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Maroc
Un monde tortionnaire

Maroc et Sahara occidental

Les personnes arrêtées dans le cadre du combat antiterroriste (engagé après les attentats suicides du 16 mai 2003 à Casablanca, qui ont fait 45 morts) sont presque systématiquement torturées. Pendant la garde à vue, les détenus subissent des sévices de la part de leurs interrogateurs jusqu’à ce qu’ils signent des aveux, utilisés ensuite par le juge. Même lorsqu’ils sont arrêtés pour un autre motif que celui de la lutte contre le terrorisme, les militants islamistes sont susceptibles d’être exposés à des mauvais traitements et à des actes de torture.

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Contexte

Dans le sillage des mouvements sociaux nés du Printemps arabe, des protestataires marocains venant de différentes tendances idéologiques, mais partageant les revendications pour plus de démocratie et la fin de la corruption se sont fédérés au sein du « Mouvement du 20 février » et ont organisé à partir de cette date, une série de manifestations pacifiques dans plusieurs villes du pays. Face à cette révolte, le roi marocain Mohammed VI a proposé, en juin 2011, des amendements à la Constitution, adoptés à une très large majorité par la population le 1er juillet. Le texte garantit désormais la liberté de l’information, en la limitant, et accorde en théorie plus de pouvoir au Premier ministre. Mais il permet au monarque de conserver la plupart de ses prérogatives, telles que le pouvoir de dissolution du Parlement, la présidence du Conseil de la magistrature et la nomination des magistrats. Ces dispositions ont été jugées très insatisfaisantes par les contestataires, favorables à l’instauration d’une monarchie parlementaire et d’une véritable séparation des pouvoirs. Ce geste d’ouverture contraste avec la brutalité policière extrême exercée contre les protestataires sur le terrain. Le même paradoxe anime les relations entre la monarchie et la minorité sahraouie basée au Sahara occidental, un territoire contrôlé à 80 % par le Maroc depuis le retrait du colonisateur espagnol en 1975. Les autorités affichent la volonté d’améliorer les conditions de vie des Sahraouis et de dialoguer avec le mouvement politique indépendantiste Front Polisario, mais en parallèle, elles recourent systématiquement à la violence pour mater les manifestations dans la région.

Pratiques de la torture

Victimes

Les personnes arrêtées dans le cadre du combat antiterroriste – engagé après les attentats suicides perpétrés le 16 mai 2003 à Casablanca, qui ont fait 45 morts − sont presque systématiquement torturées. Le plus souvent arrêtées sans mandat et détenues au secret au-delà des douze jours de garde à vue prévus par la « loi n° 03-03 relative à la lutte contre le terroriste » promulguée en 2003, elles réapparaissent quelques semaines, voire quelques mois plus tard, devant le juge d’instruction de la cour d’appel de Rabat − seule instance judiciaire chargée des affaires de terrorisme. Pendant la garde à vue, les détenus subissent des sévices de la part de leurs interrogateurs jusqu’à ce qu’ils signent des aveux, utilisés ensuite par le juge. C’est le sort qu’a connu Fouzia Azougagh, une étudiante de 25 ans, arrêtée par des agents des forces de sécurité en civil dans la ville de Taza, le 18 février 2010. Transférée au centre de détention secret de Témara, près de Rabat, elle a été interrogée durant quatorze jours, menottée et les yeux bandés, insultée, battue et harcelée sexuellement. Le 3 mars 2010, la jeune femme a été conduite dans les locaux de la brigade de la police judiciaire de Casablanca, où elle a de nouveau été torturée et forcée à signer des aveux, avant d’être présentée au juge d’instruction. En dépit de ses déclarations sur l’illégalité de sa détention, l’extorsion d’aveux et les violences dont elle a été victime, Fouzia Azougah a été condamnée le 12 mars 2010 par la chambre criminelle de Rabat à six ans de prison sur le fondement de la loi antiterroriste.

