dublin II* » (procédure de réadmission d’un migrant arrêté en Europe dans le pays par lequel il est arrivé) un requérant de nationalité afghane en Grèce, qui ne disposait pas d’un système d’asile efficace et avait aussi enfreint l’interdiction de la torture et des mauvais traitements avec les conditions de détention et d’existence réservées à la victime. À la suite de ce jugement, de nombreux pays européens ont suspendu les transferts de demandeurs d’asile vers la république hellénique par crainte d’être condamnés à leur tour.
Brutalités policières
Les agents de police se rendent fréquemment coupables de violences à l’encontre des étrangers. Parmi eux se trouvent les personnes arrêtées lors des nombreux contrôles d’identité au faciès effectués dans le cadre de l’opération « Zeus Xenios » lancée en août 2012 à Athènes pour combattre l’immigration clandestine. Les représentants de l’État se livrent également à des abus vis-à-vis des membres des minorités, en particulier ceux de la communauté rom durant les opérations d’expulsion forcée de leurs campements. Les Roms, qui composent 3,5 % de la population, représentent 20 % des victimes de décès par balles tirées par les policiers. De nombreux migrants et demandeurs d’asile sont aussi victimes d’agressions verbales, notamment des insultes racistes, et physiques (gifles, coups de poing, de pied, de bâton ou de matraque) lors de leur arrestation ou au cours de leur rétention. Le 10 mars 2013, un citoyen syrien de 21 ans aurait été battu par des policiers après avoir commencé à filmer des membres de la police qui frappaient des retenus en train de se quereller.
Les forces de sécurité, en particulier les officiers de la police anti-émeutes (MAT) au visage souvent dissimulé par des casques ou des masques à gaz, exercent aussi des mauvais traitements au cours des manifestations, presque toujours pacifiques. Elles font ainsi un usage excessif de balles en caoutchouc, grenades paralysantes, canons à eau, gaz lacrymogènes et autres irritants chimiques contre les protestataires et les journalistes qui couvrent ces évènements. En avril 2012, lors du mouvement de contestation survenu après le suicide d’un retraité, plusieurs professionnels des médias ont été agressés dont un photographe qui a reçu des coups de matraque à l’arrière de la tête entraînant un traumatisme crânien.
Conditions de détention
La situation dans les établissements pénitentiaires est particulièrement préoccupante. La séparation entre personnes en détention provisoire et condamnés ainsi qu’entre mineurs et adultes n’y est pas systématique. Les détenus sont régulièrement soumis à des fouilles corporelles invasives, manquent de lits et de matelas et n’ont pas un accès suffisant aux soins et aux produits de base. En outre, les prisons grecques affichent un niveau de surpopulation alarmant avec un taux d’occupation de 151,7 % en 2011. Ces conditions de détention entraînent fréquemment des émeutes et des grèves de la faim. Les prisonniers sont aussi exposés à des mauvais traitements de la part des forces de sécurité. En avril 2013, 60 détenus se sont plaints d’avoir été frappés à coups de matraque et électrocutés au Taser par des agents de l’unité spéciale antiterroriste de la police (EKAM) lors d’une inspection de leurs cellules.
Législation et pratiques judiciaires
Condamnation légale de la torture
Selon la Constitution (art. 28, § 1), les traités internationaux priment les lois intérieures. La Grèce est partie aux principaux instruments relatifs aux droits de l’homme et a reconnu la compétence du Comité contre la torture* (CAT) pour enquêter sur des communications* présentées par un autre État partie soit par ou pour le compte de particuliers relevant de sa juridiction. En revanche, elle n’avait pas encore, en septembre 2013, ratifié le Protocole facultatif à la Convention contre la torture (OPCAT) ni adopté le projet de loi faisant de l’Ombudsman* le Mécanisme national de prévention* prévu par ce texte des Nations unies. Ce texte prévoit en plus des restrictions à l’accès de l’Ombudsman aux lieux privatifs de liberté dans des circonstances de préoccupations de sécurité nationale, de désordre public, de catastrophe naturelle ou d’agitation au sein de l’établissement.
