Japon
Fiche publiée en 2014
Contexte
Les années 2011-2012 ont été particulièrement difficiles pour le Japon, en raison du séisme du 11 mars 2011 et des graves accidents nucléaires survenus dans la foulée dans la ville de Fukushima. Les autorités font l’objet de nombreuses critiques sur l’insuffisance de leur réaction, leur manque de transparence et la priorité qu’elles ont donnée à la reprise économique sur la santé des résidents.
Les élections législatives organisées en décembre 2012 dans un contexte d’instabilité politique, avec la succession de six Premiers ministres depuis 2006, ont ramené au pouvoir le Parti libéral-démocrate (PLD, conservateur) et Shinzo Abé, ancien chef du gouvernement de 2006 à 2007.
Sur le plan des droits de l’homme, la situation du Japon est relativement bonne, même si la discrimination envers les minorités ethniques et le racisme, les violences domestiques, le trafic d’êtres humains (essentiellement des femmes et des jeunes filles exploitées sexuellement) ou encore le refus de faire face aux atrocités commises pendant la Seconde Guerre mondiale, notamment le problème de l’esclavage sexuel et des « femmes de réconfort », demeurent des sujets de préoccupation. Une autre source d’inquiétude porte sur le projet de réforme de la Constitution défendu par le PLD, qui ferait revenir la société vers un modèle plus autoritaire. Ce projet établit le concept d’« ordre public » comme limite à la liberté individuelle et revient sur plusieurs dispositions essentielles concernant les droits de l’homme. L’article 97, qui évoque les droits fondamentaux garantis au peuple, serait ainsi supprimé.
Pratiques de la torture
Bien qu’interdits et relativement rares, la torture et les mauvais traitements restent pratiqués dans les lieux de détention au Japon, notamment lors de la période de garde à vue. Les conditions de détention dans les couloirs de la mort et le secret qui entoure l’exécution des condamnés, ainsi que la brutalité du traitement réservé aux demandeurs d’asile, peuvent aussi être assimilés à des traitements inhumains ou dégradants.
Abus commis par la police
Le système des Daiyo Kangoku (« prisons de substitution » : centres de détention provisoire gérés par les forces de police et non par l'administration pénitentiaire) permet aux policiers de détenir un suspect jusqu’à vingt-trois jours, avec un accès limité à un avocat et sans contrôle judiciaire, et de l’interroger sans restriction de durée afin d’obtenir des aveux. Les cellules qui se trouvent dans les postes de police ne sont pas adaptées à un long séjour et ne peuvent garantir des conditions de détention satisfaisantes. La torture physique reste rarement employée, même si l’utilisation de méthodes telles que les coups de pieds, la privation de sommeil, les positions de stress, la privation d’eau et de nourriture ont été rapportées. En revanche, les pressions psychologiques, les interrogatoires prolongés, les humiliations, les menaces – notamment sur la réputation, dans un pays où il est insupportable de « perdre la face » – sont largement répandus.
Cette procédure mène à des faux témoignages, ce qui pose d’autant plus problème que les tribunaux japonais ont tendance à accorder une très grande importance aux aveux. Le cas d’Iwao Hakamada, qui attend son exécution depuis quarante-cinq ans, est exemplaire. Condamné sur la base de confessions faites après vingt jours de détention sans avocat, il clame que son aveu lui a été arraché sous les coups et les menaces, lors de séances d’interrogatoire qui ont parfois duré plus de seize heures par jour. Par ailleurs, il semble aujourd’hui que les preuves retenues contre lui ont été fabriquées par la police. Govinda Prasad Mainali, Népalais condamné en 1997 pour meurtre, a expérimenté la même situation. Lors de sa détention, il n’a pas eu accès à un avocat et a avoué le crime après avoir été frappé à coups de poing et de pied. Il n’a été reconnu innocent qu’après quinze ans de prison.
Le gouvernement japonais n’a jusqu’à présent pris aucune mesure pour réformer le système des Daiyo Kangoku. En juin 2013, seize ONG ont demandé au gouvernement d’instaurer l’enregistrement audio et vidéo des interrogatoires.
