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Le défi de la réunification familiale

Réunir en France sa famille restée à l’étranger est l’un des défis qui se pose aux réfugiés une fois la protection obtenue. Si vivre en famille est un droit fondamental, la réalité est plutôt celle d’un parcours du combattant, aux conséquences parfois dramatiques.
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Une jeune syrienne retrouve sa famille © Christinne Muschi / Reuteurs
Le 23 / 08 / 2019

Par Mathilde Mase, responsable des programmes asile
Article issu du n°13 d'Humains septembre-octobre 2019 (à paraître)

« La famille est l’élément naturel et fondamental de la société et a droit à la protection de la société et de l’État. » C’est ainsi que la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH), dans son article 16, et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), dans son article 23, consacrent le droit pour chacun à vivre réuni avec sa famille proche. Plus qu’une étape essentielle à l’intégration, faire venir sa famille en France est donc, pour les personnes réfugiées, un droit fondamental internationalement reconnu et auquel la France reconnaît, en théorie, une valeur constitutionnelle. Quelques chiffres suffisent pourtant à nous interroger sur l’écart entre ce que prévoit le droit et la réalité : entre 2013 et 2016, le nombre de visas accordés dans le cadre des réunifi cations familiales a baissé, tandis que le nombre de nouvelles personnes protégées – et donc susceptibles de solliciter une réunification – a augmenté de 230 %. S’ils mériteraient d’être plus détaillés, ces chiffres sont corroborés par le constat dressé à la permanence juridique de l’ACAT. De nombreuses familles de réfugiés demeurent séparées pendant de longues années, en raison des multiples obstacles auxquelles elles se heurtent au gré d’une procédure complexe, longue et coûteuse.

LABYRINTHE ADMINISTRATIF

Codifi ée depuis 2015 (voir encadré), la procédure de réunification familiale s’étire souvent sur plusieurs mois, voire plusieurs années. Le labyrinthe administratif commence par la consultation du site officiel france-visas.gouv.fr pour obtenir des informations sur les démarches à effectuer, qui diffèrent selon le pays dans lequel se trouve la famille. La personne protégée doit compléter en ligne un formulaire de demande de visa long séjour pour chacune des personnes rejoignantes, puis solliciter un rendez-vous au consulat de France dans le pays concerné via un prestataire privé payant, auprès duquel sa famille déposera les formulaires imprimés avec tous les justificatifs. Le degré de délégation varie d’un pays à l’autre. Parfois, le consulat ne sous-traite à cette entreprise que la gestion des plannings de rendez-vous (par exemple, pour la République démocratique du Congo ou la Guinée). Dans d’autres pays, par exemple le Liban ou le Maroc, c’est l’entreprise elle-même qui reçoit les familles en rendez-vous, collecte leur dossier et leur remet ultérieurement la décision du consulat.
Une fois ces demandes déposées et les frais de visa payés – 99€ par personne –, les dossiers sont transmis au Bureau des familles de réfugiés (BFR) du ministère de l’Intérieur à Nantes, chargé de vérifier la composition familiale en lien avec l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA). Le BFR partage le résultat de l’instruction avec le consulat, qui prend ensuite une décision positive ou négative dans un délai de deux mois à compter du dépôt de la demande de visa, porté à quatre mois renouvelables une fois si le consulat estime que des vérifi cations d’identité sont nécessaires. Une absence de réponse dans le délai imparti équivaut à un rejet implicite.

