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Madagascar
Un monde tortionnaire

Madagascar

À Madagascar, le phénomène tortionnaire est courant et peut toucher un vaste spectre de la population. Toutefois, la torture et les mauvais traitements ne semblent pas massifs et encore moins institutionnalisés. En revanche, les ONG s’inquiètent du nombre d’exécutions extrajudiciaires et des arrestations et détentions arbitraires effectuées dans le pays.

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Contexte

Le pays connaît une crise de gouvernance majeure depuis cinq ans. Après le coup d’État du 17 mars 2009, le pays a été dirigé par un régime civil, non élu et soutenu par l’armée : la Haute autorité de la transition (HAT), présidée par Andry Rajoelina, ancien maire de la capitale Antananarivo. En septembre 2011, les acteurs politiques malgaches ont accepté un plan de sortie de crise élaboré par la communauté internationale sous la houlette de la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) qui prévoit la mise en place d’un Gouvernement de Transition d’Union Nationale, le maintien d’Andry Rajoelina comme président de la transition et l’instauration d’une commission indépendante chargée de fixer un calendrier électoral et d’organiser le scrutin. Or, la tenue du scrutin présidentiel, qui aurait dû permettre à Madagascar de retrouver sa place au sein des instances régionales et internationales et de sortir de l’impasse politique, a été deux fois repoussée, replongeant le pays dans l’incertitude. Le dernier calendrier a fixé au 25 octobre 2013 le premier tour de la présidentielle et au 20 décembre 2013 le second tour, jumelé avec les législatives. Depuis janvier 2009 et les premières manifestations de l’opposition, aujourd’hui au pouvoir, les allégations de torture pour des raisons politiques ont progressé. Face à la déliquescence de l’État et de son administration, qui ne semblent plus être en mesure d’assurer de manière constante la protection de la population, l’insécurité et les violences liées au banditisme ont tendance à augmenter dans un contexte de hausse de la pauvreté. Pour lutter contre cette situation, les forces de l’ordre ont aussi accru l’usage de la force à l’encontre des personnes soupçonnées de délits. Dans le pays, la violence contre les criminels supposés est socialement admise et traditionnellement passée sous silence.

Pratiques de la torture

À Madagascar, le phénomène tortionnaire est courant et peut toucher un vaste spectre de la population. Toutefois, la torture et les mauvais traitements ne semblent pas massifs et encore moins institutionnalisés. En revanche, les ONG s’inquiètent du nombre d’exécutions extrajudiciaires et des arrestations et détentions arbitraires effectuées dans le pays.

Victimes

Les principales victimes sont les personnes suspectées de délit de droit commun. Il s’agit principalement de voleurs présumés, torturés lors de leur arrestation ou pendant leur garde à vue. À la suite d’une dégradation du climat sécuritaire dans des régions d’Atsimo-Andrefana, d’Atsimo-Atsinanana et d’Anosy au sud du pays, liée aux nombreux vols de zébus ayant entraîné des affrontements meurtriers entre les bandits de grand chemin et voleurs de bétail appelés « dahalo » et les villageois, les autorités ont lancé l’opération Tandroka (« cornes de zébus ») en septembre 2012 pour restaurer l’ordre public et capturer le chef présumé des dahalos. Un détachement de la Force d’intervention spéciale (FIS), doté d’équipements militaires, a été envoyé sur place. Dans le cadre de cette traque menée jusqu’à avril 2013, les forces de sécurité ont tué plusieurs centaines de personnes soupçonnées d’être des dahalo ou d’avoir des sympathies à leur égard, dont plusieurs sous la torture, et incendié des communes, faisant également des victimes parmi les personnes âgées, les femmes et les enfants.

