Pakistan
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Contexte
République islamique fédérale aux forts enjeux de développement, parcourue par de très sérieuses tensions identitaires, ethniques et religieuses, le Pakistan peine à trouver sa voie vers la démocratie et l’État de droit. Les élections législatives de février 2008, suivies du départ du président Pervez Musharraf, ont marqué le début d'un retour de la démocratie au « pays des purs ». Depuis lors, l'instabilité politique chronique à laquelle doivent faire face les autorités montre que ce timide processus de transition reste fragile, au regard des crises à juguler : crise humanitaire majeure du fait d’inondations répétées, crise économique et sociale, crise sécuritaire, crise institutionnelle marquée par un affaiblissement de l’exécutif face aux pouvoirs de l'armée et de la Cour suprême. Une nouvelle coalition gouvernementale a été formée en mai 2011, alliant le parti du chef de l’État Asif Ali Zardari, le Pakistan People Party (PPP) avec d’autres partis politiques influents. Cette coalition demeure d'autant plus précaire à l’aune des élections législatives et présidentielle prévues pour 2013. Signe positif, le président a promulgué en mai 2012 le projet de loi établissant une Commission nationale des droits de l'homme[1]. Malgré cet engagement, le Pakistan reste en proie à de nombreuses violations des libertés individuelles et collectives : exécutions extrajudiciaires et disparitions forcées*, arrestations et détentions arbitraires, violence confessionnelle endémique en particulier envers les minorités (ahmadis, chiites hazaras, chrétiens et hindous), notamment ciblées par les milices tribales (lashkars), enfin violences de genre (violences domestiques, viols et mariages forcés).
Pratiques de la torture
Les représentants des différentes autorités (fédérales, provinciales, civiles et militaires) et les membres des divers groupes d'opposition au gouvernement pakistanais ont systématiquement recours à la torture et aux mauvais traitements. En 2011, près de 1 300 cas de torture ont été documentés dans le pays[2]. De nombreux cas ont été répertoriés au Balouchistan, province qui entretient des relations tendues avec le pouvoir fédéral, en raison d’un fort irrédentisme baloutche et de la volonté affichée par le pouvoir fédéral de contrôler l’exploitation des ressources minières de cette zone. La lutte contre le terrorisme, qui demeure une des grandes priorités de la politique pakistanaise, sert à justifier les prérogatives importantes dévolues à l’armée ainsi qu’aux services de renseignements en matière d’arrestation et contribue donc aux abus potentiels.
Victimes
Les principales victimes de torture et de traitements inhumains et dégradants sont les opposants politiques, les suspects de terrorisme et de crimes de droit commun. Les défenseurs des droits de l’homme, les syndicalistes et les militants du monde associatif, les journalistes[3], les femmes et les enfants, les membres de communautés ethniques ou religieuses, les juges et les avocats sont également touchés. Les personnes qui enquêtent sur les violations des droits de l'homme en lien avec les opérations de contre-terrorisme sont particulièrement ciblées. Le cas le plus emblématique demeure celui de Syed Saleem Shahzad, journaliste résidant dans la capitale, Islamabad, enlevé le 29 mai 2011, dont le corps a été retrouvé le 31 mai 2011 dans un canal au sud-est de la ville, avec des marques de torture sévères (fractures de plusieurs côtes) qui, selon l’autopsie, ont sans doute causé sa mort[4]. Le 10 janvier 2012, la commission d'enquête constituée pour faire la lumière sur les circonstances du meurtre a remis son rapport au gouvernement[5]. Le manque de preuves concluantes n’a pas permis de déterminer une quelconque implication des services de renseignements de l’armée, le Département du renseignement inter-services (Inter-Services Intelligence-ISI), soupçonnés de son assassinat[6]. Avant lui, Siddique Eido, membre de la Commission pakistanaise des droits de l'homme et journaliste, avait été enlevé le 21 décembre 2010 à Gwadar dans la province du Balouchistan par plusieurs hommes portant des uniformes d’agents de sécurité, alors qu’il travaillait sur des affaires de violations des droits de l'homme. Il a été exécuté d'une balle dans la tête. Sa dépouille, découverte le 28 avril 2011 à Ormara, présentait des signes de torture[7]. Ce crime reste impuni à ce jour. Les conditions de vie et le traitement des détenus demeurent très inquiétants : surpopulation carcérale endémique, vétusté des infrastructures, manque d’accès aux soins et manquements au respect des garanties judiciaires minimales. À titre d'exemple, la prison de Multan hébergeait en 2011 plus de 1 015 détenus pour une capacité de 299 personnes. Plus de 90 prisonniers sont morts en 2011 dans les geôles pakistanaises[8]. Certaines tribus, comme celles des Bugtis ou des Mengals, sont aussi particulièrement visées par les violences, en raison de leur implication contre les forces armées pakistanaises. Depuis 2001, entre 4 000 et 6 000 personnes sont présumées disparues ou, pour la plupart, détenues au secret* par des forces paramilitaires ou des services de renseignements.
