Rwanda
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Contexte
La république du Rwanda est dirigée depuis 1994 par Paul Kagamé, chef du Front patriotique rwandais (FPR). Son gouvernement bénéficie d’un fort soutien international. Depuis que cette ancienne rébellion armée a pris le pouvoir au régime génocidaire, l’armée contrôle étroitement les espaces politique, économique et social en jouant sur la peur du retour des ex-génocidaires ayant fui dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC). Mais le long règne sans partage de Paul Kagamé et ses dérives autocratiques, notamment dans la gestion du conflit en RDC et dans la mise à l’écart d’opposants potentiels de son clan, engendrent des dissensions internes au sein du FPR et de l’armée. Les autorités s’attachent à donner une image exemplaire du pays et exercent pour ce faire un contrôle quasi complet de l’information. Pourtant, elles bafouent régulièrement les standards internationaux relatifs aux droits de l’homme quand il s’agit de respecter les libertés d’expression et d’association. À l’approche des élections, le pouvoir a tendance à restreindre encore plus ces droits fondamentaux et n’hésite pas à user de la violence, comme cela a été le cas en 2010 lors du scrutin présidentiel.
Pratiques de la torture
Le recours aux mauvais traitements et à la torture est relativement peu répandu envers les personnes retenues dans le système de détention officiel. Il touche plus celles arrêtées illégalement et détenues au secret*. 18 cas de torture commis par des agents de l’État dans des camps militaires ou des lieux de détention clandestins ont été rapportés entre 2010 et 2011. À la suite de cette dénonciation, les Forces rwandaises de défense (FRD) ont entrepris des réformes pour améliorer leurs méthodes d’interrogatoire et les conditions de détention.
Victimes
Les personnes considérées comme des adversaires du régime sont quasi systématiquement soumis à une répression pouvant aller jusqu’à la violence physique et l’assassinat. Les dissidents au sein du parti FPR, des forces militaires et des rébellions armées congolaises pro-Rwanda sont particulièrement ciblés par les brutalités. Dans la foulée d’attentats à la grenade perpétrés dans la capitale Kigali entre janvier et mars 2010 et de la fuite en Afrique du Sud, en février 2010, de Kayumba Nyamwasa, ancien chef d’état-major de l’armée, des agents de la Direction du renseignement militaire ont mené une vague d’arrestations de soldats soupçonnés de loyauté envers Kayumba Nyamwasa et de personnes suspectées d’appartenance aux Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), groupe d’opposition armé rwandais basé dans l’est de la RDC. En juin 2010, trente hommes, tous civils, ont été arrêtés et emmenés dans des lieux de détention illégaux. Au cours de leur interrogatoire, ils ont été torturés pour prononcer des aveux. Après huit mois de réclusion au secret, ils ont été remis à la justice et transférés dans des prisons civiles.
Plusieurs dissidents ont été enlevés, soumis à des sévices puis exécutés, sans que leurs corps soient retrouvés. Plus personne n’a de nouvelles du responsable religieux congolais Sheikh Iddy Abassi, proche du Congrès national pour la défense du peuple (CNDP) – mouvement de sédition congolais pro-Rwanda – et de Robert Ndengeye Urayeneza, ancien membre du FPR et dirigeant du Front patriotique congolais (FPC) – rébellion congolaise d’obédience rwandaise. Ils ont été respectivement enlevés le 25 mars 2010 et le 26 mars 2010. Le 7 mai 2010, Robert Ndengeye Urayeneza a pu appeler ses proches pour leur dire qu’il était emprisonné dans un lieu de détention clandestin au Rwanda. Selon les autorités, les deux disparus seraient en RDC.
