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Nigéria
Un monde tortionnaire

Nigéria

Le recours à la violence est profondément ancré chez les forces de sécurité nigérianes, qui se servent de la torture de manière systématique et indiscriminée, au moment des arrestations et des interrogatoires et durant les périodes de détention. Divisé entre un nord à majorité musulman et un sud principalement chrétien, le pays est régulièrement secoué par des violences interreligieuses. Le nord du pays est actuellement en proie à une insurrection armée très violente menée par le groupe islamiste armé Boko Haram. La réponse armée des autorités l’est tout autant. L’usage de la torture dans la lutte contre Boko Haram est quasi-systématique.

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Contexte

La République fédérale du Nigeria, composée de 36 États et située en Afrique de l’Ouest, est le pays le plus peuplé du continent avec plus de 177 millions d’habitants répartis en 389 ethnies. Depuis son indépendance en 1960, le Nigeria, divisé entre un nord à majorité musulmane et un sud principalement chrétien, est régulièrement secoué par des violences intercommunautaires, interreligieuses, politiques et sociales, liées au contrôle du pouvoir local et de ses prébendes économiques. Le nord du pays est actuellement en proie à une insurrection armée très violente menée par le groupe islamiste armé, Boko Haram[1]. La multiplication des actions violentes menées, depuis 2009, par ce groupe (attentats, attaques de villages, enlèvements et massacres de civils) a entraîné une réponse armée du gouvernement. L’état d’urgence a été déclaré en mai 2013 dans les États d’Adamawa, Borno et Yobe et les opérations gouvernementales de lutte contre Boko Haram se sont développées entraînant, à leur tour, de graves violations des droits de l’homme, dont un recours plus systématique à la torture à l’encontre des présumés islamistes. L’ensemble du pays est frappé par une forte criminalité qui plonge ses racines dans la pauvreté généralisée causée par une corruption endémique à tous les échelons du pouvoir et de l’administration[2].

Pratiques de la torture

Le recours à la violence est une habitude profondément ancrée dans les forces de sécurité nigérianes qui se servent de la torture de manière quasi systématique et indiscriminée au moment des arrestations, des interrogatoires et durant les périodes de détention. En 2007, le Rapporteur spécial des Nations unies sur la torture avait indiqué que la torture était fréquente. À partir de 2009, la situation s’est même détériorée dans le nord du pays en raison du conflit armé interne contre Boko Haram.

Victimes

Chaque jour, des Nigérians sont torturés et subissent de mauvais traitements alors qu’ils sont arrêtés à l’occasion de contrôles routiers, maintenus en garde à vue ou incarcérés en prison. Les personnes pauvres sont les plus vulnérables car elles ne peuvent, ni soudoyer les agents des forces de l’ordre, ni régler les frais d’un avocat, ni faire appel à des relations « bien placées ».

Tout citoyen qui se déplace sur les routes du pays ou exerce une activité économique visible risque de se faire racketter par des policiers. Quand il refuse de verser le pot-de-vin réclamé, la situation peut donner lieu à une arrestation arbitraire, une détention illégale, voire à des violences. Les personnes soupçonnées de crimes (vol à main armée, enlèvement, meurtre, etc.) sont particulièrement exposées au risque de torture au moment de leur arrestation et de leur garde à vue.

Le 17 septembre 2013, Diolu, jeune homme de 26 ans, a été arrêté à son domicile à Port Harcourt, dans le sud du pays, par cinq policiers. Il n’a pas été informé de la raison de son arrestation. Diolu a été directement conduit dans un poste de l’Unité de police en charge de la lutte contre les enlèvements et, le soir même, durant son interrogatoire, il a été torturé jusqu’à ce qu’il signe un document dont il n’avait aucune connaissance du contenu. Diolu a été attaché à une corde, puis suspendu en l’air. Il a été frappé sur l’ensemble du corps à coups de machette et de tuyau métallique[3].

Les personnes incarcérées en prison pour crime ou délit de droit commun, qu’elles soient en attente de jugement ou qu’elles aient été condamnées, sont détenues dans des conditions telles (cellule bondée, chaleur suffocante, manque d’hygiène, faible accès aux soins, à l’eau potable et à une nourriture convenable, etc.) que cela s’apparente à une forme de mauvais traitement. Cela touche toutes les prisons civiles à travers le pays.

