Érythrée
Un monde tortionnaire

Érythrée

La torture peut être qualifiée de pratique « normale » dans le pays, où la Constitution de 1997, en vertu de laquelle « Nul ne sera soumis à la torture, ni aux traitements cruels, inhumains et dégradants » (article 16 alinéa 2), n’est jamais entrée en vigueur. Tous les Érythréens vivent sous la menace d’être un jour arrêtés arbitrairement, détenus au secret et torturés s’ils sont accusés de « mauvaise conduite » ou de « conduite déviante » envers le régime en place – le parti unique du Front pour la justice et la démocratie (FJD) – ou sa politique.

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Contexte

Issayas Afeworki dirige l’Érythrée depuis l’indépendance du pays par sécession d’avec l’Éthiopie en 1993. Il cumule les fonctions de président de la République, chef du gouvernement, président du Conseil d’État, président de l’Assemblée nationale et commandant-en-chef de l’armée nationale. Toute forme d’opposition au régime est violemment réprimée et les violations des droits de l’homme, telles que les détentions arbitraires et les exécutions extrajudiciaires sont « routinières ». Selon les observateurs, des restrictions draconiennes ont été apportées au début des années 2000 aux libertés d’expression, d’association et de religion. Les médias indépendants privés ont été interdits en 2001 et les associations locales de défense des droits de l’homme ont été contraintes de mettre fin à leurs activités. Les religions minoritaires sont interdites depuis 2002 et tous les partis d’opposition sont bannis.

La torture peut être qualifiée de pratique « normale » en Érythrée. L’Érythrée n’a pas signé la Convention des Nations unies contre la torture, et la Constitution de 1997, en vertu de laquelle « Nul ne sera soumis à la torture, ni aux traitements cruels, inhumains et dégradants » (article 16 alinéa 2), n’est jamais entrée en vigueur. Le rapporteur spécial des Nations unies sur la torture a déposé deux requêtes de visite en 2005 et en 2007. Elles demeurent à ce jour sans réponse.

Victimes

Tous les Érythréens vivent sous la menace d’être un jour arrêtés arbitrairement, détenus au secret et torturés s’ils sont accusés de « mauvaise conduite » ou de « conduite déviante » envers le régime en place – le parti unique du Front pour la justice et la démocratie (FJD) – ou sa politique. Les défenseurs des droits de l’homme, les journalistes indépendants et les opposants politiques ont été simultanément arrêtés au cours de la vague de répression politique de septembre 2001. Les anciens ministres et vétérans de la guerre d’indépendance, signataires d’un appel à la démocratisation, ont également été interpellés. Aucun d’entre eux (une centaine de personnes) n’a été libéré, tous sont détenus au secret. La plupart ont été torturés et certains ont, semble-t-il, péri en détention.

Le journaliste suédo-érythréen, Dawit Isaak, a ainsi été arrêté à Asmara le 23 septembre 2001. Il est depuis lors détenu au secret et n’a toujours pas été jugé. Il a été privé de l’ensemble de ses libertés fondamentales pour avoir défendu, dans les pages du journal indépendant Setit (interdit en 2001) qu’il avait fondé en 1996, la liberté d’expression du peuple érythréen. En neuf ans, personne, ni un proche, ni un avocat, ni un médecin, n’a pu lui rendre visite. Comme ses acolytes, il a vraisemblablement fait l’objet de tortures lors de son arrestation ou en détention.

La torture ne touche pas uniquement les « opposants » au régime. Les prisonniers de droit commun sont également ciblés et tous les Érythréens qui pratiquent un culte différent des quatre confessions reconnues officiellement (orthodoxes, catholiques, luthériens et sunnites) risquent la torture s’ils sont arrêtés dans un lieu de culte clandestin. Il en va de même pour les homosexuels, les demandeurs d’asile renvoyés en Érythrée et tous ceux qui tentent de fuir le pays.