Les personnes qui critiquent publiquement les autorités ou tiennent un discours différent de celui du parti au pouvoir (journalistes, opposants et défenseurs des droits de l’homme) sont réduites au silence, par des intimidations, des interpellations et parfois par des violences. Bon nombre d’entre elles ont fui le Rwanda pour protéger leur vie. À l’approche des élections présidentielles d'août 2010, l’opposante Victoire Ingabire, présidente des Forces démocratiques unifiées (FDU-Inkingi) – aujourd’hui en prison après avoir été condamnée abusivement sur la base de la loi réprimant « l’idéologie du génocide » – et son assistant Joseph Ntawangundi ont été agressés physiquement par des inconnus à Kigali en février 2010. Quant à André Kagwa Rwisereka, vice-président du Parti démocratique vert, il a été retrouvé décapité en juillet 2010 à Butare. Par ailleurs, les forces de l’ordre font souvent usage de la force contre les journalistes et ce sans raison apparente. Le 14 juin 2012, le journaliste Tusiime Annonciata de la radio Flash FM a été battu par des officiers de police devant le Parlement jusqu’à perdre connaissance. Les professionnels des médias dissidents qui ne quittent pas le pays se livrent à l’autocensure pour ne pas subir d’abus et de harcèlement.
Les populations vivant dans l’est de la RDC sont également exposées aux violences, notamment aux tortures, dont la responsabilité peut être en partie imputable aux autorités politiques et/ou militaires rwandaises. L’implication armée du Rwanda dans le Nord et le Sud-Kivu, à l’est de la RDC, depuis le milieu des années quatre-vingt-dix jusqu’à nos jours, notamment à travers l’envoi de militaires et le soutien à diverses rébellions congolaises, s’est constamment accompagnée de violations graves des droits de l’homme, dont de nombreux actes de torture. Les victimes de ces exactions sont principalement des Congolais, mais également des Rwandais hutus.
Tortionnaires et lieux de torture
La Police nationale rwandaise (Rwanda National Police-RNP), les Forces rwandaises de défense et la présidence de la République possèdent leur propre service de renseignement. La Division des investigations criminelles (Rwanda National Police Criminal Investigations Division), qui dépend de la police, est placée sous la responsabilité du ministère de l’Intérieur. Le Service national de sécurité et de renseignement (National Intelligence and Security Services-NISS) est rattaché à la présidence. Enfin, la Direction du renseignement militaire (Directorate of Military Intelligence-DMI), aussi dénommée J2, travaille pour l’armée. Ces organes gèrent un système parallèle d’arrestation et de détention de personnes soupçonnées de menacer la sécurité nationale et sont accusés d’avoir pratiqué la torture et les disparitions forcées* ces dernières années, particulièrement depuis l’entrée en vigueur en avril 2009 de la loi relative à la lutte contre le terrorisme qui donne une définition très large et floue de cette infraction et accorde plus de possibilités d’interpellation. Au Rwanda, un acte qualifié de terroriste est « un acte commis ou que l’on menace de commettre dans l’intérêt d’un individu, d’un groupe ou d’une organisation terroriste ».
La police, qui assure la sécurité intérieure, dispose de surcroît du droit de recourir à la force selon l’article 40 de la loi portant sa création, son organisation générale et sa compétence. Cette attribution doit être raisonnable et proportionnelle à l’objectif poursuivi, mais dans la réalité, elle permet aux agents d’employer la violence dans le cadre de leurs activités.
Les Forces rwandaises de défense, garantes de la sécurité extérieure, sont sous la responsabilité du ministère de la Défense, mais elles sont dirigées par le commandant en chef des armées, le chef de l’État. Elles sont régulièrement accusées de concourir aux brutalités dans l’est de la RDC.