Les personnes soupçonnées de terrorisme, d’islamisme radical ou simplement d’opposition au pouvoir sont également fortement exposées aux mauvais traitements et aux tortures lors des vagues de répression organisées contre les manifestations et les mouvements de contestation, notamment dans les États touchés par des tensions politiques liées à une combinaison de problèmes communautaires, religieux et fonciers.

De plus en plus de cas de torture sont signalés dans les États d’Adamawa, Borno et Yobe, dans le nord du pays où sévit Boko Haram. Les forces de sécurité usent quasi systématiquement de la torture à l’encontre des personnes accusées de liens avec ce groupe islamiste armé. En 2013, selon Amnesty International[4], des milliers de personnes, arrêtées dans le nord du pays et détenues dans divers centres de détention, ont fait l’objet de tortures entre les mains des forces de défense et de sécurité. Suleiman Ali, 15 ans, a été arrêté par des soldats en mars 2013 avec 49 autres jeunes hommes soupçonnés d’appartenir à Boko Haram. Il a été conduit au centre de détention Sector Alpha, à Damaturu. Des soldats l’ont frappé à coups de crosse de fusil, de matraque et de machette. Ils lui ont versé du plastique fondu sur le corps. Il a été forcé de marcher et de se rouler sur des tessons de bouteille et d’assister aux exécutions sommaires d’autres détenus. Un mois plus tard, Suleiman Ali a été libéré avec 31 autres détenus. Dans les jours qui ont suivi, 30 d’entre eux sont morts des suites de leurs blessures. Suleiman Ali a survécu et a pu témoigner de ces violences[5].

Les personnes contraintes de quitter leur logement, à cause des expulsions forcées ordonnées par les autorités fédérales, subissent fréquemment des agressions physiques de la part des forces de sécurité qui accompagnent les équipes spéciales du gouvernement lors de ces opérations, surtout quand elles tentent de résister ou de bloquer la démolition de leur maison. À Abuja, la capitale du pays, ainsi qu’à Port Harcourt, capitale de l’État de Rivers, les pouvoirs publics entreprennent régulièrement l’évacuation et la destruction de bidonvilles dans le cadre de projets d’assainissement ou d’aménagement urbain.

Dans un pays où la violence contre les femmes demeure très courante, les agents de l’État se livrent de façon routinière à des viols et autres sévices sexuels sur les détenues et les prostituées contrôlées de nuit. Ces violences sont simplement considérées comme des « avantages en nature » pour certaines patrouilles[6].

Les enfants des rues, qui seraient plus d’un million, et ceux accusés de sorcellerie sont souvent violentés. Les membres de la société civile (défenseurs des droits de l’homme, journalistes, syndicalistes et leaders étudiants) sont régulièrement intimidés et harcelés par les forces de l’ordre. Monsieur Justine Ijeomah, président de l’association Human Rights, Social Development and Environmental Foundation (HURSDEF) a été frappé, brutalisé et menacé de mort par des policiers de la Swift Operation Squad (SOS) à Port Harcourt le 16 novembre 2012. Monsieur Ijeomah s’était rendu au poste de la SOS, après avoir été informé que l’un des membres de son association venait d’être arrêté par une unité de la police anti-enlèvement et emmené au poste de la SOS de Port Harcourt. Lorsque M. Ijeomah a demandé des explications à propos de l’arrestation arbitraire de son collègue, le responsable du poste s’est alors emporté et a déclaré : « Je peux t’éliminer et il ne se passera rien ». Un autre policier est intervenu en le frappant, en le giflant et en le poussant à plusieurs reprises contre une grille. Un des officiers l’aurait alors menacé de tirer sur lui en disant « qu’il ne se passerait rien », qu’il pisterait les défenseurs de son association et qu’il pourrait les tuer n’importe quand. Monsieur Ijeomah a dû recevoir des soins, puis il est entré quelque temps dans la clandestinité pour des raisons de sécurité. Trois mois auparavant, le 3 septembre 2012, l’avocat de l’association HURSDEF, Me Aselm Lawson Kpokpo avait été frappé à coups de crosse par un autre officier de la SOS[7].

