Un monde tortionnaire

Cuba


Fiche publiée en 2011

En dépit des affirmations de Fidel Castro et de son frère Rául, qui lui a succédé au pouvoir en 2008, selon lesquelles la torture n’existe pas dans leur pays, les mauvais traitements et les sévices font partie des méthodes de répression systématiquement utilisées par le régime cubain. En raison de l’absence d’accès aux centres de détention et des nombreuses entraves posées au travail des associations de défense des droits de l’homme, il est extrêmement difficile de comptabiliser le nombre de victimes. Entre janvier et août 2011, la Commission cubaine des droits de l’homme et de la réconciliation nationale – structure interdite, mais tolérée par le gouvernement – a recensé 2 224 arrestations pour motifs politiques, souvent accompagnées de violences policières.

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Contexte

Éloigné du pouvoir depuis juillet 2006, en raison d’une maladie, Fidel Castro a progressivement délégué toutes ses fonctions à son frère Rául. Après le retrait du Líder Máximo (chef suprême) en février 2008, Rául Castro, déjà commandant en chef des forces armées depuis 1959, a été élu président du Conseil d’État, la plus haute instance du pouvoir exécutif, et du Conseil des ministres. Lors du VIe Congrès du Parti communiste cubain (PCC) − le seul autorisé par la Constitution − tenu en avril 2011, Fidel Castro a renoncé, de nouveau au profit de son frère, à son dernier poste, celui de Premier secrétaire du parti qu’il occupait depuis sa création en 1958. Le nouveau numéro un du régime a donné quelques gages d’ouverture depuis son entrée en fonction. En matière d’économie, il a adopté de timides réformes libérales avec l’autorisation de la vente de biens immobiliers et de voitures et la possibilité d’être travailleur indépendant dans le secteur des services. Sur le plan politique, les autorités ont signé en 2008, mais pas ratifié, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques ainsi que celui relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Depuis juillet 2010, elles ont aussi procédé à la libération des 52 opposants encore incarcérés sur les 75 arrêtés lors de la campagne de répression dite du « Printemps noir », lancée en mars 2003, sans toutefois lever leur condamnation et en contrepartie d’un exil forcé pour la majorité d’entre eux. Cette mise à l’écart des dissidents montre que Rául Castro s’inscrit dans la continuité de la politique répressive menée par son frère et semble exclure la moindre évolution vers la démocratie. Grâce aux infractions vagues telles que « actes contre l’indépendance et l’intégrité de l’État », « propagande ennemie », « sabotage » ou « outrage » prévues par le Code pénal, le gouvernement a la possibilité d’interpeller et détenir les citoyens qui expriment ou manifestent leur désaccord avec lui. En vertu de l’article 72 de ce texte, une personne n’ayant pas enfreint la loi, mais considérée comme « dangereuse » en raison de sa « propension » à commettre des crimes, peut aussi être envoyée en prison. Cette propension s’entend par un comportement contraire « aux normes de la morale socialiste ». Le régime nie toute atteinte aux droits de l’homme et rappelle les effets désastreux de l’embargo commercial et économique, imposé par les États-Unis depuis 1962, sur les conditions de vie des Cubains pour justifier d’éventuelles violations. Il fait toutefois obstacle aux visites des organisations comme le Comité international de la Croix-Rouge ou des experts de l’ONU.

Pratiques de la torture

En dépit des affirmations des frères Castro selon lesquelles la torture n’existe pas dans leur pays, les mauvais traitements et les actes de torture font partie des méthodes de répression systématiquement utilisées par l’État. En raison de l’absence d’accès aux centres de détention et des nombreuses entraves posées au travail des associations de défense des droits de l’homme, il est extrêmement difficile de comptabiliser le nombre de victimes. Entre les mois de janvier et août 2011, la Commission cubaine des droits de l’homme et de la réconciliation nationale (CCDHRN) – structure interdite, mais tolérée par le gouvernement – a recensé 2 224 arrestations pour motifs politiques, souvent accompagnées de violences policières.

