Pérou
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Contexte
Pendant vingt ans (1980-2000), le Pérou a été le théâtre d’un conflit armé interne marqué par des violations massives des droits de l’homme. Près de 70 000 personnes, dont la majeure partie d’origine indigène, habitant les zones rurales et andines, ont été victimes de massacres, d’assassinats, de tortures, de viols et de disparitions perpétrés par les deux camps. Ces exactions sont principalement imputées aux membres de la guérilla maoïste du Sentier lumineux et aux forces gouvernementales de sécurité (essentiellement l’armée), coupables d’atrocités au nom de la lutte antisubversive. Les deux mandats d’Alberto Fujimori comme chef d’État (1990-1995 ; 1995-2000), ponctués d’un coup d’État contre son propre gouvernement en 1992, se sont caractérisés par une intensification de la lutte contre les guérillas et par la répression particulièrement violente des mouvements de protestation étudiants, des leaders communautaires et des opposants politiques (exactions des escadrons de la mort, détentions arbitraires, disparitions forcées). L’ancien président Fujimori et plusieurs dirigeants de la guérilla, y compris le chef historique du Sentier lumineux, Abimael Guzmán, purgent aujourd’hui des peines d’emprisonnement pour les atrocités commises durant ces années.
L’industrialisation accrue du pays, en violation du principe fondamental du respect des terres ancestrales indigènes réitéré dans de nombreux traités internationaux ratifiés par le Pérou, est une source majeure d’affrontements entre les populations indigènes et les forces de l’ordre qui répriment souvent très brutalement les mouvements de protestation. Depuis le début du second mandat du président Alan Garcia en 2006, les concessions en faveur de compagnies transnationales d’industries pétrochimiques et minières ont renforcé le parcellement territorial qui affecte aujourd’hui 72 % de l’Amazonie péruvienne, très riche en hydrocarbures, mais dont la grande majorité du sol est en principe attribuée aux communautés indigènes.
Même si la torture n’est plus utilisée de manière systématique comme au cours des années quatre-vingt, sa pratique demeure répandue. Près d’une centaine de cas ont ainsi été enregistrés en 2008.
Victimes
La plupart des victimes de torture sont des paysans, des Indiens, des leaders locaux et des dirigeants syndicalistes militant pour le respect de leurs droits (à la terre, à l’éducation) et des obligations de l’État à leur égard. Ils sont généralement considérés comme sympathisants ou partisans des groupes terroristes de la guérilla du Sentier lumineux, subsistant dans certaines régions reculées du pays, mais aujourd’hui surtout liés au trafic de drogue.
Les prisonniers et les suspects de droit commun sont également exposés à la torture. Les défenseurs des droits de l’homme et les membres de la société civile dénonçant la corruption d’agents de l’État ou les auteurs de crimes commis au cours de la guerre civile sont des cibles fréquentes de menaces. On constate par ailleurs un accroissement des sévices infligés aux jeunes recrues de l’armée au cours de leur service militaire.
Le 5 juin 2009, après avoir proclamé l’état d’urgence, le gouvernement a envoyé un corps d’intervention de la Direction des opérations spéciales de la police (DINOES) pour expulser à grand renfort d’hélicoptères des milliers d’Indiens qui bloquaient une route dans la province de Bagua, dans l’Amazonie péruvienne. Ils protestaient contre les décrets-lois autorisant des compagnies étrangères à exploiter le sous-sol, pris sans consultation préalable des populations concernées, en violation de la Convention 169 de l’Organisation internationale du travail approuvée par le Congrès péruvien. En deux jours, 33 personnes dont 10 civils ont trouvé la mort et 150 ont été blessées par balle ; 200 personnes ont été arrêtées, parmi lesquelles 87 ont été retenues au poste de police de Bagua et 17 autres envoyées dans une prison de haute sécurité à 350 km de la ville. Des ONG locales ont indiqué que plusieurs détenus avaient été torturés et qu’une personne, Ebelio Petsayit, était décédée des suites des tortures.
