YEMEN. La légalité des ventes d'armes françaises mise en cause
ACAT et AMNESTY INTERNATIONAL
COMMUNIQUÉ DE PRESSE
20 Mars 2018 à 11 h 00
Ces ONG appellent à un véritable débat public suite aux conclusions d’une étude juridique du cabinet Ancile Avocats (mandaté par les deux organisations), rendue publique aujourd’hui. Cette étude révèle notamment :
- le manque considérable de transparence de la part des autorités françaises au sujet des transferts d’armes à l’Arabie saoudite et aux EAU depuis le début du conflit au Yémen, alors qu’il existe un risque juridiquement élevé que certains de ces transferts soient illégaux, au regard des engagements internationaux de la France ;
- que la France, troisième exportateur d’armes au monde, poursuit ses transferts d’armes à l’Arabie saoudite et aux EAU quand d’autres pays de l’Union Européenne, comme l’Allemagne, ont fait le choix de suspendre leurs transferts, alertés par la communauté internationale sur les violations graves du droit international humanitaire ;
- que le gouvernement français contreviendrait à ses engagements internationaux : le Traité sur le commerce des armes (TCA) et la Position Commune 2008/944/PESC du Conseil de l’Union européenne du 8 décembre 2008, définissent en effet des règles communes qui régissent le contrôle des exportations d'équipements et de technologies militaires, afin d’empêcher que les armes soient utilisées pour commettre des violations graves du droit international humanitaire et relatif aux droits humains. Le gouvernement français et la Commission interministérielle pour l’étude des exportations de matériel de guerre (CIEEMG), qui examine les demandes d’exportation notamment au regard des obligations internationales, n’auraient pas respecté les dispositions fixées par ces instruments juridiquement contraignants dans le cadre des ventes d’armes françaises à l’Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis.
La France vend des armes à une coalition coupable de violations graves envers la population civile
En tant que partie au TCA, la France s’est engagée à ne pas autoriser les transferts d’armements dès lors qu’il existerait un risque prépondérant ou clair que ces armes puissent être utilisées pour commettre ou faciliter des violations graves du droit international humanitaire (DIH). Il semble aujourd’hui incontestable que la France ait eu connaissance de la commission de telles violations par les différentes parties au conflit yéménite. L’attitude de la France est plus grave encore du fait qu’elle a obligation au regard du droit international, même si elle n’est pas partie au conflit en cours, de faire respecter les conventions de Genève en toute circonstance et de s’abstenir d’assister la commission de violations du droit international humanitaire.
Les violations du droit humanitaire par la coalition ont eu lieu de façon « généralisée et systématique » depuis le début du conflit selon les Nations unies : attaques de civils et de biens civils (bombardements de marchés, hôpitaux, commerces ou écoles), conséquences tragiques du blocus sur les civils et utilisation d’armes prohibées telles que les bombes à sous-munitions.
La France a continué ses livraisons de matériels de guerre (véhicules blindés de combats, intercepteurs maritimes, artillerie, missiles, matériel de ciblage équipant les avions de chasse saoudiens, etc.) à l’Arabie saoudite et aux EAU, malgré le fait qu’ils puissent être utilisés pour commettre ou faciliter des crimes de guerre par la coalition. La France a vraisemblablement continué à livrer des munitions et à assurer la maintenance de matériels bien qu’ils soient engagés au Yémen, à l’exemple de chars Leclerc. La France a aussi fourni une assistance technique sur les Mirage 2000-9 émiriens utilisés dans le cadre du conflit.
« En vertu de ses engagements internationaux, il est incontestable que la France n’aurait pas dû autoriser l’exportation d’armes à l’Arabie saoudite et aux EAU depuis le mois d’avril 2015 », a déclaré Aymeric Elluin, chargé de plaidoyer Armes et justice internationale chez Amnesty International France. « Si la responsabilité de l’actuelle catastrophe humanitaire au Yémen incombe avant tout aux forces gouvernementales et aux pays de la coalition ainsi qu’au mouvement houthi et à ses alliés, les fournisseurs d’armes aux belligérants, tels que la France, endossent également une responsabilité morale, politique et légale pour les conséquences dramatiques liées à l’usage qui en est fait ».
Double discours ?
Si la France assure qu’elle applique une politique rigoureuse de contrôle de ses exportations d’armement, elle a pourtant bien accordé en 2016 des licences à des entreprises françaises pour la fourniture de matériels de guerre - et assimilés - à l’Arabie saoudite, pour un montant de plus de 19 milliards d’euros. Côté Émirats arabes unis, c’est un montant de 25,6 milliards d’euros de licences qui a été octroyé par la France.