SUSPICION SYSTÉMATIQUE

En cas de refus, la personne réfugiée peut former un recours administratif dans un délai de deux mois devant la Commission de recours contre les refus de visas (CRRV) à Nantes. Bien que celle-ci rende quasisystématiquement des décisions de refus, explicites ou implicites, cette étape tout à fait inutile reste  un passage obligé pour que la personne protégée puisse déposer un recours contentieux devant le Tribunal administratif de Nantes, avec l’aide d’un avocat. L’examen de ce recours prendra encore de longs mois avant d’aboutir éventuellement à la délivrance des visas.
Certains cas suivis par la permanence juridique de l’ACAT laissent penser que les familles ne sont pas toujours traitées sur un pied d’égalité. Certaines nationalités subiraient une suspicion systématique quant à l’authenticité de leurs actes d’état civil. C’est notamment le cas en Guinée. Les actes établis par l’OFPRA lui-même et les preuves matérielles des liens familiaux ne sont pas forcément pris en compte par les consulats, alors qu’ils font foi jusqu’à preuve du contraire. Les administrations exigent aussi des documents parfois impossibles à fournir : des photos détruites ou perdues dans l’urgence de la fuite, des actes de décès dont la cause est imputable aux autorités du pays d’origine, des délégations d’autorité parentale de la part de parents victimes de disparition forcée, etc. Les services consulaires peuvent aussi être inaccessibles dans certains pays, comme l’Afghanistan, la Somalie et la Syrie. Les familles, y compris les mineurs, doivent alors parvenir à se déplacer dans un pays limitrophe pour y déposer leur demande, avec tous les risques que cela peut comporter pour leur vie ou leur sécurité. À toutes ces entraves, il faut ajouter le coût fi nancier de ces démarches : frais de rendez-vous, frais de visa et prix des billets d’avion pour lesquels il n’existe pas de système de prise en charge, même partielle.

FACTEUR D’INTÉGRATION

Cette situation est d’autant plus préoccupante que pour les réfugiés il ne s’agit pas seulement de faire respecter un de leurs droits fondamentaux, mais également d’envisager de manière sereine et sécurisée leur installation en France. Dans la mesure où ils ne pourront jamais retourner dans leur pays d’origine, le droit de mener une vie privée et familiale normale implique nécessairement que ces personnes puissent être rejointes par leur famille. D’autant que les proches sont parfois en danger à l’étranger, notamment du fait de leur lien familial avec la personne qui a fui des persécutions.
Il peut aussi s’agir d’enfants livrés à euxmêmes, dont l’autre parent est décédé ou a disparu. Qui plus est, la vie familiale est un socle essentiel à l’épanouissement de chacun et un facteur d’intégration dans le pays d’accueil. Surtout lorsque l’on doit se reconstruire après les persécutions, le parcours d’exil et les épreuves  traversées en France pour obtenir l’asile. Or, la privation ou l’entrave à l’exercice du droit à la réunification peut avoir des conséquences dramatiques.
Récemment, l’ACAT a déploré le décès d’une femme réfugiée atteinte d’une pathologie grave qui, faute d’avoir pu être réunie rapidement avec son conjoint et ses enfants, est décédée seule en France. De
même, une mère de famille réfugiée, dont la demande de réunifi cation était en cours d’examen depuis deux ans, a perdu ses deux enfants victimes d’un accident dans son pays d’origine.

 

Que prévoit le droit français ?

Toute personne bénéficiant du statut de réfugié ou de la protection subsidiaire peut être rejointe en France par son/sa conjoint(e) ou concubin(e) et leurs enfants non mariés, âgés au plus de dix-neuf ans. Contrairement aux autres étrangers en situation régulière, les personnes réfugiées ne sont soumises à aucune condition tenant à la durée de leur séjour en France, au montant de leurs revenus ou à la surface de leur logement. Toutefois, l’union ou la relation maritale doit être antérieure à la date à laquelle elles ont déposé leur demande d’asile. Si la personne réfugiée est mineure, elle peut alors être rejointe par ses parents et, depuis le 1er mars 2019, par ses frères et soeurs mineurs.

 

Que demande l’ACAT ?

L’ACAT défend le droit à la réunification familiale des réfugiés et, dans le cadre de sa permanence à Paris, les accompagne dans leurs démarches juridiques pour faire venir leurs proches.

L’ACAT demande particulièrement :

  • UN ACCÈS DIRECT DES FAMILLES AUX CONSULATS, sans passer par des prestataires privés qui engendrent des coûts et délais supplémentaires.
  • DES FRAIS DE VISA RÉDUITS, étant donné la situation de vulnérabilité et d’urgence des personnes concernées.
  • LA PRISE EN COMPTE DES ACTES D’ÉTAT CIVIL établis par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) et des preuves matérielles des liens familiaux, sans suspicion a priori.
  • LA NOTIFICATION ET LA MOTIVATION SYSTÉMATIQUES des refus de visa.
  • LA SUPPRESSION DE L’ÉTAPE INUTILE DE DÉPÔT D’UN RECOURS devant la Commission de recours contre les refus de visas, préalablement à la saisine du Tribunal administratif.

infographie : Coralie Pouget / ACAT

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