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PLANÈTE ET DROITS HUMAINS : IL Y A URGENCE

La dégradation de la planète met en péril le droit à un environnement sain des populations, notamment les plus vulnérables. Mais ses conséquences menacent aussi d'autres droits humains.
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Dans l'État brésilien du Pará, Maria do Socorro Silva milite pour la reconnaissance du droit à la terre des communautés autochtones/ Crédit : Thom Pierce pour Global Witness.
Le 14 / 05 / 2019

« Le changement climatique est une menace pour nous tous, pour les générations futures et pour la jouissance des droits humains. » C’est ainsi qu’en 2016, le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme (HCDH) tirait la sonnette d’alarme. « Un monde qui se réchauffe continuellement sera un cimetière pour des écosystèmes entiers, des peuples entiers – et potentiellement même des nations entières », tempêtait-il alors en amont de la Conférence de Marrakech sur les changements climatiques (COP22). Quelques jours plus tard, le Conseil des droits de l’homme adoptait une résolution, défendue par le Bangladesh et les Philippines, appelant à faire face aux conséquences du dérèglement climatique sur les droits humains.

Que ces deux pays soient en tête d’une lutte associant les enjeux majeurs de l’humanité, que sont le climat et les droits de l’homme, ne doit rien au hasard. L’augmentation des températures et ses conséquences frappent d’abord les pays les moins avancés et les populations les plus vulnérables (voir p. 24). De même, « le changement climatique exacerbe la pauvreté et les inégalités », selon le Secours catholique. Et il suffit de consulter le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur le changement climatique (GIEC) pour comprendre à quel point il y a urgence : le réchauffement de la planète pourrait atteindre 3°C d’ici 2100 et peser toujours plus lourdement sur les populations.

Violations des droits de l'homme

Si elles sont en première ligne, c’est aussi parce que, poussées par l’impératif vital de défendre leur environnement, les populations vulnérables sont les premières à s’élever contre sa dégradation. Global Witness dresse dans son rapport À quel prix ? un état des lieux annuel des assassinats et des agressions des défenseurs de l’environnement. D’après l’ONG, les mobiles de ces crimes visent à défendre un système de production et de consommation basé sur l’exploitation des ressources naturelles : « La terre est exploitée pour l’extraction minière, le sol et l’eau douce sont empoisonnés, mettant en péril la santé et le futur des communautés voisines. Ces abus sont tolérés, facilités et parfois, même perpétrés par des entreprises et des investisseurs irresponsables, ainsi que par des gouvernements corrompus et négligents, qui sont inflexibles dans leur ambition de répondre à la demande des consommateurs et de maximiser les profits », explique Heather Iqbal de Global Witness. À titre d’exemple, le Colombien Hernán Bedoya a été abattu par un groupe paramilitaire parce qu’il protestait contre l’exploitation d’huile de palme et de bananiers sur les terres de sa communauté. Dans la ville de Viana au Brésil, 22 autochtones Gamela ont été gravement blessés en avril 2017 par des miliciens, visiblement employés par des propriétaires terriens pour les chasser de leurs terres.

Aussi, les ressources naturelles se retrouvent souvent au cœur de conflits meurtriers pour les populations. Comme au Tibet, qui affronte les convoitises de son occupant chinois sur les richesses de son territoire. Cuivre, chrome, borax, uranium, lithium… Celles-ci sont nombreuses et leur exploitation « se fait au détriment des croyances des Tibétains, pour lesquels le paysage est sacralisé », explique Françoise Robin, professeure à l’Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco). De même, ce territoire est « propice à la construction de barrages de par la présence de grands fleuves ». Si l’intention chinoise de miser sur l’énergie hydraulique pour réduire sa dépendance au charbon est louable, les méthodes employées le sont moins. Par exemple, le barrage Lianghekou – annoncé comme le troisième plus grand du monde et d’une capacité de 3 000 Mégawatt – engendrera le déplacement de 6 000 personnes, de cinq monastères et l’ensevelissement de plusieurs montagnes sacrées. Criminalisés, les Tibétains qui manifestent sont systématiquement accusés de séparatisme. Ils subissent une répression organisée avec la complicité d’une justice placée sous l’autorité du Parti communiste chinois. Parmi eux, Karma Samdrup a été condamné à 15 ans de prison en 2010. Accusé d’avoir pillé des tombes – chef d’accusation pour lequel il avait pourtant été innocenté –, il a été inculpé après avoir pris la défense de son frère, lui-même condamné à 21 mois de camp de rééducation de travail pour s’être engagé contre le braconnage.

Écart persistant

Autre droit bafoué en même temps que se perpétue la destruction de l’environnement, le droit d’informer. Les journalistes environnementaux sont aujourd’hui davantage exposés aux violations des droits humains : « Enquêter sur l’environnement, c’est enquêter sur la corruption, des scandales, ce qui en fait une thématique dangereuse », développe Virginie Dangles, rédactrice en chef à Reporters sans Frontières. L’ONG leur a consacré un rapport en 2015, ainsi qu’une partie du rapport Les journalistes, bêtes noires de la mafia, publié en 2018. « Les journalistes environnementaux dérangent des groupes criminels, en mettant en lumière des activités qui, comme le trafic de sable en Inde ou la déforestation en Amérique latine, sont censées rester opaques », détaille Virginie Dangles. Liberté d’expression, droit à l’information, droits fonciers, respect des croyances religieuses et de la dignité … Plus de 25 ans après la Déclaration de Vienne qui proclamait pour la première fois le droit à un environnement sain, la liste des droits humains mis en péril par les conséquences du réchauffement climatique ne fait que s'allonger. Pourtant, l’écart persiste entre cet état des lieux malheureusement non exhaustif et les engagements pris lors de la dernière Conférence sur les changements climatiques, à Katowice (Pologne) en décembre 2018. Selon le Saint-Siège, le règlement alors adopté par les États « minimisait les droits de l’homme ». Et de conclure à propos des personnes les plus vulnérables : « Leur cri et celui de la Terre demandent plus d’ambition et plus d’urgence. »

INFOS CLEFS

1993 : la Conférence mondiale sur les droits de l’homme adopte  la Déclaration et le Programme d’action de Vienne, où figure le droit à un environnement sain.

2010 : la Conférence de Cancún (COP16) met en avant le lien entre dérèglement climatique et droits de l’homme.

2014 : la Conférence de Lima (COP20) lance un programme de travail sur les droits humains pour qu’ils soient intégrés dans les actions climatiques.

207 défenseurs de l’environnement assassinés en 2017 (source : Global Witness).

40 journalistes environnementaux tués  entre 2005 et 2016 (source : Université du Michigan).

Par Anna Demontis, chargée de projet éditorial à l'ACAT

  Article issu du n°10 d'Humains

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