Au mois de janvier 2009, une femme transgenre a été agressée dans la rue, puis torturée par les membres d’un comité de surveillance de quartier à Tarapoto (province de San Martin) qui l’accusaient d’avoir « couché avec un homosexuel ». Ils l’ont déshabillée entièrement, lui ont rasé la tête et l’ont forcée à faire des exercices physiques jusqu’à épuisement.
En novembre 2008, deux jeunes hommes originaires de la province de Huamanga ont été arrêtés par quatre hommes, puis conduits à une caserne, alors qu’ils sortaient de leur travail. Soupçonnés de mener des activités terroristes, ils ont été frappés jusqu’à ce que leur visage soit défiguré. Ils ont ensuite été conduits auprès de la DINCOTE d’où ils ont finalement été relâchés faute de preuve.
Tortionnaires et objectifs
La Coordination nationale péruvienne pour la défense des droits de l’homme signale qu’entre 2004 et 2008, 77 % des faits de torture recensés ont été commis par la Police nationale du Pérou (PNP) et 23 % par les forces armées. Deux unités au sein de la police sont spécifiquement accusées d’être responsables de tortures : la DINOES et la DINCOTE. Ces unités interviennent au cours des conflits sociaux et répriment avec violence les populations qui tentent de dénoncer les irrégularités corrélatives à l’implantation de l’industrie minière et pétrochimique.
Pour les auteurs des tortures, il peut s’agir également d’obtenir des aveux ou des renseignements sur les guérillas péruviennes. La torture infligée aux jeunes recrues de l’armée vise à faire régner l’ordre et à les soumettre. L’homophobie est répandue au sein des membres des forces de l’ordre qui torturent fréquemment les homosexuels. Les agents des établissements pénitentiaires se livrent également à des sévices à l’encontre de détenus.
Méthodes et lieux
Le tabassage est la forme la plus courante de torture au Pérou, mais il existe aussi des cas d’abus sexuels et de viols. Une méthode consiste à insérer une bouteille de verre dans le rectum de la victime. Une autre à recouvrir pendant des heures la tête de la victime avec un sac opaque contenant des substances chimiques et toxiques.
Les tortures ont principalement lieu dans les commissariats, les casernes militaires, les véhicules de transport de la police, voire sur la voie publique. Elles ont également cours dans les établissements pénitentiaires.
Conditions de détention
Les conditions de vie dans les prisons péruviennes sont très difficiles, voire dangereuses. L’insalubrité des cellules et des bâtiments s’accompagne de l’absence d’installations sanitaires et d’un manque avéré de nourriture, l’ensemble n’étant pas conforme aux standards d’hygiène. La tuberculose et le VIH ont atteint un niveau quasi épidémique dans certaines prisons. Les soins médicaux sont à la fois inappropriés et insuffisants. Certaines prisons sont tellement surpeuplées que les détenus n’ont d’autre choix que de dormir dans les couloirs et dans les aires communes.
Les conditions sont particulièrement éprouvantes dans les prisons de haute sécurité en altitude. À Iquitos, en Amazonie, les bâtiments de la prison sont au bord de l’effondrement. Du fait de rémunérations insuffisantes, du défaut de supervision et d’une impunité chronique, la corruption est très répandue parmi les gardiens de prison. Certains coopèrent avec les narcotrafiquants, qui parviennent à introduire dans les prisons des téléphones portables, de la drogue et des armes, alimentant le cycle de violence. Les émeutes sont courantes et la violence va parfois jusqu’à l’homicide entre détenus, mais aussi entre détenus et gardiens.
Le Pérou a adhéré en juillet 2006 au Protocole facultatif se rapportant à la Convention des Nations unies contre la torture. Il est actuellement en train de mettre en place un mécanisme national de prévention de la torture. En mai 2010, la Coordination nationale des droits de l’homme, la plus importante ONG du Pérou, a présenté un projet de proposition de loi au gouvernement en vue de l’établissement d’un tel mécanisme. En juin, ce projet a été accepté par le Conseil national des droits de l’homme, organe étatique chargé de veiller au respect des droits de l’homme et à l’application des pactes et conventions ratifiés par le pays.