Moldavie
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Contexte
À la suite de l’éclatement de l’Union soviétique, la république de Moldavie, enclavée entre la Roumanie et l’Ukraine, a proclamé son indépendance le 27 août 1991 et fait le choix d’un rapprochement avec l’Europe en devenant, en 1995, le premier État de la Communauté des États indépendants (CEI) à intégrer le Conseil de l’Europe. D’un point de vue territorial, la Moldavie est confrontée au séparatisme de la Transnistrie (ou République moldave du Dniestr), région située le long de la frontière avec l’Ukraine, qui a proclamé son indépendance dès décembre 1991 et affiché son souhait d’être rattachée à la Russie. Bien que non reconnue par la communauté internationale, la Transnistrie conteste la souveraineté de la Moldavie et possède ses institutions gouvernementales et sa législation propres. Elle est appuyée économiquement et militairement par la Russie. Enlisée dans ce conflit gelé, la Moldavie traverse par ailleurs depuis 2009 une période de forte instabilité politique. Les résultats des élections législatives d’avril 2009 qui accordaient une nouvelle victoire au Parti communiste, au pouvoir depuis 2001, ont été vivement contestés par l’opposition et ont déclenché une vague de manifestations violemment réprimées par le gouvernement. Plus de 300 personnes ont été arrêtées et placées en détention à cette occasion. Trois autres sont décédées dans des conditions qui restent non élucidées. De nouvelles élections législatives, organisées en juillet 2009, ont été remportées par une alliance de partis libéraux qui disposait d’un nombre suffisant de sièges pour constituer un gouvernement mais non pour faire élire un président. Des élections anticipées, qui se sont déroulées en novembre 2010, n’ont pas permis de sortir de cette impasse. Une nouvelle coalition de trois partis politiques, l’Alliance pour une intégration européenne, a rassemblé 59 des 101 sièges du Parlement, deux de moins qu’il n’en faut pour élire un président. Malgré cela, un gouvernement de coalition a été mis en place et est entré en fonction en janvier 2011. En termes de protection des droits de l’homme, d’importants progrès ont été réalisés avec la ratification des principaux traités internationaux en la matière et l’adoption de réformes visant à mettre la législation nationale en conformité avec ces engagements internationaux. Dans la pratique en revanche, des améliorations restent nécessaires pour garantir le respect de l’état de droit et des libertés fondamentales.
Pratiques de la torture
La torture et les mauvais traitements sont courants en Moldavie, en particulier dans les commissariats et les centres de détention provisoire. En 2009, les autorités avaient reçu 6 027 plaintes pour torture ou traitement inhumain ou dégradant, un chiffre en hausse significative par rapport aux années précédentes. Ce phénomène n’est pas nouveau : entre 2005 et 2011, la Moldavie a été condamnée à 27 reprises par la Cour européenne des droits de l’homme pour violation de l’article 3 relatif à l’interdiction de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants.
Victimes
Au moins 312 personnes ont été interpellées à la suite des manifestations d’avril 2009, dont 19 mineurs, et une majorité d’entre elles a été victime de mauvais traitements, voire de tortures, au moment de son interpellation, durant son transport vers un lieu de détention ou pendant sa détention provisoire. Les mauvais traitements rapportés consistaient essentiellement en « des coups de poing, de pied, avec des matraques en caoutchouc, des bâtons en bois, des crosses de fusil ou d’autres objets contondants et durs ». Certaines personnes ont également été victimes de menaces de mort et de traitements humiliants. Ainsi, Oxana Radu a été arrêtée dans la nuit du 7 au 8 avril et emmenée au commissariat central de Chisinau, où elle a été contrainte de se déshabiller, d’effectuer des flexions de genoux sous les insultes et les menaces d’un policier, puis placée dans une cellule sans boire ni manger pendant deux jours, ni avoir le droit de voir un avocat.
Au-delà du cadre exceptionnel des violences post-électorales, la torture et les mauvais traitements sont courants pour les personnes accusées de délits de droit commun, au stade de la garde à vue et pendant les interrogatoires. En outre, elles sont souvent privées des garanties fondamentales de protection telles que l’accès à un avocat ou à un médecin, en particulier au début de la détention.
Par ailleurs, les personnes issues de minorités ethniques (en particulier les Roms), sexuelles ou religieuses sont plus facilement victimes de brimades, de harcèlements, ou de violences verbales et physiques de la part de membres de la police.
Enfin, la torture et les mauvais traitements sont fréquents au sein des forces armées, et sont notamment encouragés lors du bizutage de nouveaux appelés. Dans la région de Transnistrie, des officiers auraient fait pression sur les appelés pour qu’ils ne divulguent pas ces pratiques, afin de ne pas ternir la réputation de l’armée.
Tortionnaires et lieux de torture
La torture et les mauvais traitements sont généralisés dans les locaux de garde à vue de la police, en particulier dans les commissariats de police de Comrat et de Chisinau. Dans une étude réalisée en 2010, 40 % des hommes et 21 % des femmes qui déclaraient avoir été interpellés ou détenus par des policiers affirmaient avoir été frappés ou maltraités à cette occasion.