Même lorsqu’ils sont arrêtés pour un autre motif que celui de la lutte contre le terrorisme, les militants islamistes sont susceptibles d’être exposés à des mauvais traitements et à des actes de torture. Ainsi, sept personnes affiliées au mouvement islamiste « Justice et Bienfaisance » (al-Adl wa al-Ihsân) ont été torturées pendant trois jours par des agents de la police judiciaire de Casablanca, après leur interpellation à Fès le 28 juin 2010. Elles étaient accusées d’appartenance à une organisation non autorisée, de séquestration et de torture à l’encontre d’un ancien membre, exclu parce que soupçonné de travailler pour les services de renseignements. Les policiers les ont obligées à signer des aveux sans leur permettre de les lire, avant de les déférer devant le juge d’instruction le 1er juillet 2010.

Les défenseurs sahraouis des droits de l’homme ou de l’indépendance du Sahara occidental sont, eux aussi, victimes de violences policières. Régulièrement, ces militants ou même de simples manifestants sont passés à tabac par les membres des forces de sécurité, parfois avec la complicité de Marocains résidant au Sahara occidental, au cours de rassemblements pacifiques considérés comme illégaux. Certains sont arrêtés et maltraités, voire torturés, puis relâchés ou placés en détention provisoire et poursuivis pour « association de malfaiteurs » (article 294 du Code pénal), « violence contre un agent de la force publique » (article 267) ou encore « incendie volontaire de structures habitées ou destinées à l’habitation ou de véhicules contenant des personnes » (article 580). Plusieurs militants sahraouis sont poursuivis pour atteinte à la sûreté intérieure ou extérieure de l’État devant le tribunal militaire de Salé, en dépit de leur qualité de civils. Parmi les centaines de personnes arrêtées à la suite de l’opération militaire et policière lancée le 8 novembre 2010 pour démanteler le camp de protestation installé en plein désert par des Sahraouis à Gdeim Izik, près d’El-Ayoun, chef-lieu du Sahara occidental, 22 Sahraouis sont ainsi poursuivis pour ces crimes devant la juridiction militaire. Au moins 13 d’entre eux ont été torturés à la brigade de la gendarmerie d’El-Ayoun, avant leur transfert à la prison de Salé. En plus des insultes et des humiliations qu’ils ont tous subies, la plupart ont dû garder leurs menottes pendant plusieurs jours, les yeux bandés et ont étés privés de sommeil et de nourriture. Certains ont notamment été maintenus dans la position du « poulet rôti » et d’autres ont été brûlés avec des cigarettes ou électrocutés. Tous ont été insultés et humiliés. Six détenus ont été violés avec une matraque.

Les participants aux manifestations qui agitent le pays depuis le 20 février 2011 courent aussi le risque de subir des mauvais traitements et des tortures. La répression exercée par les forces de l’ordre a fait des centaines de blessés et au moins un mort, décédé des suites des coups infligés par des policiers lors de la marche de protestation organisée le 29 mai à Casablanca.

L’usage excessif de la force et les sévices commis à l’encontre de manifestants ne sont pas nouveaux. Le 12 octobre 2010, Ilham Hasnouni, 21 ans, membre de l’Union nationale des étudiants marocains, a été arrêtée en raison de sa participation, en mai 2008, à des manifestations estudiantines qui s’étaient déjà soldées par des interpellations, des cas de torture et des condamnations. Arrêtée sans mandat par des agents en civil, Ilham Hasnouni a été interrogée et torturée pendant deux jours au commissariat de Jemâa el Fna.

Enfin, bien qu’il ne s’agisse pas d’une pratique systématique, au moins deux personnes interpellées pour des crimes de droit commun ont fait l’objet de torture en 2010. La première est un homme de 37 ans, Fodail Aberkane, arrêté par la police de Salé le 11 septembre 2010 pour consommation de cannabis, puis relâché. Incarcéré de nouveau le 15 septembre suivant après une altercation avec un policier, il est mort deux jours après, des suites des coups reçus au commissariat. Le champion de boxe Zakaria Moumni est la seconde victime. Arrêté le 27 septembre 2010 et torturé pendant trois jours à Témara, il a été condamné le 4 octobre suivant à trois ans de prison pour escroquerie, sur la base d’aveux extorqués sous la contrainte. Zakaria Moumni serait en fait un prisonnier politique arrêté pour avoir critiqué le roi.