Tortionnaires et lieux de torture

De nombreux représentants des forces de sécurité se rendent coupables de mauvais traitements et d’actes de torture, parmi lesquels la Brigade spéciale de répression des vols (Special Anti-Robbery Squad-SARS), le Service de sécurité de l’État (State Security Service-SSS), l’Agence nationale de lutte contre les stupéfiants (National Drug Law Enforcement Agency-NDLEA), la Commission contre les délits économiques et financiers, le Corps de sécurité et de protection civile (Nigeria Security and Civil Defence Corps-CDC), la Commission de la sécurité routière fédérale (Federal Road Safety Commission-FRSC) et les Forces armées nigérianes (Nigerian Armed Forces-NAF). Mais les principaux tortionnaires sont les Forces d’intervention (Joint Task Force-JTF) ‑ unités composées de militaires et de policiers déployées dans le nord du pays en juin 2011 pour lutter contre Boko Haram ‑ et les agents de la Force de police du Nigéria (Nigeria Police Force-NPF).

Cette organisation fédérale, placée sous le contrôle du président de la République, est le premier employeur du pays, avec un effectif de plus de 370 000 policiers. Ces derniers arrêtent régulièrement des citoyens dans le seul but de leur soutirer des « pots-de-vin », sur la base d’accusations, infondées, de diverses infractions.

Les membres de Boko Haram usent également régulièrement de la torture à l’encontre des personnes qui sont faites prisonnières après avoir été enlevées.

Les actes de torture commis par les forces de défense et de sécurité nigérianes, notamment les coups et les bastonnades, sont infligés pour partie lors des arrestations. Pour humilier les personnes interpellées, les policiers ont pris l’habitude de les faire « parader » dans des lieux publics où elles se font insulter et jeter des objets ou de la nourriture par les passants. Les séances de torture les plus poussées se produisent au sein du Département des enquêtes pénales (Criminal Investigations Departments-CID) et de la Brigade spéciale de répression de vols (SARS), deux branches de la police qui disposent de salles de torture dotées d’équipements nécessaires et, parfois, d’officiers en charge de la torture (Officer in Charge of torture-OC). La chambre de torture du commissariat de police de la ville d’Enugu est, par exemple, surnommée the Theater (le théâtre), à cause de la rapidité avec laquelle les suspects font des aveux sous la menace d’un officier surnommé « Okpontu » (manucure en langue igbo), connu pour enfoncer ses ongles dans le corps des détenus.

Si la victime meurt au cours de son arrestation, les forces de l’ordre évoquent d’ordinaire le résultat d’une « fusillade avec un voleur à main armée ». Si elle décède en garde à vue, elles parlent d’une « tentative d’évasion ». Les statistiques sont rares sur ce sujet mais, en novembre 2007, l’inspecteur général de la police (Inspector General of Police-IGP), Mike Okiro, a rapporté que la police avait tué 785 « voleurs à main armée » en 100 jours[8].

Dans le cadre de la lutte contre Boko Haram, trois lieux de détention sont particulièrement connus pour abriter des présumés membres ou sympathisants de ce mouvement islamiste armé : la caserne miliaire de Giwa à Maiduguri, le centre de détention Sector Alpha à Damaturu, surnommé « Guantanamo », et le centre de détention de la SARS à Abuja, surnommé « l’abattoir ». Entre janvier et mars 2014, environ 150 corps de prisonniers ont été envoyés de Giwa à la morgue de l’hôpital d’État de Maiduguri. Aucun de ces corps ne portait de traces de balles[9]. Il s’agissait principalement de corps décharnés présentant des traces de sévices.

Les autres lieux de torture sont les pénitenciers, en particulier la prison de Port Harcourt, et les cellules illégales installées dans des bâtiments officiels qui ne sont pas destinés à accueillir des personnes en état d’arrestation, notamment ceux de l’armée.