De nombreux actes de tortures sont également commis dans les centres de détention provisoire relevant du ministère de l’Intérieur. Leur transfert sous l’autorité du ministère de la Justice, recommandé par les instances internationales et un temps envisagé par les autorités moldaves, semble avoir été abandonné. Par ailleurs, les conditions de détention dans ces centres sont souvent difficiles et inadaptées à de longues périodes d’enfermement. Dans les commissariats de Balti, Comrat et Chisinau notamment, les détenus sont maintenus dans des cellules exiguës, sans aération et sans lumière naturelle pendant des semaines, voire des mois.
Malgré d’importants efforts pour améliorer la situation dans les établissements pénitentiaires, sous l’autorité du ministère de la Justice, les conditions de détention y demeurent préoccupantes. 2 des 18 prisons du pays ont récemment été rénovées. Le surpeuplement, les problèmes d’aération, d’hygiène et d’accès aux soins prévalent dans les 16 autres. Les tentatives d’évasion sont durement réprimées et les détenus condamnés à une peine de prison à vie sont placés en isolement vingt-trois heures par jour. Il existe par ailleurs au sein des établissements pénitentiaires un système de hiérarchie informelle parmi les personnes détenues, hérité de l’ère soviétique : certains détenus y imposent leur « loi » en recourant à des menaces et des sévices, y compris sexuels. Dans de nombreuses prisons, cette situation est instrumentalisée par le personnel pénitentiaire pour faire régner l’ordre. Dans le centre pénitentiaire n° 12 de Bender, certains surveillants auraient non seulement fermé les yeux sur des violences physiques entre détenus mais y auraient également participé, notamment de nuit. S’il y a peu d’allégations d’actes de torture perpétrés par les membres du personnel, plusieurs personnes incarcérées dans les établissements pénitentiaires n° 8 et n° 12 (situés en zone contrôlée par les autorités de facto de la région transnistrienne) ont dit avoir fait l’objet de menaces et d’intimidations proférées aux fins de les forcer à retirer des plaintes qu’elles avaient déposées auprès de l’administration pénitentiaire.
Parfois, les institutions psychiatriques sont utilisées comme centres de détention et certains accusés y passent parfois près de trois semaines dans le but officiel d’évaluer leur santé mentale. Selon certaines sources, les enfants autistes sont placés dans de telles institutions où ils sont torturés, attachés sur leur lit ou frappés.
Malgré une opacité certaine, la situation dans la région de Transnistrie est globalement plus inquiétante que dans le reste du pays. Lors d’une visite effectuée en juillet 2010, le Comité pour la prévention de la torture (CPT) du Conseil de l’Europe n’a pas été autorisé à s’entretenir en privé avec les personnes détenues. En octobre 2010, 90 prisonniers du centre de détention provisoire de Tiraspol ont mené une grève de la faim pour dénoncer les « traitements cruels, inhumains et dégradants » auxquels ils étaient soumis, faisant état de cas d’arrestations arbitraires, de tortures et de refus d’accès aux soins. Dans cette région, plusieurs forces de police sont pointées du doigt pour leur recours à la torture et aux mauvais traitements, et notamment le Département de lutte contre le crime organisé et la corruption du ministère de l’Intérieur des autorités autoproclamées de Transnistrie, le Bureau de contrôle des drogues de ce même ministère, ainsi que les services de renseignements. Vitalie Eriomenco a été arrêté à son domicile le 29 mars 2011 par des membres du Département de lutte contre le crime organisé, interrogé pendant dix heures sans accès aux services d’un avocat, et soumis à des mauvais traitements afin de le contraindre à avouer le détournement de 12 000 dollars. Il a ensuite été placé en détention dans la prison n° 3 de Tiraspol, dans des conditions déplorables et, malgré de sérieux problèmes de santé, n’a pas été autorisé à recevoir les soins médicaux appropriés ni à voir sa famille, bien qu’il ait déposé six requêtes à cette fin.
Méthodes et objectifs
Les formes de torture les plus couramment rapportées sont les passages à tabac, les coups de pied, de poing, de matraque en caoutchouc ou de batte de baseball sur tout ou partie du corps, les coups assénés à l’aide de différents objets (câbles, crosses d’arme à feu, bouteilles remplies d’eau), mais aussi les électrochocs, l’asphyxie à l’aide d’un masque à gaz, l’insertion d’aiguilles sous les ongles, le passage à travers le « couloir de la mort » (coups portés sur le corps par des policiers postés le long d’un couloir). Les forces de police privilégient les méthodes qui ne laissent pas de marques visibles, notamment grâce à l’emploi de chiffons qui enveloppent les objets utilisés.