Conditions carcérales
Avec près de 70 000 personnes en prison, le Japon affiche un taux d’incarcération relativement bas (55 détenus pour 100 000 habitants, contre106 pour la France). Cependant le système carcéral japonais est très dur et a même été qualifié de « moyenâgeux » par un délégué durant l’examen du pays devant le Comité contre la torture* (CAT) en 2013.
Le Comité a pointé la surpopulation des prisons (le Japon manque d’infrastructures pénitentiaires), le manque d’accès aux soins, ainsi que l’emploi abusif et non encadré de punitions et de moyens d’entrave tels que menottes de contention ou camisoles de force. Le recours à l’isolement* pour des périodes prolongées et sans limite de temps continue d’être pratiqué. Environ 20 prisonniers sont aujourd’hui soumis à ce régime depuis plus de dix ans au total. La durée excessive des peines d’emprisonnement a aussi été soulignée : fin 2011, huit condamnés étaient incarcérés depuis plus de cinquante ans. Cette pratique peut détériorer la santé physique et mentale des prisonniers et constituer un traitement inhumain et dégradant. En outre, la possibilité de libération sur parole des condamnés à perpétuité est limitée depuis 1998, ce qui peut rendre la sentence disproportionnée et cruelle.
Traitement réservé aux condamnés à mort
43 exécutions par pendaison ont eu lieu depuis 2007. Avec sept prisonniers pendus en 2012, le rythme des exécutions s’accélère dans le pays et plus de 130 condamnés attendent aujourd’hui dans les couloirs de la mort. Certains d’entre eux souffrent de troubles mentaux et d’autres sont même mineurs. Un adolescent de 19 ans a été exécuté en 2010 pour un crime commis un an plus tôt (la majorité civile au Japon est fixée à 20 ans).
Incarcérés dans des cellules de 5 m² éclairées constamment, surveillés par une caméra et séparés des autres prisonniers jour et nuit, les condamnés à mort doivent rester assis en permanence et demander une permission pour se lever ou se coucher. Ils sont tenus de rester silencieux, regarder droit devant eux et ils n’ont pas le droit de communiquer avec les autres détenus. Ils peuvent en théorie recevoir du courrier, mais en pratique les lettres de soutien provenant de l’extérieur ne sont pas délivrées et les correspondances sont soumises à la censure. Le recours à l’isolement pour de longues périodes (parfois plus de trente ans) est la norme pour les condamnés à mort. Le CAT a considéré que ce régime pouvait s’apparenter à de la torture.
Les détenus ne sont informés du moment de leur exécution que le jour même, leurs proches et les médias ne sont prévenus qu'une fois la sentence exécutée. Le refus d’indiquer à l’avance la date de l’exécution constitue une violation grave des droits du condamné et de sa famille et le Comité contre la torture a souligné la tension psychologique que cela infligeait aux détenus et à leurs familles. Ces conditions de détention entraînent souvent des souffrances mentales pour les condamnés ou aggravent celles auxquelles ils sont déjà confrontés. Les autorités estiment pourtant que ces dispositions ont pour but de préserver la « stabilité affective » des condamnés et ne portent pas atteinte à leurs droits.
Conditions d’internement dans les hôpitaux psychiatriques
La loi prévoit une procédure d’hospitalisation involontaire, qui permet l’internement de personnes sans que celles-ci ne soient entendues. En 2013, le CAT a fait état d’usages répétés de l’isolement, de la contrainte et de la médicalisation forcée à l’égard de ces patients. Le Comité a recommandé l’établissement d’un contrôle judiciaire sur le placement en centre psychiatrique et sur le recours aux traitements, ainsi que la mise en place d’un mécanisme d’appel.
