Hongrie
Un monde tortionnaire

Hongrie

D’après les sources les plus récentes, les agents de l’État ne commettent pas couramment de torture en Hongrie, mais ils soumettent occasionnellement les suspects de droit commun et les prisonniers à des mauvais traitements, en particulier quand ces derniers appartiennent à la communauté stigmatisée des Roms qui représentent entre 5 à 8 % de la population selon les diverses estimations. La violence des forces de sécurité s’exerce aussi contre les demandeurs d’asile et les migrants sans papiers. Enfin, les conditions de détention dans les prisons surpeuplées du pays sont souvent inhumaines et dégradantes. Tous ces abus ont valu à la Hongrie six condamnations entre janvier 2012 et juillet 2013 par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) pour violation de l’article 3 de la Convention européenne sur l’interdiction des mauvais traitements.

Contexte

Depuis la large victoire de la coalition conservatrice Union civique hongroise-Parti chrétien démocrate du peuple (Fidesz-KDNP) dirigée par Viktor Orbán aux élections législatives de 2010, la situation des droits de l’homme s’est considérablement aggravée dans le pays. Sur fond de crise économique et sociale et de chômage galopant, la haine raciale s’est intensifiée à l’encontre des 13 minorités nationales, en particulier les Roms et les Juifs, victimes de campagnes de harcèlement et d’agressions par des milices et des groupes paramilitaires d’extrême-droite d’une part et de discrimination et d’atteintes à leurs droits fondamentaux par les autorités d’autre part. Le Jobbik, troisième force politique du pays, ultra-nationaliste, a largement contribué à la banalisation des discours et des attitudes xénophobes dans la sphère politique. De même, les policiers, les juges et les procureurs rechignent à reconnaître les motivations raciales des crimes, ce qui empêche l’application de sanctions adaptées.

Le régime en place a aussi mis de nombreuses entraves à la liberté de la presse avec la création en 2010 d’une autorité de contrôle, le Conseil des médias, dont le responsable est directement nommé par le Premier ministre Viktor Orbán et dont les autres membres sont tous issus de la formation au pouvoir. Cette structure extrêmement politisée, et donc partiale, veille à l’« équilibre correct de l’information », peut sanctionner les journalistes qui portent atteinte à la « dignité humaine » ainsi qu’à la « moralité publique » et peut aussi accéder à leurs sources sous certaines conditions.

Par ailleurs, le chef du gouvernement recourt à de nombreuses réformes de la nouvelle Loi fondamentale, déjà adoptée sans consultation ni référendum et entrée en vigueur le 1er janvier 2012, et à des « lois cardinales » pour légiférer dans 35 domaines relevant du pouvoir décisionnel ordinaire du Parlement et remettre en cause l’équilibre des pouvoirs. Ainsi, certains de ces changements ont considérablement réduit l’indépendance du système judiciaire. Élu par les parlementaires, le président de l’Office national des magistrats (OBH) possède une autorité totale sur l'administration, la gestion et le contrôle des tribunaux, nomme les présidents de juridiction, peut transférer une affaire à une autre juridiction et affecter sans son accord un juge à un autre tribunal, en contradiction avec le principe d'inamovibilité. Quant à la Cour constitutionnelle, elle n’a plus compétence pour statuer sur le fond des réformes de la Loi fondamentale ni se référer à sa jurisprudence d’avant la mise en place de ce texte.

Ces mesures ont suscité de nombreux rappels à l’ordre du Parlement européen, du Conseil de l’Europe et de la Commission européenne qui craignent des dérives autoritaires de la part de Viktor Orbán et des violations sous son mandat de leurs valeurs fondamentales que sont l’État de droit, la démocratie et les droits de l’homme.