La plupart du temps, la torture et les mauvais traitements pratiqués par la police ont pour but d’extorquer des aveux ou d’obtenir des renseignements dans une procédure pénale. Malgré les allégations de torture, ces aveux sont généralement acceptés par les tribunaux. Ainsi, quatre hommes arrêtés en mars 2009 dans le cadre d’une enquête sur un vol armé se sont plaints de l’usage répété de tortures et de mauvais traitements par les agents de police qui les interrogeaient afin de les faire avouer (passage à tabac, coups avec une bouteille remplie d’eau, étouffement – en leur obstruant la bouche avec du ruban adhésif, puis en leur bouchant les narines -, simulacre d’exécution). Bien que le tribunal ait pris note de ces informations, les aveux ont été admis comme éléments de preuve et les quatre hommes ont été condamnés le 30 juin 2010 à des peines allant de 10 à 13 ans d’emprisonnement. Une étude de la fondation Soros fait par ailleurs un parallèle entre le niveau élevé de corruption au sein des forces de l’ordre et les mauvais traitements, suggérant que l’extorsion de pots-de-vin pourrait jouer un rôle important pour expliquer les abus commis par la police.
Parfois, les mauvais traitements ne semblent justifiés que par un désir d’humilier des personnes en situation d’infériorité. Ainsi, un représentant de la police de Balti a été condamné en juillet 2010 pour avoir, en janvier 2010, roué de coups un homme parce qu’il était ivre.
Dans le cadre des événements d’avril 2009, l’usage excessif de la force semble avoir été utilisé comme instrument politique afin d’inspirer la peur au sein de la population, et de dissuader les manifestants de protester contre le régime.
Légisation et pratiques judiciaires
Condamnation juridique de la torture
La Moldavie a ratifié les principaux traités interdisant le recours à la torture et aux traitements cruels, inhumains et dégradants aux niveaux international (dont la Convention contre la torture des Nations unies et son Protocole facultatif) et régional (en particulier la Convention européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants, qui autorise les visites du Comité pour la prévention de la torture du Conseil de l’Europe).
Au niveau national, l’article 24 (2) de la Constitution moldave interdit les actes de torture et traitements cruels, inhumains ou dégradants. En 2005, la république de Moldavie a modifié son Code pénal pour y introduire l’article 309 qui définit la torture, en conformité avec la Convention contre la torture et précise l’échelle des peines dont sont passibles les responsables de ces crimes. Dans la région de Transnistrie en revanche, l’interdit de la torture est rappelé dans la Constitution mais le Code pénal ne contient pas de définition de la torture conforme à celle de la Convention contre la torture. Depuis novembre 2010, des procureurs spécialisés dans le traitement des allégations de torture ont été mis en place dans toutes les provinces. Suite à la ratification en 2008 du Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture, un Conseil consultatif a été mis en place comme mécanisme national de prévention au sein du Centre moldave des droits de l’homme (Moldovan Human Rights Center-MHRC), institution nationale composée des quatre médiateurs du Parlement.
Poursuite des auteurs de torture
Malgré ce cadre juridique, l’impunité reste un problème important. Le nombre d’enquêtes menées est très faible au regard du grand nombre de cas de tortures ou de mauvais traitements qui sont signalés, et aboutit rarement à des poursuites ou des condamnations. Les autorités en charge d’enquêter sur les allégations de torture font traîner les procédures. En octobre 2009, C.S. a été transféré à la prison n° 13 avec des contusions sur le visage et s’est plaint d’avoir été frappé par un agent du centre de détention de Straseni. Mais une enquête n’a été ouverte qu’après une intervention du MHRC. Ceux qui signalent des cas de torture ou de mauvais traitements, comme les médecins et les avocats, subissent des mesures d’intimidation et de représailles. Dans tous les cas observés par Amnesty International, les agents de police incriminés pour des tortures ou des mauvais traitements sont restés en fonction pendant les enquêtes et, dans certains cas, les victimes ont fait l’objet de pressions.
Le fonctionnement des institutions judiciaires constitue par ailleurs un obstacle à une justice impartiale : les autorités chargées des poursuites sont également chargées du contrôle de la bonne conduite des enquêtes et la charge de la preuve incombe à la victime présumée. Quand des peines sont prononcées, elles ne sont pas à la mesure de la gravité du crime commis. Certaines personnes reconnues coupables échappent même à leur sanction. Ainsi, deux policiers condamnés en novembre 2007 à six ans de prison pour avoir torturé Viorica Plate étaient toujours en liberté à la fin de 2010 et n’avaient pas commencé à purger leur peine.
La justice se fait attendre également en ce qui concerne les événements d’avril 2009, malgré des engagements politiques pris au plus haut niveau. En juillet 2011, les enquêtes étaient toujours en cours et il n’y avait eu qu’une condamnation. Une commission nationale mise en place en octobre 2009 pour faire la lumière sur les faits a découvert en août 2010 que le ministère de l’Intérieur lui avait dissimulé des enregistrements vidéo filmés par certains de ses agents pendant les événements.