Méthodes et objectifs

Les forces de sécurité font un usage tellement habituel de la torture qu’elles ont donné des noms à certaines de leurs techniques : « J5 » pour la privation de sommeil du suspect sommé de garder la position debout ou une position douloureuse sans bouger ; « suicide » pour la suspension d’une victime au plafond la tête en bas avec une corde nouée autour de ses chevilles ou des menottes attachées à ses bras croisés dans le dos pour la version chinese handcuff (menottes chinoises) ; « third-degree » (troisième degré) pour la combinaison de différentes entraves physiques ; « german cells » (cellules allemandes) pour l‘enfermement des journées ou des semaines durant de plusieurs détenus dans une cellule minuscule dépourvue de lumière et d’aération, où ils ne disposent pas de place suffisante pour s’allonger et finissent par suffoquer ; « VIP treatment » (traitement VIP) pour les coups de feu tirés dans les jambes. Les personnes soupçonnées de vol à main armée font souvent l’objet de ce type de sévices avant leur interrogatoire et sont ensuite, dans la plupart des cas, exécutées et déposées dans des morgues publiques.

Les brûlures, l’écrasement des doigts, l’arrachage des ongles et de dents à l’aide d’une tenaille, le waterboarding*, les violences sexuelles, l’enfermement avec des serpents, des araignées, des rats, des cafards ou des moustiques, la pulvérisation de gaz lacrymogène ou de spray au poivre dans les yeux, le nez ou les parties génitales pour les femmes et les menaces de mort sont aussi couramment employés. Avec le renforcement de la surveillance par les ONG locales de défense des droits de l’homme, de nouvelles méthodes de torture apparaissent visant à ne pas laisser de traces sur le corps des victimes : utilisation de tissu pour envelopper les cordes destinées à attacher les détenus afin d’éviter les marques sur la peau, de garrot sur le haut des bras des détenus pour couper la circulation sanguine, ou encore de films plastiques pour recouvrir totalement les détenus jusqu’à ce que, parfois, mort s’ensuive[10].

Les séances de torture sont parfois administrées devant d’autres détenus, notamment des mineurs, et peuvent durer plusieurs jours. Certains prisonniers sont parfois contraints d’infliger eux-mêmes les mauvais traitements et les tortures.

La NPF a largement renforcé ses effectifs depuis 1999, avec 20 000 nouvelles recrues en moyenne par an. Faute de ressources suffisantes – le budget alloué à la police est en grande partie détourné par la corruption interne –, ce recrutement de masse s’est fait au détriment de la qualité : la force de police du Nigeria compte aujourd’hui de nombreux agents non qualifiés (parfois même des anciens criminels), sous-entraînés et sous-équipés. Sous-payés, ils sont aussi enclins à la corruption et au racket des citoyens.

Les restrictions budgétaires, alliées à une mauvaise gestion, réduisent les capacités de la police à mener des enquêtes fondées sur des preuves reposant sur des expertises balistiques ou des analyses ADN. Comme les moyens techniques et matériels sont limités, les policiers étudient rarement les scènes de crime et ne se rendent parfois même pas sur le terrain. Dans ce contexte, pour « résoudre » les crimes, les policiers se fondent sur leur « sixième sens » et sur les aveux, à l’origine de plus de 90 % des procédures criminelles engagées dans le pays, et essentiellement obtenus sous la contrainte. Les informations et déclarations obtenues sous la torture sont régulièrement retenues à titre de preuve par les tribunaux bien que cela soit, en théorie, interdit selon l’article 28 de la loi relative aux preuves. Moses Akatugba en a fait les frais en novembre 2013. Il a été condamné à mort par pendaison sur la base d‘aveux extorqués sous la torture en novembre 2005, alors qu’il n’avait que 16 ans. Il était alors soupçonné d’avoir commis un vol de téléphone. Le policier qui avait mené l’enquête n’avait même pas été entendu par le tribunal et aucune enquête n’avait été ouverte sur ces allégations de torture[11]. Moses Akatugba est actuellement incarcéré. La torture sert aussi à humilier et à punir les individus, notamment en matière de répression politique.

Législation et pratiques judiciaires

Condamnation juridique de la torture

Le Nigeria a ratifié la Convention contre la torture et son Protocole facultatif, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ainsi que la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples qui interdisent la torture et les mauvais traitements.

En droit interne, le chapitre IV de la Constitution de 1999[12], en sa section 34 (1) (a), prohibe la torture et les traitements inhumains ou dégradants, sans les définir, et la loi ne criminalise pas la torture.

Le Code pénal n’incrimine pas la torture. En 2012, un projet de loi visant à interdire et à ériger en infraction la torture a été présenté à l’Assemblée nationale. Jusqu’à ce jour, le texte n’a toujours pas été examiné malgré de nombreuses promesses en ce sens.