Tortionnaires et lieux de torture
Les actes de torture et les mauvais traitements sont imputables à l’ensemble des forces de sécurité fédérales et provinciales, aux groupes liés aux partis politiques ou religieux et aux milices talibanes ou tribales. L’armée, qui joue un rôle très influent dans les orientations politiques stratégiques, demeure également un acteur majeur du phénomène tortionnaire au Pakistan. Le recours aux sévices est très répandu au sein des postes de police et des lieux de privation de liberté qu’ils soient officiels, secrets ou privés. La Commission asiatique des droits de l’homme a publié un rapport en 2008 sur 52 lieux de détentions arbitraires où la pratique de la torture était systématique[9]. La Direction pour le renseignement inter-services, fondée en 1948, figure au premier rang des auteurs de violences. D'autres services de renseignements sont également concernés, rattachés à différents ministères : le Bureau des renseignements (placé sous l’autorité du chef du gouvernement), le Bureau des renseignements militaires et le Groupe des services spéciaux (ministère de la Défense), ou encore le Service fédéral de renseignements (ministère de l'Intérieur). Il est difficile d’obtenir des données précises actualisées sur le nombre de lieux de détention que ces services contrôlent. Les services de police (fédérale et provinciale) et la police judiciaire (Criminal Investigation Agency) se livrent aussi à la torture. En témoigne le cas d’Abdulqouddous Ahmad, instituteur et membre d’une communauté ahmadie, victime de détention illégale durant quarante-cinq jours dans plusieurs postes de police du Pendjab entre le 10 février et le 26 mars 2012. Il a dû subir durant cette période de longues séances de torture : pendaison au plafond par les chevilles, roulement d’un tronc de bois sur le corps avec deux officiers de police judiciaire debout sur ce tronc de bois pour accentuer la pression, etc. Privé de sommeil, il a été jeté à terre et roué de coups à plusieurs reprises du fait de son refus de signer de faux aveux pour un meurtre. Libéré le 26 mars, il n’a pas survécu à ces sévices et il est mort le 30 mars 2012[10]. Les forces paramilitaires, tels les Gardes nationaux, les Rangers pakistanais ou le Corps de frontières, basé au Baloutchistan et dans la province du Khyber Pakhtunkhwa[11], recourent également à la détention arbitraire et à la torture.
Méthodes et objectifs
Les techniques de torture physique et psychologique* prennent des formes variées : coups, notamment sur le visage, les pieds – en particulier la plante des pieds – et les parties génitales, à l’aide de bâtons, d’armes et de ceintures ; brûlures de cigarettes ; isolement* prolongé ; exposition alternative à des températures contrastées ; chocs électriques ; positions forcées ; pendaisons par les pieds ou les poignets ; privation de nourriture et de sommeil ; simulacres d'exécution[12] et enfin harcèlement sexuel[13]. Les coups de fouets et les privations temporaires des visites de la famille sont également des pratiques utilisées par une administration pénitentiaire mal rémunérée et peu formée[14]. La torture et les traitements inhumains et dégradants servent principalement à obtenir des aveux et des informations dans le cadre des enquêtes policières et des opérations antiterroristes ou de maintien de l'ordre, mais aussi à extorquer des fonds ou à humilier certaines personnes en raison de leur origine géographique ou ethnique. Elles visent aussi à mettre au pas les représentants de la société civile : défenseurs des droits de l’homme, journalistes, etc.