La dégradation de la situation politique depuis janvier 2009 a contribué à un accroissement des violences à l’encontre des opposants. Entre janvier et mars 2009, au moins 100 personnes sont mortes lors de manifestations, parfois réprimées par les partisans d’Andry Rajoelina, certaines sous les coups des forces de défense et de sécurité. Le changement de pouvoir en mars 2009 n’a pas changé la donne en termes de maintien de l’ordre. Après l’explosion de bombes artisanales dans la capitale en juin 2009, de nombreuses personnalités proches de l’ancien gouvernement ont été arrêtées et plusieurs d’entre elles brutalisées. En novembre 2010, les forces de l’ordre ont interpellé et violenté un groupe d’officiers militaires accusés de préparer un coup d’État. En mars 2011, les opposants Alphonse Rafaralahitsimba et Misa Arifetra Rakotoarivelo ont été contraints sous la torture de faire des aveux incriminant un proche de l’ex-président de la République Marc Ravalomana dans un projet de tentative d’assassinat d’Andry Rajoelina. Ils ont été soumis à des chocs électriques. En juillet 2013, un candidat à la présidentielle a été brutalement arrêté pour avoir organisé une manifestation publique appelant au retrait de trois autres postulants. Plaqué au sol par des agents de sécurité masqués, il a été traîné vers une camionnette par les pieds, sa tête raclant le sol.

Dans un contexte de dépravation du pouvoir étatique, les journalistes, les avocats et les juges sont aussi exposés aux abus. En mai 2012, la police a arrêté un salarié du journal pro-régime La Vérité, alors qu’il était en route pour couvrir un événement à Antananarivo et l’ont tabassé jusqu’à fracturer son bras. Le 9 décembre 2011, le substitut du procureur Michel Rehavana a été battu à mort par une cinquantaine de policiers à Tuléar. Les officiers exigeaient la libération d’un collègue condamné par la justice pour avoir donné son arme à des bandits.

Tortionnaires et lieux de torture

Les forces de défense et de sécurité usent régulièrement de la violence. Avec la mise en place de la HAT, elles ont bénéficié d’une certaine liberté d’action vis-à-vis du pouvoir en place, en échange de leur soutien au pouvoir en place, et ne sont quasiment soumises à aucun contrôle politique en dehors de la capitale. Dans le cadre de leurs activités de lutte contre l’insécurité dans les grandes villes, particulièrement à Antananarivo, les forces de l’ordre, notamment la Force d’intervention de la police (FIP) et le Groupe d’intervention rapide (GIR) – unité spéciale de lutte contre le grand banditisme de la police nationale – recourent aux brutalités à l’encontre des bandits présumés. En 2012, les forces de l’ordre ont abattu par balles au moins 100 criminels supposés. Hajaharimananirainy Zenon, chauffeur de taxi soupçonné d’avoir lancé des cailloux sur le convoi présidentiel, a été arrêté dans la capitale, placé en en détention dans la nuit du 17 juillet 2011 puis torturé à mort par des membres de la FIP. Son corps a été déposé à la morgue de l’hôpital général d’Antananarivo le lendemain matin. La Force d’intervention spéciale (FIS), créée en mars 2009 sous le nom de Comité national mixte d’enquête (CNME), a souvent fait un usage excessif de la force pour disperser les manifestations. Cet organe, composé en partie de militaires, répond directement aux ordres du leader de la HAT. La FIS est aussi accusée de graves exactions, dont des actes de torture et des incendies, dans le cadre de l’opération Tandroka.

Dans les établissements pénitentiaires, les châtiments corporels sont pratiqués à titre disciplinaire. En cas de tentative d’évasion ou d’arrestation de prisonniers en cavale, les gardiens infligent couramment des mauvais traitements aux détenus, afin de les décourager. Des informations font également état de violences sexuelles à l’encontre des détenus récalcitrants pour les humilier et les remettre dans le droit chemin.

Du fait de la faillite croissante de l’État de droit et d’un manque de confiance dans le système judiciaire, les dina – système de justice traditionnelle en milieu rural, compétent en matière civile sous réserve d’homologation – ont commencé, ces dernières années, à appliquer des mesures répressives dans leurs zones. Dans certains cas, des citoyens se sont sentis investis de pouvoir coercitif par les dina et ont commis des lynchages ou ont participé à d’autres formes de torture collective contre des individus soupçonnés de vol. En mars 2011, une personne a été torturée à mort par crucifixion à la suite d’une condamnation par un dina dans le sud du pays.