Le Code pénal de la charia, applicable dans 12 États du nord, prévoit des châtiments corporels (bastonnade, flagellation, amputation, lapidation) qui constituent des actes de torture.

Poursuite des auteurs de torture

Dans les faits, aucun mécanisme de réception des plaintes ou de contrôle interne de la police ne fonctionne réellement et les forces de l’ordre commettent des violations des droits de l’homme en toute impunité.

Selon la loi, les citoyens peuvent porter plainte oralement ou par écrit auprès d’un officier supérieur en cas de brutalités policières. S’ils ne sont pas satisfaits de la réponse, ils peuvent saisir l’inspecteur général de la police ou le Bureau policier des plaintes du public (Public Complaints Bureau-PCB), installé dans le département des relations publiques de la police de chaque État. Ils peuvent aussi s’adresser au Bureau des droits de l’homme (Human Rights Desk-HRD), situé dans les bâtiments de l’administration fédérale, ou au Département du prévôt (Provost Department) au quartier général de la police fédérale[13]. Depuis 2001, il existe, par ailleurs, une Commission des services de la police (Police Service Commission-PSC), chargée d’enquêter sur les abus policiers. En cas de procédure judiciaire, des officiers spéciaux (Investigating Police Officers-IPO) mènent l’enquête et en réfèrent au procureur général. Le Département du prévôt peut imposer des sanctions disciplinaires. L’ACAT n’a toutefois aucune donnée statistique sur d’éventuelles sanctions disciplinaires prononcées contre des policiers qui ont eu recours à la torture.

La Commission nationale des droits de l’homme (National Human Rights Commission-NHRC), instaurée en 1995 pour enquêter sur les allégations d’atteintes aux droits de l’homme et faire des recommandations – non contraignantes – aux autorités fédérales, n’a jamais pu agir de manière efficace à cause des ingérences du pouvoir exécutif qui régissait son fonctionnement.

En mars 2011, le président Goodluck Jonathan a promulgué une loi portant modification de la commission qui, en théorie, assure son indépendance et son financement et rend ses décisions applicables. Malheureusement, les membres de cette commission ne peuvent pas se rendre dans certains lieux de détention gérés par l’armée ou des unités spéciales de la police.

En juillet 2009, le Nigeria a créé le Comité national contre la torture (NCAT), son mécanisme national de prévention de la torture. À ce jour, le NCAT n’est indépendant ni sur le plan juridique ni en termes de fonctionnement. Ses membres sont bénévoles faute de financement public et Le NCAT reste inconnu au Nigeria.

Au Nigeria, les victimes de violence commise par des éléments appartenant à des corps de l’État ne déposent que rarement plainte. Elles ne connaissent généralement pas les voies de droit existantes, craignent des représailles, n’ont pas les moyens de payer un avocat et ne font pas confiance au système judiciaire marqué par la lenteur et la corruption. La grande majorité des plaintes pour torture ne sont pas instruites et ne font l’objet d’aucune enquête, même préliminaire. Seules les personnes fortunées ou influentes peuvent faire ouvrir une enquête et régler ou éviter les taxes, souvent illégales, réclamées à chaque étape de la procédure judiciaire. Aucune information ni statistique n’est disponible concernant des procédures en cours ou passées visant des tortionnaires, des sanctions disciplinaires prises à leur encontre ou des mesures de réparation accordées à leurs victimes. Le système judiciaire nigérian ne fait rien pour lutter contre la torture ni la prévenir.