Tortionnaires et lieux de torture

Les principaux auteurs de tortures perpétrées sous couvert de la lutte antiterroriste sont les agents de la Direction générale de la surveillance du territoire (DGST), l’un des services de renseignements du Royaume. Même s’ils n’ont pas la qualité d’officiers de police judiciaire et ne peuvent donc pas arrêter ni interroger des suspects, dans les faits ils procèdent à la plupart des arrestations des personnes soupçonnées d’activités terroristes. Ils les conduisent au centre de détention clandestin de Témara et les interrogent plusieurs semaines durant, en recourant presque systématiquement à la torture. Une fois l’interrogatoire terminé, les détenus sont transférés à la Brigade nationale de la police judiciaire (BNPJ) d’al-Maârif, près de Casablanca, qui est en charge des dossiers politiquement sensibles ; ils y sont parfois à nouveau torturés avant de signer des aveux forcés. La date d’arrestation inscrite sur le procès-verbal est celle de l’arrivée à la brigade pour couvrir la période de détention au secret. Certaines des personnes arrêtées dans le cadre de la lutte contre le terrorisme sont interpellées par des agents de la BNPJ et détenues directement à al-Maârif, où elles sont le plus souvent torturées.

Les tortionnaires des Sahraouis appartiennent, pour la majorité d’entre eux, à la Direction générale de la sûreté nationale (DGSN), déployée dans les principales villes du Sahara occidental sous administration marocaine : El-Ayoun, Smara, Tan Tan et Bojador. Ces policiers infligent aux militants des mauvais traitements pouvant aller jusqu’à de la torture (passages à tabac, viols, humiliations, etc.) dans leur véhicule, au commissariat ou dans un endroit isolé en dehors de la ville.

Les militaires, gendarmes et membres des forces auxiliaires se livrent aussi à des mauvais traitements et à des tortures à l’encontre des Sahraouis, généralement dans le cadre de la répression de manifestations. Lors de l’évacuation du campement de Gdeim Izik, les gendarmes se sont rendus coupables de nombreuses exactions, sur le site, dans les camions où ils ont parqué des dizaines de personnes arrêtées, mais aussi à la gendarmerie et dans un orphelinat utilisé comme base par les gendarmes et les militaires.

Dans les établissements pénitentiaires, les Sahraouis et les personnes détenues dans le cadre de la lutte contre le terrorisme sont particulièrement susceptibles d’être maltraités, voire torturés par les gardiens.

En 2011, l’armée, les forces auxiliaires et la police ont fait preuve d’une grande violence pour réprimer les manifestations organisées par le « Mouvement du 20 février ». À plusieurs occasions, les agents des forces de sécurité ont dispersé les protestataires à coups de matraque et en ont pourchassé des dizaines qu’ils ont passés à tabac dans la rue, dans les camions de police ou dans des endroits isolés.

Méthodes et objectifs

La plupart des tortures infligées aux terroristes présumés ont lieu au cours de la détention au secret prolongée qui suit l’arrestation et qui est constitutive d’une disparition forcée et assimilable à de la torture psychologique. Pendant leur interrogatoire, les détenus sont le plus souvent maintenus menottés, les yeux bandés et sont parfois dénudés.

Les tortures employées pour obtenir des informations et des aveux sont le passage à tabac, la privation de sommeil et de nourriture, la technique dite « de l’avion », la falaka, le viol (notamment la sodomie forcée avec une bouteille, une matraque, un stylo ou un autre objet), la menace de viol ou de mort, les décharges électriques, principalement sur les parties génitales, et les brûlures avec une cigarette ou un briquet. De nombreux détenus ont rapporté avoir été forcés de boire de l’urine et plusieurs autres ont aussi été drogués.