Méthodes et objectifs

Faute de moyens d’investigation moderne, la torture permet avant tout d’extorquer des aveux durant la garde à vue pour les officiers de police judiciaire, qui n’hésitent pas à mener des interrogatoires musclés durant l’enquête préliminaire : bastonnades, écrasement des doigts, brûlures avec des mégots de cigarette. Les confessions obtenues sous la contrainte sont utilisées comme éléments de preuve par la justice. Les sévices servent aussi à punir les voleurs au moment de leur arrestation et les prisonniers de droit commun en cas de mauvaise conduite. Trois détenus de la Maison centrale de Manakara, située dans le sud-est du pays, ont été torturés pendant deux jours en septembre 2010 par des agents pénitentiaires pour avoir fait entrer du cannabis dans la prison. Le plus âgé d’entre eux a été déshabillé, menotté et frappé avec des bâtons et des barres en fer jusqu’à perdre connaissance à trois reprises. Au cours du même mois, dans le même établissement, un détenu qui s’était battu avec un autre prisonnier pour un vol de ration alimentaire a été frappé à coups de bâtons de la tête aux pieds par quatre gardiens avant de s’évanouir. Enfin, la torture revêt des motifs politiques visant à endiguer toute opposition contre le pouvoir en place.

Législation et pratiques judiciaires

Condamnation juridique de la torture

Madagascar est partie à la plupart des instruments juridiques internationaux prohibant la torture. Sa Constitution de 2010 précise, en son article 11, que « nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ». Plusieurs décrets, codes de conduite ou de déontologie de la police et de l’administration pénitentiaire interdisent également l’usage de la torture. En vue de transposer la Convention contre la torture (ratifiée en décembre 2005) qui prime le droit interne selon la Constitution, les autorités ont adopté en juin 2008 une loi qui érige en infraction pénale autonome les actes de torture. La peine minimale est de deux ans d’emprisonnement et la peine maximale peut aller jusqu’aux travaux forcés à perpétuité en cas de viol ou de décès. Cette loi consacre également le caractère absolu de l’irrecevabilité de la preuve obtenue sous la torture, la protection des témoins, des victimes et des enquêteurs et le droit des victimes à obtenir réparation. Ces dispositions n’ont pourtant pas encore été intégrées dans le Code de procédure pénale et le Code pénal. Dans son état actuel, ce dernier considère la torture comme une circonstance aggravante en association avec d’autres crimes et ne prévoit pas d’échelle des peines pour sanctionner les actes de torture. Cette situation donne au juge un pouvoir discrétionnaire quant à la qualification ou non de la torture et quant à la sévérité de la peine. Enfin, le texte ne proclame pas l’imprescriptibilité de la torture : le délai de prescription est de trois ans pour une infraction de torture qualifiée de délit et de dix ans pour une qualifiée de crime.