Les autorités politiques ne manquent pas de rappeler, au sein des instances internationales, leurs engagements à prendre toutes les mesures nécessaires pour mettre un terme à l’usage définitif de la torture dans le pays. En réalité, elles ne montrent aucune volonté de remédier à ce problème. Au contraire, dans le cadre du conflit armé contre Boko Haram, la volonté d’user de la violence illégale semble être tolérée, voire encouragée, sur le terrain. La plupart des autorités continuent de nier l’existence de la pratique intentionnelle de la torture au Nigeria. Certaines l’admettent, comme Mohammed Abubakar, chef de la police nigériane en poste entre 2012 et 2014. Le 13 février 2012, il a reconnu de façon inédite des dysfonctionnements au sein de la police : « La justice a été pervertie, les droits des gens niés, des innocents jetés en prison, la torture et les crimes extrajudiciaires [ont été] perpétrés, et tant de gens sont enfermés dans nos cellules parce qu’ils n’ont pas les moyens de verser l’argent que nous leur demandons »[14]. Monsieur Aboubakar a ordonné la remise en liberté de toutes les personnes détenues sans raison valable dans les commissariats du pays et a donné l’ordre de démanteler tous les points de contrôle de police dressés sur les routes du pays, au niveau desquels les agents extorquent de l’argent aux conducteurs. En 2014, Mohammed Abubakar a été remplacé par Suleiman Abba. Il n’y a pas eu de baisse significative de l’usage de la torture au sein de la NPF entre 2012 et 2014 ni de poursuite de policiers auteurs de torture et/ou de mauvais traitements.

[1] Chatam House, Nigeria’s Interminable Insurgency ? Adressing the Boko Haram Crisis, septembre 2014, 38 pages, http://www.chathamhouse.org/sites/files/chathamhouse/field/field_document/20140901BokoHaramPerousedeMontclos_0.pdf

[2] Selon l’Indice de perception de la corruption (IPC) réalisé par l’organisation Transparency International, le Nigeria occupe la 136e place du classement sur les 175 pays étudiés en 2014, http://www.transparency.org/country#NGA

[3] Amnesty International, Bienvenue en enfer : torture et mauvais traitements au Nigeria, 14 septembre 2014, 69 pages, http://www.amnesty.org/ar/library/asset/AFR44/011/2014/en/3744c24d-0afa-4ed9-9aed-62f714480776/afr440112014fr.pdf

[4] Amnesty International, Stop torture : synthèse pays Nigeria, 13 mai 2014, 10 pages, http://www.amnesty.org/fr/library/asset/AFR 44/005/2014/fr/74403bb7-d40c-49a3-9712-7e3f0b514e26/afr440052014fr.pdf

[5] Idem.

[6] Amnesty International, Welcome to hell fire : Torture and other ill-treatment in Nigeria, 18 septembre 2014, 64 pages, http://www.amnesty.ca/sites/default/files/p4334_nigeria_report_complete_web.pdf

[7] Frontline defenders, Nigeria : Human rights defender Mr Justine Ijeomah in hiding following physical assault and threats by police, 23 novembre 2012, https://www.frontlinedefenders.org/node/20875

[8] Human Rights Watch, Nigeria : Investigate Widespread Killings by Police, 19 novembre 2007, http://www.hrw.org/news/2007/11/17/nigeria-investigate-widespread-killings-police

[9] Amnesty International, Nigeria : More than 1,500 killed in armed conflict in North-Eastern Nigeria in early 2014, 31 mars 2014, 31 pages, http://www.amnesty.org/en/library/asset/AFR44/004/2014/en/543f7ac9-6889-4f02-bf5a-d73832e04229/afr440042014en.pdf

[10] Amnesty International, Stop torture : synthèse pays Nigeria, 13 mai 2014, 10 pages, http://www.amnesty.org/fr/library/asset/AFR 44/005/2014/fr/74403bb7-d40c-49a3-9712-7e3f0b514e26/afr440052014fr.pdf

[11] Amnesty International, Nigeria : Moses Akatugba, passé à tabac, contraint à avouer, condamné à mort, 18 décembre 2014, http://www.amnesty.fr/Nos-campagnes/Stop-Torture/Dossiers/Nigeria-Moses-Akatugba-passe-tabac-contraint-avouer-condamne-mort-13173.

[12] Federal Republic of Nigeria, Constitution, 1999, 
http://www.nigeria-law.org/ConstitutionOfTheFederalRepublicOfNigeria.htm

[13] Federal Republic of Nigeria, Nigeria’s 4th Periodic Report on the implementation of the African Charter on Human and Peoples’Rights, August 2011, 109 pages, http://www.achpr.org/files/sessions/50th/state-reports/4th-2008-2010/staterep4_nigeria_2011_eng.pdf

[14] AFP, Nigeria : le nouveau chef de la police dénonce les exactions de ses hommes, 13 février 2012, http://www.romandie.com/news/archives/_Nigeria_le_nouveau_chef_de_la_police_denonce_les_exactions_de_ses_hommes130220122002.asp

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