Traitement des réfugiés et demandeurs d’asile
En 2012, 1 100 étrangers en attente d’expulsion étaient placés dans 19 centres de rétention, venant en majorité de Birmanie, du Sri Lanka ou du Kurdistan. Aucune période maximale de détention n’étant prévue, des migrants illégaux et demandeurs d’asile, y compris des familles avec enfants, sont détenus pour des périodes indéfinies : en novembre 2012, 24 individus étaient retenus depuis plus d’un an et demi et 75 depuis plus d’un an. Le cas d’un individu retenu pendant 47 mois a été recensé. Selon le Comité contre la torture, « la détention de personnes sans inculpation pour une durée indéfinie constitue en soi une violation de la Convention ». Il n’existe aucun mécanisme indépendant de contrôle du respect des droits de l’homme dans les lieux de rétention. Les ONG dénoncent pourtant la surpopulation (jusqu’à 9 détenus dans une pièce de 20 m²), le manque d’hygiène, d’accès aux soins et de nourriture qui prévalent dans ces centres et la détention de mineurs. En mai 2010, à la suite de deux suicides dans le centre d’Ibaraki , 70 détenus ont entamé une grève de la faim pour exiger de meilleures conditions de détention. Deux mois auparavant, 73 détenus avaient observé un mouvement similaire dans le centre d’Osaka.
Le principe de non-refoulement* n’est pas appliqué par le Japon, notamment parce que c’est au requérant, qui ne peut recevoir le conseil d’un avocat, de démontrer la réalité du risque de torture qu’il encourt en cas d’expulsion.
Les renvois forcés donnent souvent lieu à un usage excessif de la force. Si des directives en matière de recours à la contrainte existent à l’attention des agents de l’immigration, elles ne sont pas légalement contraignantes. Le cas d’Abubakar Awudu Suraj, un Ghanéen vivant au Japon depuis 20 ans et marié à une Japonaise, est emblématique : détenu 20 mois dans un centre de rétention, il a été expulsé en mars 2010. Selon son avocat, il s’est fait attacher et bâillonner avant d’être porté de force par 10 agents de l’immigration dans un avion, où il a perdu connaissance et a trouvé la mort quelques minutes après. L’autopsie n’a pu déterminer les causes de son décès, mais sa veuve a déclaré avoir vu des blessures sur son visage. En 2004 déjà, une Vietnamienne avait été renvoyée menottée, bâillonnée et enroulée dans une serviette.
Châtiments corporels
II n’y a pas de prohibition générale de toutes les formes de châtiments corporels au Japon. Ils sont autorisés à la maison, dans les institutions pénales et les centres de soins, mais sont bannis à l’école – le Comité pour les droits de l’enfant, en 2010, s’est cependant dit préoccupé par le fait que cette interdiction ne soit pas appliquée en pratique. La loi autorise l’usage de la « discipline appropriée » envers les mineurs et réprime seulement les châtiments qui « excèdent les normes sociales raisonnables actuelles ». Entre avril 2012 et mars 2013, 840 cas de châtiments corporels infligés par des enseignants à leurs élèves ont ainsi été recensés, dont un tiers a entraîné des blessures. 1 890 élèves ont déclaré avoir subi des punitions corporelles. Des cas de gifles, de coups de pied et de coups de tête ont été rapportés, ainsi que des sanctions telles que l’obligation de courir 40 kilomètres. Le suicide d’un lycéen de 17 ans en décembre 2012 a attiré l’attention des Japonais sur la maltraitance à l’école. L’adolescent avait régulièrement subi des abus physiques de la part de son professeur de sport et avait été giflé à plusieurs reprises par ce dernier la veille de son suicide.
Les brimades et les violences sont aussi endémiques dans les forces d’autodéfense , où près d’un tiers des femmes engagées déclarent avoir été victime de harcèlement sexuel.
Législation et pratiques judiciaires
Condamnation juridique de la torture
Le Japon a ratifié la Convention contre la torture, mais n’a pas signé son Protocole facultatif qui prévoit l’inspection des lieux privatifs de liberté et n’a pas accepté la possibilité pour les particuliers d’adresser des communications au CAT.
La Constitution japonaise dispose que les « les droits de l’homme fondamentaux » sont « éternels et inviolables ». L’article 36 interdit le recours à la torture et l’article 38 prévoit l’irrecevabilité devant un tribunal d’aveux obtenus par la contrainte.
Le droit japonais ne connaît cependant pas de définition légale de la torture et n’a pas incorporé celle de la Convention contre la torture. Les articles 194 à 196 du Code pénal répriment les « agressions » et les « actes de cruauté mentale ou physique » commis par « une personne exerçant ou assistant dans l’exercice des pouvoirs de police, de justice ou de poursuite » ou par « une personne qui garde ou escorte une autre personne détenue ou incarcérée conformément à la loi », ce qui est plus étroit que l’article 1 du texte des Nations unies. De plus, les règles de prescription prévues pour des actes de torture ou des mauvais traitements sont en contradiction avec la Convention.