Les soldats (hommes et femmes) et les déserteurs de l’armée sont particulièrement susceptibles de subir des tortures au cours de leur service militaire obligatoire. Le gouvernement érythréen autorise le recours à la force meurtrière contre toute personne « qui résiste ou qui tente de s’enfuir lors de perquisitions visant à trouver des déserteurs ou des réfractaires. » Les réfractaires, lorsqu’ils sont arrêtés, sont souvent détenus arbitrairement au secret et peuvent l’être indéfiniment sans qu’aucune charge ne leur soit officiellement imputée. Ils sont fréquemment torturés à leur arrivée en détention en guise de punition et subissent des sévices répétés visant à les forcer à effectuer leur service militaire. Leurs conditions d’emprisonnement sont extrêmement difficiles : surpeuplement, températures extrêmes, réclusion en cellule, absence d’installations sanitaires, rations alimentaires très maigres, travaux forcés et violences psychologiques. Les déserteurs de l’armée sont encore davantage soumis aux actes de torture et aux mauvais traitements.

Tortionnaires et objectifs

L’opacité de la hiérarchie militaire et de l’organisation de la sûreté de l’État érythréen rend difficile l’appréciation du degré précis d’implication des différentes agences étatiques dans le phénomène tortionnaire. Les différents services de sécurité menant des interrogatoires et tout agent de sécurité de l’État (police, armée, garde présidentielle) peuvent être considérés comme de potentiels tortionnaires. La torture est utilisée pour punir toute personne qui aurait tenté de défier le pouvoir central, mais également pour maintenir la terreur sur le reste de la population afin d’empêcher tout soulèvement en faveur d’une démocratisation du pays ou toute vague d’émigration massive vers les États voisins.

Lieux et méthodes

Les détenus sont très souvent arrêtés sans aucun chef d’inculpation et détenus au secret. Ils peuvent rester pendant de très longues périodes en prison ou dans des centres de détention illégaux, coupés de toute relation avec l’extérieur, ce qui les rend particulièrement vulnérables à la torture.

Les méthodes de torture, quasiment institutionnalisées, sont désignées sous les appellations suivantes : « Jésus-Christ » (crucifixion souvent accompagnée de coups), « Helicopter » (mains et pieds attachés derrière le dos, parfois en alternance – main droite avec pied gauche par exemple –, la victime restant ventre contre terre pendant de nombreuses heures en plein soleil), « Otto » (variante de la méthode précédente, uniquement avec les mains), « Ferro » (même méthode concernant spécifiquement les déserteurs de l’armée, avec usage de menottes en acier), « Goma » (la roue). Les soldats hommes, généralement des officiers, harcèlent et abusent régulièrement des femmes présentes dans leurs unités. Si elles résistent à ces avances, elles subissent fréquemment des tortures telles que la détention dans des containers en acier pendant plusieurs jours, dans des conditions de chaleur épouvantable et de manque d’air. Les violences sexuelles envers les conscrites s’apparentent ainsi à de l’esclavage sexuel.

Conditions de détention

Plusieurs témoignages recueillis par les ONG rendent compte des conditions de vie exécrables dans les prisons. Les prisonniers vivent dans la promiscuité. La plupart des cellules de prison contiendraient entre 25 et 30 prisonniers dans un espace de 3 mètres sur 2. Les personnes qui ont réussi à s’échapper de prison et à fuir le pays témoignent de la surpopulation, de l’absence de séparation entre adultes et mineurs, de la vétusté des bâtiments. Les détenus sont exposés à des températures très élevées et manquent d’air. Il existe des centres de détention souterrains, particulièrement dans la capitale, Asmara, et l’usage de containers en acier comme cellules collectives est fréquent. La détention non justifiée et le défaut de procédures judiciaires sont le lot de la plupart des détenus. Dans les centres de détention, les conditions de vie sont particulièrement désastreuses : le travail forcé est généralisé7 et la privation de nourriture s’apparente à de la famine imposée. Les soins médicaux sont inexistants et la mort en détention est devenue chose commune. Du fait des conditions particulièrement éprouvantes dans lesquelles il était détenu depuis son arrestation en 2001, le journaliste Fessehaye Yohannes, de l’hebdomadaire interdit Setit, est mort, le 11 janvier 2007, au centre de détention d’Eiraeiro dans la province désertique de la mer Rouge septentrionale. Son corps n’a pas été rendu à sa famille. Au moins trois autres journalistes ont trouvé la mort à Eiraeiro entre 2005 et 2006 : le rédacteur en chef et cofondateur de l’hebdomadaire Admas, Said Abdulkader ; le rédacteur en chef adjoint et cofondateur de l’hebdomadaire Keste Debena, Medhanie Haile ; et le rédacteur en chef de l’hebdomadaire Tsigenay, Yusuf Mohamed Ali.

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