Burundi
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Contexte
De 1993 à 2009, la République du Burundi a connu une guerre civile qui a causé 300 000 morts et l’exil de plusieurs millions de personnes dans les pays voisins. Le coup d’État et le meurtre du premier président de la République issu de la majorité hutue Melchior Ndadaye par des militaires tutsis en octobre 1993 marquent le début des hostilités entre l’armée et divers mouvements rebelles, essentiellement hutus, hostiles au quasi-monopole exercé jusqu’alors par les Tutsis sur le pouvoir politique et les forces armées. Initié en Tanzanie en juin 1998, le processus de paix interburundais a enregistré plusieurs succès : mise en place d’institutions de transition en 2000 ; signature en 2003 d’un « protocole sur le partage du pouvoir politique, de défense et de sécurité » entre le gouvernement transitoire dirigé par un Hutu et la principale rébellion hutue, le Conseil national pour la défense de la démocratie-Forces de défense de la démocratie (CNDD-FDD), et conclusion en octobre d’un cessez-le-feu entre les deux parties. L’accord a permis le retour de la paix sur une grande partie du territoire, en dehors des zones d’opération du dernier groupe rebelle hutu Palipehutu-Forces nationales de libération (FNL). Les élections communales, législatives et sénatoriales organisées entre juin et juillet 2005 ont offert une large victoire au CNDD-FDD et porté à la tête du pays un membre du parti, Pierre Nkurunziza. Le Palipehutu-FNL a rallié le processus de paix trois ans plus tard. Après le nouveau succès du CNDD-FDD aux élections communales de mai 2010, l’opposition a accusé le pouvoir de fraude et décidé de boycotter le scrutin présidentiel du 28 juin 2010. En réaction, les autorités ont interdit toute activité politique aux opposants, ce qui a provoqué de nombreuses arrestations et des actes de violence. Selon l’ONU, « 106 attentats commis entre le 1er juin et le 8 juillet 2010 ont fait 11 morts et 63 blessés ». Seul candidat en lice, Pierre Nkurunziza a obtenu de nouveau le siège présidentiel avec 91 % des voix. Au lieu de consolider la démocratie, le cycle électoral de 2010 (élections communales du 24 mai, élections présidentielles du 28 juin, élections législatives des 23 et 28 juillet et élections collinaires du 7 septembre) a ravivé les divisions entre les acteurs politiques et a renforcé le contrôle exercé par le CNDD-FDD sur le Burundi.
Pratiques de la torture
En recul depuis plusieurs années, la torture et les mauvais traitements infligés aux détenus ont resurgi avec la détérioration de la situation politique et sécuritaire survenue après les élections. En 2008, l’Expert indépendant des Nations unies sur le Burundi a relevé plus de 4 000 cas d’atteintes aux droits de l’homme impliquant des agents de la force publique ou des fonctionnaires des provinces : « Dans la plupart des cas, il s’agissait de maltraitance, de viol ou de torture de suspects aux mains de la police, ou de violations de la procédure régulière ». Le Bureau intégré des Nations unies au Burundi (BINUB) n’a signalé aucune affaire en 2009, mais a confirmé 18 cas de torture et de mauvais traitements perpétrés par les services de sécurité en 20103. Pour les seuls mois de mai à juillet 2010, une organisation de défense des droits de l’homme locale a recensé 4 cas de torture et 26 cas de mauvais traitements imputés à la Police nationale burundaise (PNB). De son côté, l’ACAT-Burundi a collecté 35 cas de torture dans les lieux de détention qu’elle a pu visiter au cours du deuxième trimestre de 2011.