Les gardiens de prison et les membres des forces de défense locales, qui secondent la police, et dont le nombre avoisine les 20 000 personnes, sont parfois mis en cause pour abus et violences dans l’exercice de leurs fonctions. Par ailleurs, les plus hautes autorités rwandaises soutiennent les activités criminelles de nombreux chefs de guerre dans l’est de la RDC, dont les troupes usent régulièrement de la torture. Deux d’entre eux, Laurent Nkunda, ancien chef du Congrès national pour la défense du peuple (CNDP), et Jules Mutebutsi, ancien officier du Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD-Goma), ont trouvé refuge au Rwanda. Les camps militaires sont les principaux lieux de torture. Le camp de Mukamira abrite essentiellement les combattants et les anciens membres des FDLR arrêtés en RDC et transférés au Rwanda. Le camp de Kami, situé dans la périphérie de Kigali, est utilisé par le DMI pour interroger les personnes accusées de menacer la sécurité nationale. Entre fin 2010 et 2011, une soixantaine de personnes y étaient emprisonnées au secret. Aucune information ne fait aujourd’hui mention de nouvelles détentions illégales dans ces installations. Des actes de torture sont également commis dans d’autres camps militaires, postes de police, au centre de détention du service de renseignement de la police à Kigali appelé « Kwa Gacinya » et au sein de bâtiments administratifs, dont le siège du ministère de la Défense. Il existe enfin tout un réseau de lieux de détention clandestins à Kigali pouvant abriter des détenus liés à la situation conflictuelle dans l’est de la RDC ou au trafic de ses ressources naturelles. Ces centres de détention non officiels se situent dans des maisons individuelles privées et les interrogatoires y sont menés par de hauts responsables du DMI.
Méthodes et objectifs
Les techniques de torture sont variées et peuvent être sophistiquées : des coups de poing répétés ou à l’aide notamment de bâtons en plastique – avec dans certains cas des objets enfoncés dans la bouche pour renforcer la douleur – jusqu’à l’arrachage des ongles, les décharges électriques, la suffocation, les brûlures, l’ébouillantage, les simulations de noyade dans des citernes remplies d’eau de pluie, etc. Il s’agit aussi de détention au secret pendant de longues durées, pouvant atteindre plusieurs mois, et de recours à l’isolement individuel, à la privation sensorielle, de sommeil, d’eau et de nourriture, sur une période de plusieurs jours jusqu’à une semaine. Ce traitement est baptisé « régime » ou « spécialisation ». Il s’accompagne d’un menottage des mains dans le dos et de l’enchaînement des jambes.
Dans la majorité des cas, la violence physique et psychologique a lieu après l’arrestation, pendant l’interrogatoire et vise à extorquer des aveux, des informations ou à pousser les détenus à signer des déclarations qui seront ensuite employées devant la justice. Ceux qui refusent de parler font plus l’objet de torture. Généralement, aucun signe d’abus n’est visible à leur libération car les blessures ont eu le temps de disparaître durant la détention.
Législation et pratiques judiciaires
Condamnation juridique de la torture
La Constitution dispose que « nul ne peut faire l’objet de tortures, de sévices ou de traitements cruels, inhumains ou dégradants ». Divers autres textes législatifs prohibent aussi la torture, dont la loi portant mode et administration de la preuve qui interdit l’utilisation d’aveux obtenus sous la contrainte. Le nouveau Code pénal, entré en vigueur en juin 2012, contient une définition de la torture conforme aux standards internationaux et énonce les peines d’emprisonnement encourues, allant de six mois jusqu’à la perpétuité. Le Code de procédure pénale instaure aussi la condamnation de la torture et prévoit des garanties pour protéger les personnes arrêtées ou placées en garde à vue : droit de tout suspect d’être examiné par un médecin, de s’entretenir avec un avocat et de contacter les personnes de son choix. La durée maximale de garde à vue est de soixante-douze heures pour une enquête de police judiciaire et de sept jours pour une enquête préliminaire. Le Code de procédure pénale fixe cependant un délai de prescription de dix ans pour les actes de torture, ce qui va à l’encontre de l’imprescriptibilité de ce crime en droit international.
Le Rwanda a ratifié les principaux instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme qui interdisent la torture (Convention contre la torture, Pacte international relatif aux droits civils et politiques, Charte africaine des droits de l’homme et des peuples). Le pays a accepté la compétence du Comité contre la torture* (CAT) pour procéder à des enquêtes, mais il a refusé les plaintes inter-États et celles émanant de particuliers. Le Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture a fait l’objet d’un examen technique et sa ratification est envisagée. La loi de 2008 sur les compétences, l’organisation et le fonctionnement des tribunaux définit la torture comme un crime tombant sous le coup de la juridiction universelle. La Convention contre la torture peut être invoquée devant les tribunaux puisque les textes internationaux prévalent sur les lois nationales.