Pratiques de la torture

D’après les sources les plus récentes, les agents de l’État ne commettent pas couramment de torture en Hongrie, mais ils soumettent occasionnellement les suspects de droit commun et les prisonniers à des mauvais traitements, en particulier quand ces derniers appartiennent à la communauté stigmatisée des Roms qui représentent entre 5 à 8 % de la population selon les diverses estimations. La violence des forces de sécurité s’exerce aussi contre les demandeurs d’asile et les migrants sans papiers. Enfin, les conditions de détention dans les prisons surpeuplées du pays sont souvent inhumaines et dégradantes. Tous ces abus ont valu à la Hongrie six condamnations entre janvier 2012 et juillet 2013 par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) pour violation de l’article 3 de la Convention européenne sur l’interdiction des mauvais traitements.

Abus commis lors des opérations de police

Les policiers se livrent parfois à des violences physiques et verbales, notamment des injures racistes, lors de l’interpellation, du transport et de la détention des suspects dans leurs locaux. Les premiers ciblés sont les Roms et, dans une moindre mesure, les membres des autres minorités et les étrangers, souvent victimes de profilage racial et de contrôles d’identité ainsi que d’arrestations arbitraires. En 2010, une Rom de 27 ans qui s’était interposée dans une querelle entre un officier et un citoyen, a reçu du gaz au poivre dans les yeux, s’est fait traîner et battre jusqu’au fourgon de police où elle a eu le pull déchiré et la poitrine exposée aux regards. De même, le 8 avril 2013, un ressortissant roumain de 47 ans soupçonné du vol d’une tronçonneuse et de câbles électriques est mort après avoir été roué de coups sur tout le corps par deux officiers pendant deux heures dans un commissariat. La législation hongroise prévoit en outre des « arrestations de courte durée » (entre huit à douze heures maximum) sans inculpation et des gardes à vue d’une durée de soixante-douze heures dans les locaux de la police, au cours desquelles les garanties juridiques fondamentales comme l’accès à un avocat ou à un médecin ne sont pas toujours respectées, ce qui expose les détenus à des risques de mauvais traitements.

Conditions de détention

Les conditions d’enfermement réservées aux prisonniers représentent aussi une source de préoccupation dans la mesure où elles attentent régulièrement à leur dignité. Les conditions matérielles varient selon les établissements, mais la majorité d’entre eux présente des signes de vétusté et de saleté, des installations sanitaires insuffisantes et en mauvais état, ainsi que des problèmes de ventilation et d’éclairage. Le surpeuplement qui affecte les prisons – problème reconnu officiellement par le gouvernement –, avec 18 388 détenus pour une capacité officielle de 12 639 places en mai 2013, est lié en partie au recours excessif des autorités judiciaires à la détention provisoire : en 2012, les prévenus constituaient près de 30 % de la population carcérale. Le gouvernement a décidé en 2010 d’amender la loi pour que le respect des espaces de vie minimaux de 3 m² pour les hommes et de 3,5 m² pour les femmes et les adolescents fixés par le Comité européen pour la prévention de la torture (CPT) se fasse seulement « si c’est possible ». L’administration pénitentiaire a aussi ouvert « une prison d’été » de juin à octobre 2012 pour accueillir, dans une prison sans chauffage ni éclairage, des personnes condamnées pour des infractions mineures qui ont dû travailler pour rembourser le coût de leur détention, une expérience qui devrait être renouvelée. La surpopulation crée des tensions entre prisonniers et surveillants pénitentiaires, qui se rendent parfois coupables de mauvais traitements (violences verbales, gifles, coups de poing et de pied), en particulier contre les prévenus et les détenus roms, victimes de préjugés raciaux et surrereprésentés au sein de la population carcérale (entre 30 à 40% de l’effectif ). Les gardiens font aussi régulièrement un usage excessif de l’isolement* cellulaire et des moyens de contrainte à l’encontre des prisonniers considérés comme très dangereux, dits « de catégorie 4 », et de ceux qui exécutent de longues peines, incarcérés dans les unités spéciales de sécurité (KBK). Ces derniers sont menottés et équipés d’une ceinture de force à chaque fois qu’ils sortent de leur cellule, pour se rendre à une audience, faire de l’exercice, consulter un médecin, recevoir de la visite ou même prendre une douche. Incarcéré en 2006, le détenu Sigmond Csüllög a ainsi passé près de deux ans sous ce régime, soumis à des fouilles approfondies chaque jour, quasiment privé de tout contact avec le monde extérieur. De plus, ces prisonniers ne sont souvent pas informés de motifs de ce traitement, ce qui crée « un sentiment de sujétion, de dépendance totale, d’impuissance et, par conséquent, d’humiliation » d’après la CEDH saisie du cas de Monsieur Csüllög et ne bénéficient pas de la possibilité d’exercer un recours devant une cour ou une autorité supérieure. Les détenus souffrant de troubles mentaux sont placés dans l’Institut psychiatrique judiciaire et d’observation de Budapest, où ils sont soumis à un traitement médicamenteux obligatoire, pour une durée indéfinie. En 2012, une cour a condamné l’établissement à une amende pour préjudice moral pour avoir administré contre son gré une « camisole de force chimique » (un mélange d’antipsychotiques) à un prisonnier. Par ailleurs, le Code pénal hongrois prévoit la réclusion à perpétuité incompressible pour certains crimes et pour les récidivistes (« règle des trois infractions »). Or, l’impossibilité pour une personne emprisonnée à vie d’obtenir une libération conditionnelle ou un réexamen de sa peine relève d’un traitement inhumain et dégradant selon la CEDH.