Le projet de réforme de la Constitution du PLD remet en cause plusieurs mesures sur les droits de l’homme. L’article 36, qui dispose que « l’imposition de la torture ou de châtiments cruels par un fonctionnaire est absolument interdite » devrait voir disparaître l’adverbe « absolument ».
Il n’existe pas à ce jour d’Institution nationale des droits de l’homme (INDH) conforme aux Principes de Paris. Un projet du précédent gouvernement avait soulevé des inquiétudes, puisqu’il ne prévoyait pour l’organisme concerné ni la possibilité d’effectuer des visites dans les lieux de détention, ni celle d’émettre des recommandations et ne lui offrait pas de garanties d’indépendance.
Poursuite des auteurs de torture
Les allégations de violences ou d’homicides perpétrés par des agents publics font le plus souvent l’objet de poursuites et les victimes peuvent demander réparation auprès de l’État. Elles sont cependant souvent confrontées à des difficultés pour obtenir une compensation. Par exemple, la possibilité pour les étrangers détenus en centres de rétention de se plaindre de torture ou de mauvais traitements auprès d’un tribunal est soumise à réciprocité, c’est-à-dire à la condition qu’ils proviennent d’un pays qui autorise les Japonais à demander réparation à l’État.
En ce qui concerne le nombre d’agents publics poursuivis et condamnés pour torture ou mauvais traitements, le Japon ne fournit pas de statistiques globales. En 2013, l’Agence de la police nationale a évoqué 552 plaintes concernant des interrogatoires en Daiyo Kangoku en 2011, a confirmé 27 cas de violations des règles d’interrogatoire et annoncé l’adoption de sanctions disciplinaires – sans fournir plus de précisions. Cependant, selon le Comité contre la torture, sur 141 plaintes déposées en 2011 pour torture ou mauvais traitements commis dans des Daiyo Kangoku, aucune n’a abouti à des poursuites pénales. Dans le cas de M. Yanagihara, condamné pour viol en 2002 à la suite d’aveux extorqués lors de sa détention et innocenté en 2007, les policiers responsables de l’enquête n’ont jamais été inquiétés. Même la demande formulée par M. Yanagihara de faire comparaître ou témoigner ces derniers lors de son procès en révision a été rejetée. Cependant, il semblerait que le système commence à évoluer : un procureur a récemment été licencié pour des menaces de mort proférées lors d’un interrogatoire.
Les recours et procédures de plaintes contre les conditions carcérales sont ineffectifs. Plusieurs institutions chargées d’entendre les prisonniers et de contrôler les conditions de détention existent, mais elles ne disposent pas de l’indépendance nécessaire. Ainsi, les Comités d’inspection, mis en place en 2006, peuvent recevoir des plaintes et émettre des recommandations, mais sont formés de membres nommés par le ministère de la Justice, à l’instar de l’Inspecteur en chef des prisons et du Responsable régional des services correctionnels. Des recours judiciaires existent, mais restent difficilement accessibles en raison du manque d’assistance judiciaire, de la censure du courrier et de la présence des autorités carcérales pendant les réunions entre détenus et avocats.
Par ailleurs, les tribunaux ont tendance à se montrer cléments envers les représentants de l’État : en 2005, deux gardiens de prison, reconnus coupables d’avoir tué un détenu en lui injectant à haute pression de l’eau par l’anus, n’ont été condamnés qu’à une peine de prison avec sursis. Le tribunal a considéré qu’il ne s’agissait pas d’une forme de punition, mais d’une tentative de laver le prisonnier. De même, le Parquet a abandonné les poursuites contre les 10 policiers de l’immigration qui avaient procédé à l’expulsion de M. Suraj en 2010, après avoir jugé que la cœrcition n’était pas la cause de la mort, alors qu’il avait été établi que les agents avaient utilisé des moyens d’entrave non autorisés. En juin 2013, l’action en réparation contre l’État était toujours en cours.