Plusieurs mécanismes de veille ont été mis en place pour protéger les droits de l’homme et surveiller les postes de police et les prisons (Commission nationale des droits de l’homme [CNDH], Bureau du Médiateur, Bureau de l’Ombudsman*, Maisons d’accès à la justice). Ils peuvent être saisis par les victimes. La CNDH manque cependant d’une indépendance effective vis-à-vis des autorités, ainsi que de ressources financières et humaines pour s’acquitter efficacement de son mandat. En 2008, la CNDH et le Bureau du Médiateur ont respectivement traité 1 361 et 3 056 affaires, dont aucune ne concernait des faits de torture.
Plusieurs organes sécuritaires de l’État sont également dotés de dispositifs d’enquête interne (Service national des prisons, Inspection de la police, Inspection de l’Autorité nationale en charge des poursuites publiques). Enfin, la Chambre des députés et le Sénat sont dotés de commissions internes chargées d’enquêter sur les affaires de violations des droits de l’homme.
Poursuite des auteurs de torture
Malgré ces multiples mécanismes chargés de contrôler les conditions de détention et pouvant recueillir des plaintes de victimes, aucun d’entre eux n’est réellement responsable en dernier ressort des enquêtes sur les allégations de torture. De ce fait, ces dernières donnent rarement lieu à des enquêtes et des poursuites judiciaires, ce qui explique le manque d’informations et de statistiques sur le sujet : le seul exemple présenté dans le rapport initial du Rwanda devant le CAT en juin 2011, concerne une affaire datant d’avril 2007, dans laquelle un officier de police judiciaire, qui avait passé à tabac un suspect en garde à vue, a été condamné à une peine d’emprisonnement d’un an pour coups ayant entraîné une incapacité. Selon le ministre de la Justice, il revient à la victime de déposer plainte et non pas à l’État, contrairement aux obligations d’enquête qui lui incombent. En dépit de la mise en place de dispositifs de protection des victimes et des témoins au sein du parquet général, les victimes continuent à craindre des représailles et ne déposent pas plainte. En outre, les autorités écartent systématiquement tout rapport dénonçant des violations des droits de l’homme imputables à leurs forces de défense et de sécurité. En janvier 2011, lors de son Examen période universel* (EPU), le gouvernement a ainsi rejeté les demandes en faveur de l’ouverture d’enquêtes sur les disparitions forcées et les arrestations et détentions arbitraires.
Les affaires de violences dues aux services de renseignement sont particulièrement bloquées au niveau de la justice à cause d’ingérences du pouvoir, notamment dans les procès à caractère politique et dans les cas d’accusation de sécessionnisme. Dans le cadre des poursuites judiciaires intentées à l’encontre des trente personnes soupçonnées d’attentats à la grenade en 2010, les juges ont été saisis par sept détenus qui ont indiqué avoir été contraints ou roués de coups pendant leur interrogatoire ou leur détention afin de leur arracher des aveux, mais ils ont refusé d’examiner ces témoignages faute de certificats médicaux attestant ces violences. Or, les victimes n’ont jamais eu accès au cours de leur captivité à un médecin indépendant et ne présentaient plus de marques de violence à leur sortie. Les chefs de guerre congolais, proches des autorités, bénéficient aussi d’une impunité notoire pour les divers crimes dont ils sont accusés. Au début du mois d’avril 2013, 682 rebelles congolais du Mouvement du 23 mars (M23) pro-Rwanda, ont trouvé refuge dans le pays. Aucun d’entre eux n’a été poursuivi pour les graves violations des droits de l’homme commises. Enfin, aucun cas d’indemnisation de victimes de torture n’a jusqu’à ce jour été recensé au Rwanda.