Législation et pratiques judiciaires
Condamnation juridique de la torture
Le Pakistan a ratifié la Convention contre la torture, ainsi que le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP)[15] le 23 juin 2010, mais n’a ni ratifié ni signé leurs Protocoles. L'engagement du Pakistan à respecter ces deux textes doit s’interpréter à l'aune des limites de la loi coranique et de la Constitution[16]. Le 20 septembre 2011, les autorités pakistanaises ont déclaré qu'elles acceptaient d'appliquer les articles 3, 6, 7, 18, 19 et 25 du Premier protocole se rapportant au PIDCP tant qu'ils n'étaient pas contraires à la loi islamique ainsi qu'aux dispositions constitutionnelles du pays. Par ailleurs, le gouvernement ne reconnaît pas la compétence du Comité contre la torture des Nations unies* (CAT). Sur le plan de la législation interne, la Constitution de 1973 prévoit le droit à la vie et la détention dans un cadre légal (art. 9) et le respect des garanties judiciaires minimales concernant l'arrestation et la détention (art. 10). L'article 14(2) dispose que « personne ne saurait être soumis à la torture dans le but d'extorquer des preuves », définition très restrictive par rapport à celle de l'article 1 de la Convention contre la torture. Le droit pénal pakistanais trouve ses fondements juridiques dans le Code pénal pakistanais (1860), le Code de procédure pénale (1898) et la loi sur la preuve de 1872, amendée en 1984. L'administration pénitentiaire est quant à elle encore largement administrée par la loi sur les prisons de 1894, qui autorise le châtiment corporel des prisonniers comme mesure disciplinaire, et par le règlement pénitentiaire pakistanais de 1978[17]. Aucune disposition dans le cadre pénal pakistanais ne prohibe la pratique de la torture, qui n’est donc pas criminalisée. Promulguées en juin 2011, les dispositions réglementaires Actions in Aid of Civil Powers Regulations applicables aux zones tribales sous administration fédérale (Federally Administered Tribal Areas-FATA) et à certaines parties du Khyber Pakhtunkhwa donnent aux forces de sécurité de larges pouvoirs en matière de détention et de refus de recours judiciaire dans ces endroits très sensibles.
Poursuite des auteurs de torture
Malgré les avancées récentes, la volonté politique manque pour définir et mettre en œuvre une législation qui offre une protection pleine et entière aux potentielles victimes de torture et de mauvais traitements et à leurs familles. Cette défaillance, une corruption endémique, ainsi que la prévalence d'un climat encourageant l'impunité favorisent la persistance du phénomène tortionnaire au Pakistan. Selon la procédure pénale, la charge de la preuve revient à la victime[18]. Les policiers se comportent souvent en gardiens de la tradition et de la morale plutôt qu'en responsables impartiaux de l'application des lois. Ils refusent souvent d'enregistrer les plaintes en matière de violences domestiques. Plus globalement, la police semble peu disposée à diligenter les enquêtes[19]. Les preuves sont assez rarement enregistrées et archivées, ou peuvent être falsifiées[20]. Dans ce cadre, beaucoup d’affaires ne sont jamais portées devant un tribunal. Des centaines de requêtes en habeas corpus* concernant des cas allégués de disparitions forcées ou de torture étaient toujours en instance en 2010 et 2011 devant les hautes cours provinciales, mais les services de renseignements refusent d'obtempérer aux décisions de justice[21]. Le cas de six ouvriers de Baldia (Karachi), arrêtés le 21 mars 2012 par les Rangers pakistanais, est révélateur : ayant subi des sévices pendant trente heures d’affilée dans un lieu de détention tenu par les forces paramilitaires, ces ouvriers ont été transférés le 23 mars dans un poste de police de Karachi. Ils y ont été torturés pendant trente-six heures dans le but de leur faire avouer leur supposée implication dans une affaire d’extorsion. Durant leur première audience devant une cour le 24 mars, le juge ne leur a pas demandé de produire un document relatif à leur état médical comme preuve des actes de torture et n’a pas ordonné d’enquête pour faits allégués de torture[22]. Il n'existe à ce jour ni système de protection des témoins et des juges, ni procédures d’enquêtes indépendantes qui pourraient favoriser la collecte des preuves et l'avancement des instructions judiciaires[23]. En outre, les demandes de compensation pour tortures peuvent être réglées sur la base des dispositions de la charia, demandes dont les termes sont souvent fixés par l’accusé. Cette pratique réduit de fait le recours au système juridictionnel civil[24]. Quant à la Commission nationale des droits de l’homme, elle a pour prérogatives de recevoir des plaintes individuelles et de vérifier les conditions de vie dans les lieux de détention[25]. Cette commission n’a cependant pas mandat pour enquêter sur les allégations de violations des droits de l’homme perpétrées par les autorités militaires et les services de renseignements.
[1] Foreign & Commonwealth Office, Human Rights and Democracy, The 2011 Foreign & Commonwealth Office Report, Quarterly Updates, Pakistan, 30 septembre 2012, http://fcohrdreport.readandcomment.com/human-rights-in-countries-of-concern/pakistan/quarterly-updates-pakistan.
[2] Asian Human Rights Commission (AHRC), Torture in Pakistan Legal framework regarding torture, http://www.humanrights.asia/countries/pakistan/torture-in-pakistan.
[3] HRW, Pakistan: UPR Submission April 2012, 3 mai 2012, www.hrw.org/news/2012/05/03/pakistan-upr-submission-april-2012 ; Reporters sans frontières (RSF), « Deux journalistes assassinés en moins d’une semaine », 11 mai 2012, http://fr.rsf.org/pakistan-deux-journalistes-assassines-en-11-05-2012,42610.html.