Conditions d’accueil et d’enfermement des demandeurs d’asile et des immigrés clandestins

Depuis l’introduction d’amendements à la Loi sur l’asile en janvier et juillet 2013, les personnes qui font immédiatement une demande d’asile lors de leur interpellation pour entrée illégale sur le territoire et les personnes renvoyées en Hongrie au titre du règlement Dublin II* ne sont plus placées en détention, mais admises dans des structures d’accueil ouvertes. En revanche, cette nouvelle législation augmente la liste de motifs autorisant la détention pour une durée de six mois des autres demandeurs d’asile, y compris des familles avec des enfants, des femmes seules, des femmes enceintes, des personnes âgées et des personnes souffrant de troubles psychiques, rétention qui représente la règle et non pas l’exception. Ces personnes sont envoyées dans des centres de rétention administrative aux côtés des migrants sans-papiers. Dans ces installations gérées par le Centre de surveillance des frontières, généralement insalubres et surpeuplées, les détenus sont traités comme des criminels. Ils sont enfermés la majorité du temps dans leur cellule, n’ont pas accès à une prise en charge médicale et psychosociale adaptée ni à des activités récréatives et ils sont tenus en laisse et menottés quand ils sont escortés pour aller en audience dans une cour ou même chez le médecin, au bureau de poste et à la banque. Le centre de rétention de Nyírbátor, le plus grand du pays, a même été qualifié de « pire qu’une prison » par le Commissaire aux droits fondamentaux, ou Ombudsman*, hongrois. Les autorités ont d’ailleurs réouvert neuf établissements pénitentiaires fermés pour non-conformité avec les standards du CPT pour faire face à l’afflux de demandeurs d’asile depuis le début de l’année 2013. Les gardiens, des officiers de police ou des gardes de sécurité civils sous contrat, portent ostensiblement des matraques, des menottes et des bombes de gaz au poivre et frappent fréquemment les détenus à coups de poing et de bottes pour les intimider ou les punir. Ils pratiquent aussi régulièrement la sédation et la médication forcée qui peuvent conduire à des addictions. Les victimes d’abus sont souvent envoyées en cellule d’isolement par mesure disciplinaire.

Législation et pratiques judiciaires

Condamnation légale de la torture

La Hongrie est partie aux principaux instruments relatifs aux droits de l’homme et a reconnu la compétence du Comité contre la torture* (CAT) pour enquêter sur des communications* présentées par un autre État partie soit par ou pour le compte de particuliers relevant de sa juridiction. En 2012, elle a ratifié le Protocole facultatif à la Convention contre la torture (OPCAT) et désigné comme Mécanisme national de prévention* le Commissaire aux droits fondamentaux. Mais ce dernier, qui assumera cette fonction en 2015 seulement, ne peut pas accéder à tous les lieux privatifs de liberté, comme les établissements psychiatriques, ni s’entretenir avec n’importe quelle personne.