Victimes

Les opposants et les prisonniers politiques, les défenseurs des droits de l’homme et les journalistes indépendants sont particulièrement exposés aux intimidations et aux brutalités des forces de l’ordre. Ainsi, Darsi Ferrer Ramírez, médecin et militant de la liberté d’expression, a été battu au cours de son arrestation en juillet 2009, relâché, puis interpellé de nouveau et placé en détention pour un motif fabriqué de toutes pièces. Les « Dames en blanc » (Damas de Blanco) − un groupe d’épouses et de parentes des dissidents appréhendés en 2003 et d’autres prisonniers politiques, organisant chaque dimanche des marches silencieuses pour leur libération − ont subi des manœuvres de harcèlement et des agressions physiques en juillet et août 2011 dans la province de Santiago de Cuba. Le 21 août, par exemple, 11 d’entre elles se sont fait bousculer et tirer les cheveux par des policiers à Palmia Soriano, avant d’être embarquées. Les individus arrêtés en raison de leur opposition au pouvoir en place ou de leur engagement en faveur des droits de l’homme sont soumis à des conditions de détention constitutives de mauvais traitements, voire de torture. Incarcérés, la plupart du temps dans des prisons de sécurité maximale aux côtés de criminels dangereux ou de personnes atteintes de troubles mentaux, ils subissent des violences psychologiques et physiques de la part des gardiens et des détenus de droit commun. Ces derniers y sont encouragés par les autorités pénitentiaires et par la police politique en échange de privilèges. En outre, les prisonniers politiques ne bénéficient pas des mêmes droits que le reste de la population carcérale (accès à la bibliothèque ou aux cours, mesures de libération conditionnelle, appels téléphoniques, etc.). Le 24 février 2010, le dissident Orlando Zapata Tamayo, 42 ans, est décédé après 85 jours de grève de la faim pour protester contre son traitement en détention. Condamné à trois ans de prison en 2003, il a été envoyé dans l’établissement de haute sécurité « Kilo 8 », dans la province de Camagüey où il a été maltraité. Il a, par exemple, été traîné à terre par des gardiens pour avoir demandé une aide médicale et s’est vu infliger une nouvelle peine d’emprisonnement à chaque acte d’« insubordination ». Au cours de sa grève de la faim, il a contracté une pneumonie et une infection buccale et il a été privé d’eau pendant 18 jours.

Soumis à des actes d’intimidation (interpellations et détentions arbitraires de courte durée), les professionnels des médias indépendants doivent aussi endurer des sévices. En avril 2011, à La Havane, le journaliste Miguel Iturria Savón a ainsi été intercepté par une voiture banalisée et a reçu des coups de poing quand il a réclamé un mandat d’arrêt aux agents en civil à la sortie du véhicule.

Les détenus de droit commun sont également la cible de mauvais traitements et d’actes de torture dans les établissements pénitentiaires. Les séropositifs, envoyés dans des prisons spéciales pour une infraction qualifiée d’« état dangereux prédélictuel », seraient particulièrement exposés aux abus. Dans une moindre mesure, les Cubains appartenant à une Église non reconnue, et engagés dans la défense des droits de l’homme, représentent des catégories de population vulnérables.

Tortionnaires et lieux de torture

Les principaux auteurs de torture dépendent tous du ministère de l’Intérieur : agents de la Police nationale révolutionnaire et du département de la Sécurité de l’État (DSE) – la police politique −, employés de l’administration pénitentiaire et membres des Brigades de réponse rapide (BRR). Ces anciennes unités de réservistes sont devenues des groupes paramilitaires composés d’individus réputés être des repris de justice, des mercenaires et des déséquilibrés qui procèdent à de violents passages à tabac. Le 8 avril 2011, des agents des BRR et du DSE ont ainsi arrêté et frappé l’opposante Damaris Moya Portiers, ainsi que trois autres membres de la Coalition centrale d’opposition.

Les membres des cellules locales du PCC et des organisations progouvernementales, en particulier les comités de défense de la Révolution (CDR), chargés notamment d’espionner les citoyens et d’infiltrer les structures « contre-révolutionnaires », infligent aussi des sévices aux dissidents. Le 6 août 2011, le responsable d’un CDR a frappé un militant des droits de l’homme à coups de couteau.