[4] « Pakistan, Le journaliste Saleem Shahzad assassiné », Courrierinternational.com, 3 juin 2011, http://www.courrierinternational.com/revue-de-presse/2011/06/03/le-journaliste-saleem-shahzad-assassine.
[5] RSF, Meurtre de Saleem Shahzad, « L’ISI étouffe sous des monceaux de culpabilité », 17 février 2012, http://fr.rsf.org/pakistan-meurtre-de-saleem-shahzad-l-isi-17-02-2012,41900.html.
[6] Inter Services Public Relations, Human Rights Watch (HRW), Report on Judicial Commission on Saleem Shehzad Murder Case Not Correct, http://www.ispr.gov.pk/front/main.asp?o=t-press_release&id=1967#pr_link1967.
[7] ACAT-France, Rapport ACAT-France 2011, Un monde tortionnaire, 381 pages, p. 130, http://unmondetortionnaire.com/IMG/pdf/Rapport_Un_monde_tortionnaire_2011.pdf ; Amnesty International, Rapport 2011, La situation des droits humains dans le monde, "Pakistan", http://www.amnesty.org/fr/region/pakistan/report-2011.
[8] Human Rights Commission of Pakistan, State of Human Rights in 2011, 302 pages, p. 61, http://www.hrcp-web.org/pdf/AR2011/Jails%20prisoners.pdf.
[9] AHRC, « PAKISTAN: 52 illegal torture and detention centres identified », 5 juin 2008, http://www.humanrights.asia/news/ahrc-news/AHRC-STM-158-2008.
[10] AHRC, « PAKISTAN: In a hate campaign against the Ahmadis the police tortured to death an innocent school teacher », 3 avril 2012, http://www.humanrights.asia/news/urgent-appeals/AHRC-UAC-057-2012.
[11] International Crisis Group, Reforming Pakistan's Criminal Justice System, 6 décembre 2010, 38 pages, p. 16, http://www.crisisgroup.org/~/media/Files/asia/south-asia/pakistan/196%20Reforming%20Pakistans%20Criminal%20Justice%20System.
[12] Asian Legal Resource Centre/ACAT-France, Stakeholders Submission concerning the Universal Periodic Review of Pakistan, 23 avril 2012, 13 pages, § 22, www.alrc.net/PDF/ALRC-UPR-14-002-2012.pdf.
[13] Penal Reform International, Training Report, 3-Day Prisons and Human Rights Training for Pakistan, 12-14 avril 2011, 15 pages, p. 5.
[14] HRW, op. cit.
[15] HRW, World Report 2011, 649 pages, p. 350, http://www.hrw.org/sites/default/files/reports/wr2011.pdf.
[16] Amnesty International, « Les réserves du Pakistan : un défi à l’intégrité du système de traité des Nations unies », 23 juin 2011, http://www.amnesty.org/fr/library/asset/ASA33/006/2011/fr/b81c4273-180e-4285-b85e-8f336d43a50a/asa330062011fr.html.
[17] International Crisis Group, Reforming Pakistan's Prison System, 12 octobre 2011, 36 pages, p. 28, http://www.crisisgroup.org/~/media/Files/asia/south-asia/pakistan/212%20-%20Reforming%20Pakistans%20Prison%20System.pdf.
[18] Ibid., p. 6 ; Penal Reform International, op. cit., p. 4.
[19] International Crisis Group, op. cit., p. 11.
[20] International Crisis Group, Reforming Pakistan's Criminal Justice System, Asia report N°196, 6 décembre 2010, 38 pages, p. 13, http://www.crisisgroup.org/~/media/Files/asia/south-asia/pakistan/196%20Reforming%20Pakistans%20Criminal%20Justice%20System.pdf.
[21] Ibid., p. 16-17.
[22] AHRC, « PAKISTAN: Six power loom workers were detained, tortured and tried in Anti-Terrorism Court for formation of trade union », 27 mars 2012, http://www.humanrights.asia/news/urgent-appeals/AHRC-UAC-050-2012/?searchterm.
[23] AHRC, « Torture in Pakistan Legal framework regarding torture » ; ACAT-France, op. cit., p. 130 et Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l'homme, « L’obstination du témoignage » , Rapport annuel 2011, 665 pages, p. 475, http://www.omct.org/files/2011/10/21443/obs_2011_fr_complet.pdf.
[24] AHRC, op. cit.
[25] Asian Legal Resource Centre/ACAT-France, op. cit., p. 3.