La torture exercée à l’encontre des Sahraouis vise à la fois à les humilier, à les punir pour leurs opinions politiques présumées et à les contraindre à signer des aveux, en cas de poursuites engagées contre eux. Outre les coups, la méthode du « poulet rôti » et les violences sexuelles, les personnes arrêtées dans le cadre du démantèlement du camp de Gdeim Izik ont témoigné avoir été forcées de boire de l’urine ou de s’être fait uriner dessus par les agents des forces de l’ordre. Ces derniers ont aussi obligé des Sahraouis à chanter l’hymne national marocain ou à crier « Vive le roi ! », des déclarations d’allégeance qui ont par ailleurs aussi été arrachées aux manifestants du « Mouvement du 20 février ».

Législation et pratiques judiciaires

Condamnation juridique de la torture

Le Maroc a ratifié la Convention contre la torture en 1993 et a reconnu la compétence du Comité contre la torture pour connaître des plaintes individuelles en 2006. En revanche, le pays n’a toujours pas ratifié la Convention contre les disparitions forcées, ni le Protocole facultatif à la Convention contre la torture.

La Constitution du royaume dispose, en son article 22 : « La pratique de la torture, sous toutes ses formes et par quiconque, est un crime puni par la loi. » L’article 231-2 du Code pénal punit d’une peine de réclusion de cinq à quinze ans et d’une amende de 10 000 à 30 000 dirhams tout fonctionnaire public qui a pratiqué la torture. Les alinéas 3 à 6 du même article prévoient des sanctions plus lourdes en cas de circonstances aggravantes ayant trait à la préméditation, au nombre de tortionnaires, à la qualité, à l’âge ou à la situation physique de la victime et enfin aux conséquences de la torture. La criminalisation de la torture comporte des insuffisances. Tout d’abord, seuls les fonctionnaires sont exposés aux poursuites et ils doivent par ailleurs avoir « pratiqué » la torture. La loi n’établit donc pas clairement si le fonctionnaire qui a incité à torturer ou donné son consentement à l’acte peut être traduit en justice. Enfin, le Code pénal ne prévoit pas que la torture soit exclue des dispositions régissant l’amnistie, la grâce et la prescription (articles 49, 51, 53 et 54). D’après l’article 293 du Code de procédure pénale, les aveux obtenus par la violence ou la contrainte sont nuls. Concernant l’obligation d’enquêter sur les cas de torture, l’article 74 du Code de procédure pénale impose au procureur d’ordonner une expertise médicale dès lors qu’il lui est demandé d’enquêter sur un acte de violence ou qu’un tel acte est porté à sa connaissance. L’article 134 du Code de procédure pénale oblige aussi les juges d’instruction à ordonner un examen médical immédiat sur toute personne présentant des traces de torture.

Poursuite des auteurs de torture

Les 16 et 17 mai 2011, près de 200 personnes incarcérées dans la prison de Salé pour des infractions liées au terrorisme ont organisé un mouvement de protestation afin de réclamer la fermeture du centre de détention secret de Témara et dénoncer les tortures et les procès inéquitables qu’elles ont subis. Cette manifestation fait écho au déni persistant dont font preuve les autorités marocaines à propos des allégations de torture.

Dans la plupart des cas, les juges et procureurs refusent d’enregistrer les plaintes pour torture et d’ordonner des expertises médicales ou ils tardent à le faire, pour permettre ainsi aux traces visibles de s’estomper et clore par conséquent l’affaire faute de preuves suffisantes.

Les rares enquêtes diligentées ne produisent jamais de résultats satisfaisants. Par exemple, dans le cas du jeune Kammal Ammari, tabassé par les forces de sécurité au cours d’une manifestation organisée à Safi, le 29 mai 2011, et décédé à l’hôpital le 2 juin, le médecin légiste a conclu que la victime était morte d’une pneumopathie qui avait aggravé les effets « d’un simple coup sur le torse » reçu lors de la protestation.

L’impunité est aussi de mise concernant les tortures et mauvais traitements infligés aux Sahraouis. À la suite des exactions perpétrées par les forces de l’ordre lors du démantèlement du camp de Gdeim Izik, le Parlement a créé une commission d’enquête. Dans son rapport, rendu public en janvier 2011, elle s’est contentée de relever quelques abus commis au cours des arrestations. Outre sa partialité manifeste qui ne concourait pas à l’établissement de la vérité, la commission n’avait pas compétence pour rendre justice aux victimes.

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