Les mauvais traitements ont parfois lieu à l’extérieur au cours d’« actes de répudiation ». Aussi quantité de partisans du régime interviennent-ils, soit lors d’un rassemblement de protestation pour provoquer et brutaliser les participants, soit devant le domicile d’un dissident ou d’un militant des droits de l’homme pour l’insulter, jeter des pierres ou d’autres objets contre sa résidence et parfois l’agresser physiquement. Qualifiées de « volontaires » par les autorités, ces manifestations surviennent en général à l’instigation et avec la participation des forces de sécurité.

Les sévices se produisent aussi lors des interrogatoires dans les postes de police ou les centres de détention de la sécurité de l’État, voire pendant le transport dans le véhicule des forces de l’ordre. Libéré contre son gré en février 2011, l'opposant Ángel Moya Acosta, arrêté à l'occasion du « Printemps noir » et opposé à une déportation vers l’Espagne, a été violemment poussé dans une voiture, menotté puis torturé par des agents de police en mai suivant.

Les principaux centres de torture sont les lieux de détention, soit 250 selon le Conseil des rapporteurs des droits de l’homme de Cuba (CRDHC). Les quelque 100 000 détenus y vivent dans des conditions exécrables, travaillent sans rémunération, manquent de nourriture, d’hygiène, d’eau potable et de lumière et n’ont pas accès aux soins de base. Le 12 juin 2010, le dissident Ariel Sigler Amaya a bénéficié d’une remise en liberté exceptionnelle pour raisons de santé. Les nombreuses maladies contractées au cours de ses sept années d’emprisonnement et la sévère malnutrition qu’il a subie l’ont rendu paraplégique. Entre janvier et décembre 2009, le CRDHC a dénombré 64 décès, dont au moins 19 suicides, rien que dans 26 établissements pénitentiaires. Sont en cause, les mauvais traitements et les tortures, les confinements individuels, la faim, la très faible assistance médicale et l’état général d’abandon des prisons.

Méthodes et objectifs

En dehors des coups de bâton, de baïonnette, de couteau et de crosse de fusil, les tortures physiques couramment employées, particulièrement vis-à-vis des prisonniers d’opinion, comprennent l’exposition à des températures extrêmes, comme le passage d’une chambre chaude à une chambre froide ; le placement dans des positions douloureuses et stressantes, notamment l’immobilisation prolongée sur une petite chaise ou sillita ; la méthode, appelée « symphonie russe », qui consiste à faire claquer bruyamment une poêle sur un mur à côté de la victime pour endommager ses tympans ; les simulacres d’exécution par arme à feu ou par noyade ; le supplice de la crucifixion ; la technique dite Shakira, en référence au déhanché de la chanteuse colombienne, où le détenu a les mains plaquées sur les hanches par des menottes attachées à une chaîne que le geôlier peut tirer au point de lui couper le souffle et la méthode baptisée balancín (la bascule) dans laquelle la victime est posée sur le ventre avec les pieds et les mains liés ensemble derrière le dos pendant des heures.

La torture psychologique consiste en des menaces contre la victime et ses proches ; des privations sensorielles ; l’usage de la lumière jour et nuit ainsi que du bruit pour faire perdre la notion du temps ; des mises à l’isolement dans des cellules capitonnées infestées d’insectes et de rongeurs pendant 21 jours, voire pendant des semaines ou des années ; des transferts dans des prisons éloignées du lieu de résidence ; des privations de visite de la famille ou d’assistance religieuse. L’ancien prisonnier de conscience catholique Miguel Galbán n’a ainsi pas pu s’entretenir avec un prêtre pendant les neuf premiers mois de sa détention.

La torture vise en partie à arracher des aveux aux citoyens, interpellés arbitrairement, de plus en plus nombreux, pour des motifs politiques ou sur la base de l’« état dangereux prédélictuel », mais présumés innocents selon le Code de procédure pénale. Cependant, à Cuba, elle sert essentiellement à intimider et à faire taire les dissidents, puis à les punir une fois qu’ils sont en prison. Il s’agit de détruire l’esprit de rébellion des victimes, de les briser et, surtout, de les rééduquer pour qu’elles cessent non seulement de s’opposer au régime, mais qu’elles s’y soumettent également afin d’échapper aux châtiments corporels et aux conditions de détention qui leur sont imposés.