En droit interne, la Constitution dispose, selon l’article 7 § 2, que « les tortures, tous sévices corporels, toute atteinte à la santé ou contrainte psychologique, ainsi que toute autre atteinte à la dignité humaine sont interdits et punis […] » . L’article 137A et B du Code pénal incrimine aussi la torture ainsi que les atteintes à la dignité humaine. Cependant, il comporte de nombreuses restrictions par rapport à la définition de la Convention des Nations unies contre la torture. D’abord, il omet les « souffrances aigües » et exige que la souffrance mentale puisse mener à de sérieux dommages psychologiques pour être qualifiée de torture. Ensuite, il ne prend pas en compte les actes fondés sur la discrimination ni ceux commis par les personnes agissant à titre officiel ou à l’instigation ou avec le consentement exprès ou tacite d’un agent de la fonction publique. Enfin, il mentionne le terme « systématique », ce qui permet d’exclure les sévices sporadiques, et exige que l’infliction d’une douleur aiguë soit planifiée pour être qualifiée de torture. Dans l’affaire Zontul c. Grèce, la CEDH a ainsi condamné la Grèce pour violation de l’article 3 parce que la justice n’avait pas considéré que le viol du requérant au moyen d’une matraque constituait un acte de torture. Les peines prévues pour le crime de torture courent de dix ans de prison à la réclusion à perpétuité en cas de décès de la victime.
Les policiers auteurs de sévices présumés s’exposent à deux types d’enquêtes disciplinaires prévues par le Code de discipline de 2008 : l’enquête administrative préliminaire, menée par le même service que celui auquel appartient l’agent mis en cause et qui ne conduit pas à une sanction, et l’enquête administrative officielle, entreprise seulement en cas de preuves probantes pour les allégations de torture et d’atteintes à la dignité humaine et confiée à un service distinct, qui peut prononcer le licenciement de l’officier. Le texte ne prévoit pas la suspension du policier incriminé le temps de l’enquête.
Quant au Bureau créé en 2011 pour traiter les cas d’abus perpétrés par les membres des forces de sécurité dans le cadre de l’exercice de leurs fonctions ou par abus de pouvoir, il manque d’indépendance et d’impartialité puisqu’il est rattaché à l’autorité de tutelle de ces derniers, le ministère de l’Ordre public et de la Protection du citoyen, et dispose d’un personnel formé d’officiers de police. Chargé d’évaluer la nécessité de soumettre des affaires aux autorités compétentes ou d’ouvrir une nouvelle enquête en cas de défaillance identifiée par la CEDH, il possède en outre un pouvoir d’investigation limité.
Poursuite des auteurs de torture
Un climat d’impunité règne pour les sévices et les mauvais traitements exercés par des agents de l’État. En 2012, le CAT s’est inquiété du nombre très limité de poursuites judiciaires, de condamnations définitives et de sanctions recensées dans le cadre de ces affaires. En juin 2013, un seul cas avait effectivement donné lieu à une condamnation prononcée sur la base de l’article 137A et B du Code pénal. Le 13 décembre 2011, le tribunal mixte avec jury d’Athènes a reconnu un officier de police à la retraite coupable d’actes de torture pour avoir infligé des électrochocs à deux jeunes en 2002 et l’a condamné à une peine de six ans de prison, peine suspendue dans l’attente de l’audience en appel.
De fait, les juges et les procureurs rechignent à examiner les plaintes pour tortures et mauvais traitements et à engager des procédures au titre de l’article 137A et B du Code pénal au profit d’autres dispositions comme l’abus de pouvoir, remplacent souvent la charge initiale de torture par celle d’atteinte à la dignité humaine ou abusent des circonstances atténuantes pour appliquer des sanctions plus clémentes que celles prévues par la loi. De plus, en dépit des recommandations formulées par les instances internationales et les ONG, les autorités n’ont pas institué l’enregistrement vidéo et audio des interrogatoires. Par conséquent, le système de justice pénale en Grèce ne comporte pas les effets dissuasifs permettant de prévenir les exactions de la part des forces de sécurité.
La justice grecque ne garantit pas non plus le droit à la réparation. Même dans les affaires de violation de l’interdiction de la torture et des mauvais traitements constatées par la CEDH et le Comité des droits de l’homme des Nations unies, les requérants n’avaient reçu aucune indemnisation ou autre forme de compensation. Enfin, les victimes hésitent à porter plainte par manque de confiance dans le système judiciaire, inefficace, théoriquement indépendant du pouvoir exécutif mais parfois soumis à des ingérences et à la corruption, par manque d’accès à un conseil juridique ou à des services d’interprétariat pour les ressortissants étrangers et par crainte de représailles.
En mars 2013, des citoyens, des avocats et des membres d’ONG ont crée un Comité contre la torture et l’arbitraire policier pour briser cette culture de l’impunité en recensant et en rendant publics tous les abus commis par les forces de sécurité et en mettant à la disposition des victimes une assistance médicale et juridique indépendante.