Le gouvernement français continue à autoriser la signature de nouveaux contrats, tels que, récemment, la vente annoncée de corvettes Gowind 2500 aux EAU ou la fourniture de patrouilleurs de type Combattante FS56 à l’Arabie saoudite. Il existe pourtant un risque de voir ce type de navires engagés dans le blocus naval des ports yéménites par la coalition, contribuant ainsi à la sanction collective imposée à la population civile yéménite.
« La France doit s’abstenir de porter assistance à la coalition en conflit au Yémen, notamment en lui fournissant des armes et en lui octroyant assistance technique et formations, alors que cette coalition est responsable de violations graves du DIH vraisemblablement constitutives de crimes de guerre », déclare Hélène Legeay, responsable des programmes Maghreb – Moyen Orient à l’ACAT.
Opacité, manque de contrôle et déficit démocratique
L’étude juridique révèle par ailleurs le manque considérable de transparence de la part des autorités françaises dans les exportations et ventes d’armes autorisées par la France. Les délibérations de la CIEEMG, chargée d’examiner les demandes de licences, sont absolument confidentielles.
« En termes de transparence, la France fait aujourd’hui le strict minimum », déclare Aymeric Elluin. « Si le ministère des Armées remet chaque année un rapport sur les exportations de la France au Parlement, ce document n’apporte aucune information exhaustive et détaillée sur les types d’armes fournies, sur les quantités, sur le type de destinataire et sur l’utilisation finale. Ce rapport ne permet absolument pas de s’assurer que la France respecte ses obligations internationales relatives au TCA et à la Position commune. Il est impératif que le Parlement débatte des ventes d’armes françaises et exerce un contrôle sur celles-ci. »
« Le rapport au Parlement ne permet même pas de savoir si la France a refusé d’autoriser des exportations d’armements vers l’Arabie saoudite et les EAU en raison du risque d’utilisation dans le conflit yéménite », ajoute Hélène Legeay. « On ne sait pas non plus si des licences octroyées avant le début du conflit ont été suspendues ou annulées depuis avril 2015. La poursuite des livraisons permet d’en douter. Les dispositions du code de la Défense permettant de revenir sur des licences accordées sont un outil essentiel pour garantir le respect, par la France, de ses engagements internationaux malgré des changements de contexte dans les pays importateurs. »
Face à l’opacité et aux conséquences potentiellement désastreuses en termes de droits humains du système d’exportation d’armes françaises, Amnesty International France et l’ACAT appellent le gouvernement français à :
- suspendre immédiatement toute livraison d’armes, de munitions, de véhicules militaires, de pièces détachées ou d’autres matériels ou technologies militaires à destination de la coalition dirigée par l’Arabie saoudite, ainsi que tout soutien logistique et financier à ces livraisons ou toute aide aux opérations militaires de cette coalition, aussi longtemps qu’il existera un risque que ces armes puissent être utilisées pour commettre des violations graves du droit international au Yémen ;
- renforcer son système de contrôle à l’exportation afin de pouvoir être à même de respecter ses obligations au terme du droit international, notamment en s’assurant jusqu’au moment de la livraison et pas uniquement au moment de l’octroi de la licence que le destinataire des équipements respecte le droit international ;
- mettre fin à l’opacité autour de ses ventes d’armes en améliorant son effort de transparence annuelle de façon à ce que les informations fournies soient plus détaillées, exhaustives et actualisées.
Note à l’attention des rédacteurs
Historique du conflit. Le 25 mars 2015, une coalition internationale menée par l’Arabie saoudite (Bahreïn, Égypte, Jordanie, Koweït, Maroc, Soudan, Émirats arabes unis) a lancé des frappes aériennes contre le groupe armé houthi au Yémen, déclenchant un conflit armé de grande ampleur. Les Houthis étaient alliés aux partisans de l’ancien président du Yémen, Ali Abdullah Saleh. Face à eux, les forces anti-Houthis sont alliées à l’actuel président, Abd Rabbo Mansour Hadi, et à la coalition menée par l’Arabie saoudite. Le conflit s’enlise malgré les tentatives de cessez-le-feu et de négociations. En janvier 2018, le programme ECHO de l’UE a estimé que 22,2 millions de personnes (soit 80 % de la population yéménite) avaient besoin d’aide ou de protection humanitaire. Des violations graves du droit international humanitaire ont été commises par toutes les parties au conflit Ces violations ont été documentées par diverses organisations et pourraient constituer des crimes de guerre.
Livraison d’armes. Un embargo sur les armes aux rebelles houthis a été voté par le Conseil de sécurité des Nations unies en avril 2015. La coalition menée par l’Arabie saoudite continue par contre de recevoir des livraisons d’armements, entre autres, de la part du Royaume-Uni, des Etats-Unis et de la France. L’Arabie saoudite et les Emirats arabes unies étant les deux principaux pays engagés dans le conflit, l’avis juridique porte sur ces deux pays.
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