L'écrivain américano-camerounais Patrice Nganang retrouve la liberté
L'écrivain camerounais Patrice Nganang, qui possède la nationalité américaine, a été expulsé manu militari du Cameroun vers les Etats-Unis, le mercredi 27 décembre 2017. Son passeport camerounais lui a été confisqué.
Il avait été arrêté le 6 décembre 2017 à l'aéroport international de Douala alors qu'il était en zone internationale et s'apprêtait à prendre un vol pour Harare, capitale du Zimbabwe. Accusé d'"outrage au chef de l'Etat" pour un article publié sur sa page Facebook qui menaçait de mort Paul Biya au pouvoir depuis 1982, Patrice Nganang a finalement été poursuivi pour : "Apologie de crime", "menaces" et "outrage à corps constitués" au cours de la première audience de son procès qui s'est tenue le 15 décembre à Yaoundé. Il a plaidé non coupable.
La détention prolongée de ce citoyen américain, enseignant à l'université de Stony Brook, devenait trop génante pour le régime de Paul Biya, auquel les USA apportent une aide subsantielle en terme de coopération militaire et de défense. La pression devenait trop forte... Et une fois de plus, dans une affaire hautement politique, le pouvoir exécutif est intervenu pour donner des consignes au pouvoir judiciaire. Le jour de son expulsion, les poursuites contre Patrice Nganang ont donc été abandonnées au cours d'une session matinale du tribunal de première instance de Yaoundé, qui devait normalement traiter l'Affaire le 19 janvier 2018.
Selon le ministre de la Communication, M. Issa Tchiroma, le président Paul Biya a "décidé de libérer ce délinquant conformément aux dispositions constitutionnelles, qui lui donnent la latitude de faire interrompre toute poursuite pour des raisons qu’il estime nécessaires".
"Au Cameroun, la justice n'est pas indépendante dans les affaires politiques. l'Affaire Nganang en est la preuve" indique Clément Boursin, Responsable des programmes Afrique à l'ACAT. En effet, selon l’article 64, alinéa 1 du code de procédure pénal, le procureur général près la cour d’appel peut, sur autorisation du ministre de la Justice, requérir l’arrêt des poursuites contre un prévenu à tout stade de la procédure.
Pour Patrice Nganang, interviewé par Jeune Afrique le 3 janvier 2018, la vraie raison de son arrestation était avant tout liée à son voyage dans la zone anglophone du Cameroun qui connaît depuis une année une situation politique et sécuritaire dégradée depuis que les autorités ont décidé de réprimer dans la violence, sans témoins, les anglophones et leurs revendications sociétales.
Pendant sa détention, les questions étaient relatives au pourquoi il était allé là-bas, qui il avait rencontré. Les officiers de police judiciaire l'appelaient "Ambazonia", le terme que donnent les indépendantistes anglophones camerounais à leur Etat fictif.
La veille de son arrestation, le 5 décembre 2017, Patrice Nganang avait publié un "carnet de route en zone (dite) anglophone" sur le site Internet de Jeune Afrique. Il dénonçait dans cette tribune la gestion calamiteuse de la crise anglophone par le régime et concluait en affirmant que "seul le changement au sommet de l'Etat pourra régler le conflit anglophone au Cameroun". Cette prise de position publique n'a pas plu au sein du régime, d'autant plus que le Cameroun va connaître un scrutin présidentiel en octobre 2018 où il est fort probable que Paul Biya se représente une fois de plus... Ce dernier est au pouvoir depuis 1982.