En Hongrie, la torture est interdite en vertu de l’article III (1) de la Loi fondamentale et de la section 16 (4) de la Loi sur la police, mais elle n’est pas considérée comme une infraction en tant que telle dans le Code pénal. Même si le gouvernement prétend que tous les actes constitutifs de mauvais traitements ou de torture sont punissables au titre des articles 226 (Mauvais traitements dans l’exercice de fonctions officielles), 227 (Conduite d’interrogatoires sous la contrainte) et 228 (Détention illégale) de ce texte, la définition de la torture n’y incorpore pas tous les éléments compris dans celle de la Convention des Nations unies. De plus, la peine maximale de huit ans d’emprisonnement prévue n’est pas à la hauteur de la gravité du crime. Les autorités ont adopté en 2003 un Code de conduite relatif aux interrogatoires de police et mis en place en 2008 une Commission indépendante d’examen des plaintes contre la police. Ce mécanisme, chargé d’enquêter sur les violations des droits de l’homme perpétrées par les membres des forces de sécurité, n’est pourtant pas investi des pouvoirs d’entreprendre des investigations de son propre chef ni d’entendre les agents concernés et peut seulement adresser des recommandations à la Direction de la police nationale et présenter ses conclusions au Parlement.

Poursuite des auteurs de torture

Les allégations de mauvais traitements commises par des responsables de l’application des lois donnent rarement lieu à des enquêtes impartiales et efficaces, à des actions pénales et à des condamnations. Pour preuve, l’institution judiciaire tarde à mettre un terme aux poursuites criminelles engagées contre des policiers à la suite de la répression violente menée lors des manifestations antigouvernementales à Budapest en septembre et en octobre 2006. C’est sous la pression des autorités roumaines qu’une enquête a été lancée après le décès de leur ressortissant en détention et que les deux auteurs présumés des sévices mortels ont été suspendus, ainsi que deux de leurs supérieurs. Mais en règle générale, le taux de poursuite des cas de torture et de mauvais traitements est très inférieur à celui des autres infractions, notamment celle de « violence contre un représentant de l’autorité » pour laquelle les juges se montrent bien plus sévères et infligent des peines plus lourdes. Les personnes placées en garde à vue ou en détention provisoire ne se voient pas forcément notifier les motifs de leur arrestation ou leur droit d’accès à un avocat et sont donc parfois privées d’une assistance juridique pendant la phase d’enquête. Par ailleurs, elles doivent assumer le coût de l’enregistrement vidéo de leur interrogatoire si elles veulent en bénéficier. Les personnes qui se plaignent de sévices commis par des agents de la force publique n’ont pas systématiquement accès à un examen médical indépendant et les détenus sont examinés par un médecin employé par la Police, l’administration pénitentiaire ou le Service de surveillance des frontières en présence respectivement de policiers, de gardiens et de gardes-frontières. Ces dispositions peuvent dissuader les victimes de rapporter les abus dont elles ont souffert. Quant aux Roms qui ont subi des violences, ils n’ont quasiment aucune chance d’obtenir justice même quand ils disposent de certificats médicaux attestant leurs blessures. Les policiers refusent généralement d’enregistrer leur témoignage ou n’examinent pas sérieusement la plainte qu’ils ont déposée. De la même façon, les juges montrent de la mauvaise volonté à instruire ces affaires. Par conséquent, de nombreux membres de la communauté rom renoncent à porter plainte par défiance envers l’institution judiciaire. En théorie, toute personne victime d’un crime a droit à une indemnisation selon la Loi d’assistance aux victimes, mais celles qui ont subi des mauvais traitements ou des tortures ne bénéficient pas d’un programme de réparation spécifique.

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