Poursuite des auteurs de torture

Conformément à la loi, les victimes peuvent déposer plainte auprès du tribunal compétent. Dans les faits, elles le font rarement et ne sont pas informées de leurs droits en raison de la complexité des procédures pour des citoyens en grande partie analphabètes. Le bureau d’assistance judiciaire, créé par décret en juillet 2009 et censé aider les victimes, n’a pas encore été mis en place. L’éloignement des lieux d’implantation de la justice pour une majorité de la population rurale empêche également les victimes de faire valoir leurs droits. Les détenus peuvent aussi saisir la Commission de surveillance des établissements pénitentiaires mise en place en janvier 2006 en déposant des plaintes écrites dans des boîtes de doléances, mais dans la pratique les courriers sont lus avant d’être expédiés à l’extérieur et ceux adressés à la commission sont interceptés et arrivent rarement à leur destinataire. Alors que deux cas de mauvais traitements en prison à Manakara et à Fort-Dauphin ont fait l’objet d’une enquête fin 2011, aucune procédure disciplinaire n’a été engagée pour abus devant la commission depuis sa création. Le barreau et les ONG locales ne sont pas associés à son travail et les rapports de violences en détention rédigés par les associations et transmises aux autorités donnent rarement lieu à un suivi. Le document de la section locale de l’ACAT sur les actes de torture commis par des gardiens dans la Maison centrale de Manakara en septembre 2010 n’a ainsi débouché sur aucune sanction disciplinaire ou pénale. Le nouveau Médiateur de la République, nommé en 2008, ne mène pas d’activités liées à la lutte contre la torture. Enfin, le Conseil national des droits humains (CNDH), institué par une loi de juillet 2008, n’est pas encore opérationnel puisque ses représentants non pas été désignés à cause de la suspension du Parlement. Une fois actif, il pourra procéder à des enquêtes administratives aussitôt qu’il aura reçu une plainte individuelle ou collective, saisir les autorités compétentes en cas d’allégations de torture et effectuer des visites dans tous les lieux de détention. Enfin, le procureur de la République contrôle rarement les activités des officiers de police judiciaire pendant les gardes à vue. Ainsi, il n’existe pas de mécanisme efficace et indépendant permettant d’enquêter systématiquement sur les allégations de mauvais traitements ou de tortures perpétrés par les représentants de l’État. Dès lors, les délits imputables aux forces de l’ordre font très rarement l’objet d’enquêtes.

Avant d’entreprendre une démarche contre un agent de sécurité accusé de violences, la justice doit obtenir une autorisation préalable de poursuite émanant du ministre dont dépend la personne incriminée, ce qui constitue un frein à toute éventuelle action judiciaire. Généralement, les autorités privilégient les mutations des auteurs d’abus vers d’autres provinces. Dans leur rapport initial devant le Comité contre la torture* (CAT) de janvier 2011, les autorités n’ont présenté qu’un seul cas de poursuite judiciaire pour une affaire de torture remontant à 2006, avec la condamnation d’un enquêteur à une peine de six mois d’emprisonnement et à une amende de 500 000 ariary (environ 165 euros actuels) pour coups et blessures volontaires au cours d’un interrogatoire. En novembre 2011, le gouvernement a été dans l’impossibilité de fournir au CAT des statistiques à propos de l’exécution par les tribunaux de la législation contre la torture, méconnue des responsables de l’application des lois. Pour pallier ce déficit, l’administration et la société civile ont engagé une série d’initiatives conjointes de formation en 2010 et 2011. Malgré les faibles moyens humains et matériels de la justice et sa soumission au pouvoir exécutif, certains juges s’efforcent de faire leur travail de manière indépendante et condamnent des membres des forces de l’ordre pour divers crimes. Entre mars et septembre 2011, 125 policiers ont été jugés pour des délits tels que la corruption et l’extorsion. Pourtant, aucun agent de l’État n’a été jugé pour des faits de violence physique. Les magistrats craignent d’entreprendre de telles poursuites dans la mesure où les forces de l’ordre remettent parfois en cause leur pouvoir et s’attaquent physiquement à eux. Ainsi, les responsables locaux de la police de Tuléar ont été limogés après avoir tabassé à mort un juge en décembre 2011 et cinq officiers soupçonnés de ce crime ont été placés sous mandat de dépôt, mais n’ont pas encore été jugés. Le 24 juillet 2012, une quarantaine de policiers du GIR se sont introduits avec des armes dans le tribunal d’Antananarivo et ont libéré de force cinq de leurs compagnons en comparution pour une affaire de meurtre crapuleux d’un homme d’affaires. Concernant les exactions commises dans le cadre de l’opération Tandroka, le Premier ministre a annoncé aux médias la création d’une enquête indépendante avec les Nations unies, qui n’a toujours pas été ouverte, officiellement pour un problème de budget. Seul un lieutenant-colonel a été placé sous mandat de dépôt dans l’attente de son procès en novembre 2012, à la suite d’une plainte déposée par un paysan pour violence illégale et extorsion.

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