Législation et pratiques judiciaires

Condamnation juridique de la torture

État partie à la Convention contre la torture des Nations unies depuis 1995, Cuba n’a pas reconnu la compétence du Comité contre la torture (Committee Against Torture-CAT) pour enquêter sur des communications, alléguant le non-respect de ses engagements, présentées soit par un autre État partie (article 21), soit par ou pour le compte de particuliers relevant de sa juridiction (article 22). Les autorités ont aussi déclaré que la mise en œuvre de la coopération avec le Comité en cas d’allégations sérieuses de torture pratiquée sur leur territoire était strictement subordonnée au principe de la souveraineté et au consentement préalable des États parties. Par ailleurs, le pays n’a pas ratifié le Protocole facultatif à cette convention et n’a toujours pas ratifié les deux pactes signés en 2008.

En droit interne, l’article 26 de la Constitution dispose : « Toute personne qui aurait souffert une injustice ou un préjudice causé indûment par des fonctionnaires ou agents de l’État dans l’exercice de leur fonction a le droit de réclamer et d’obtenir une réparation correspondante ou une indemnisation sous la forme établie par la loi. » En outre, le texte garantit l’inviolabilité de la personne, énonce que « le détenu ou le prisonnier est inviolable dans son intégrité personnelle » (art. 58), exclut la recevabilité d’un aveu obtenu sous la contrainte et prévoit des sanctions en cas de recours à cette méthode (art. 59). Quant au Code pénal, il réprime des pratiques constitutives de mauvais traitements ou de torture, comme la commission « de blessures corporelles graves, mettant la vie en danger, ou laissant la personne handicapée, difforme ou quelconque autre séquelle physique ou psychologique » (art. 272) ou « l’utilisation à l’encontre des personnes détenues de châtiments corporels ou de quelque mesure menant à leur humiliation ou nuisant à leur dignité » (art. 30).

Cependant, la législation cubaine ne comporte ni définition ni incrimination spécifiques du délit de torture, une lacune en phase avec le déni persistant du gouvernement à propos de l’existence du phénomène tortionnaire.

Poursuite des auteurs de torture

En théorie, le Code pénal autorise les citoyens à porter plainte ou à adresser une requête auprès des autorités et sanctionne les abus de pouvoir commis par les fonctionnaires (art. 133). En pratique, il n’existe aucune institution indépendante chargée d’enquêter sur les allégations de violation des droits de l’homme. En outre, l’appareil judiciaire n’est ni indépendant ni impartial. En vertu de la Constitution, les tribunaux sont ainsi placés sous la tutelle du Conseil d’État et de l’Assemblée nationale, qui a le pouvoir de choisir et de destituer le ministre de la Justice, les membres de la Cour suprême (président, vice-présidents et autres juges), le procureur général et les procureurs généraux adjoints. Les avocats doivent obligatoirement être rattachés à des bufetes colectivos, cabinets collectifs contrôlés par le ministère de la Justice. Ceux qui ont formé un groupe indépendant (Corriente Agramontista) font d’ailleurs l’objet d’arrestation et de détention. De plus, les civils suspectés d’actes contre-révolutionnaires ou accusés par des agents des forces de l’ordre, ou d’autres institutions en charge de l’application des lois, peuvent être traduits devant des juridictions militaires. Ainsi, aucune enquête n’a été lancée en 2010 sur des allégations de mauvais traitements ou de torture mettant en cause des membres de la police nationale et aucun partisan du régime impliqué dans des violences commises lors des « actes de répudiation » n’a été arrêté.

La répression des auteurs de torture, qui semble impossible à mettre en place au niveau national, a quand même été tentée sur le plan international. En 1999, deux plaintes pour crime contre l’humanité ont été déposées en France contre Fidel Castro, déclarées irrecevables par le parquet. En 2001, en vertu de la loi sur la compétence universelle alors en vigueur en Belgique, plusieurs Cubains réfugiés aux États-Unis ont déposé une plainte collective devant la justice belge contre le Líder Máximo et trois généraux, dont Rául Castro, accusés de crimes contre l’humanité pour détention illégale, meurtre, persécution et torture. Cependant, après l’abrogation de ce texte, la Cour de cassation a déclaré les tribunaux belges incompétents en l’affaire en décembre 2003.

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