Victimes
En général, les personnes arrêtées pour des délits de droit commun sont les principales cibles de la torture et des mauvais traitements. Mais durant le cycle électoral de 2010, les victimes ont davantage été des militaires, des opposants et des fonctionnaires critiques envers les autorités. Le 29 janvier 2010, dans la capitale, Bujumbura, des responsables de l’armée et des policiers ont arrêté des militaires soupçonnés de fomenter un putsch. Selon l’auditeur militaire qui a interrogé les plus hauts gradés, ces officiers comptaient effectuer un coup de force pour pousser le président à accélérer la réforme du statut des militaires et à leur accorder des allocations logement. Après son départ, deux des détenus ont eu affaire au directeur général adjoint de la police, Gervais Ndirakobuca, surnommé Ndakugarika (le tueur) par les Burundais. Le lendemain, ils ont évoqué les actes de torture qu’on leur a fait subir pour les contraindre à avouer leurs prétendues connivences avec des leaders d’opposition. Contraints de signer des procès-verbaux, ils ont été inculpés d’incitation et de participation à une mutinerie. À la suite de l’acquittement d’Alexis Sinduhije, leader du parti d’opposition Mouvement pour la solidarité et la démocratie (MSD), inculpé d’outrage au chef de l’État, un des juges du tribunal de grande instance de Bujumbura chargés de ce dossier, Désiré Nizigiyimana, a été braqué le 6 mai 2010 par un homme en uniforme de policier et embarqué de force dans une voiture où d’autres personnes l’attendaient. Conduit dans la brousse, le magistrat a été interrogé et torturé au sujet de son rôle supposé dans la libération de l’opposant. Ses agresseurs voulaient savoir combien d’argent les magistrats avaient reçu pour acquitter Alexis Sinduhije et l’ont relâché le soir même en lui donnant trois jours pour faire des aveux par écrit. Entre fin juin et début juillet 2010, des membres du Service national de renseignement (SNR) et de la PNB ont arrêté 12 membres de partis d’opposition (issus pour la plupart de l’ancienne rébellion des FNL) soupçonnés d’avoir menacé la sûreté de l’État lors d’une série d’attaques à la grenade. Ils les ont détenus pendant plusieurs jours au siège du SNR et ont employé la torture psychologique et physique pour leur arracher des informations et des aveux. Au cours de cette période, des défenseurs des droits de l’homme dénonçant le retour de la torture ont fait l’objet d’intimidation, de harcèlement et d’atteinte à leur intégrité physique. Les autorités ont expulsé une chercheuse de Human Rights Watch (HRW) à la suite de la publication en mai 2010 d’un rapport sur les violences politiques dans le pays. Après les élections, les incarcérations d’opposants ont continué et les mesures de répression vis-à-vis des journalistes ont pris de l’ampleur.
Tortionnaires et lieux de torture
Les forces de défense et de sécurité, dont le nombre avoisine les 40 000 personnes, continuent à recourir à l’usage de la torture contre les civils et les détenus. Les principaux organes en cause sont la PNB et le SNR, composés en majorité d’anciens membres de la rébellion ayant signé des accords de paix, souvent dépourvus de formation et d’expérience. Les agents de la Police nationale auraient encore des difficultés à accepter leur rôle désormais civil et non plus militaire. La PNB, instaurée en décembre 2004 dans le cadre d’un accord de paix, est une force civile intervenant sous l’autorité du ministre de la Sécurité publique. Elle compte 18 000 officiers, brigadiers et agents, formés pour moitié d’ex-rebelles qui n’ont reçu quasiment aucune formation professionnelle et pour moitié d’anciens policiers et gendarmes. Créé en mars 2006, le SNR, appelé aussi « Documentation nationale » du nom du service précédent ou « Police présidentielle » à cause de l’autorité directe exercée sur son administrateur général par le président de la République, dispose d’un large mandat et opère souvent sans se soucier de la loi et des droits de l’homme. Chargé de la sécurité de l’État, le SNR remplit aussi une mission de police judiciaire, « ce qui comporte un risque d’instrumentalisation de cette entité comme moyen de répression politique ». En 2007, le Comité contre la torture des Nations unies (Committee Against Torture-CAT) a exprimé son inquiétude devant le nombre élevé de disparitions forcées, d’arrestations arbitraires et de détentions au secret « dont les principaux auteurs seraient des agents du SNR ». Les Forces de défense nationale (FDN) et les membres de la Ligue des jeunes du parti au pouvoir, les Imbonerakure, se livrent aussi à des violences et à des sévices. Les cellules de garde à vue de la PNB seraient les principaux lieux de torture et de mauvais traitements. Les établissements du SNR, notamment celui de Bujumbura, les 11 prisons et les 400 cachots communaux du pays sont aussi concernés.
Méthodes et objectifs
Tabassages, gifles, humiliations… Ces sévices ont lieu aussi bien lors des arrestations que des détentions, en particulier au moment des interrogatoires. Les 12 opposants arrêtés en juin et juillet 2010 ont par exemple été « frappés à plusieurs reprises par des agents du SNR durant les interrogatoires qui se sont déroulés au centre de détention du SNR à Bujumbura. Ils ont été giflés, ont reçu des coups de pied et de matraque sur tout le corps, y compris le visage, les pieds et les organes génitaux, pendant qu’on leur posait des questions. […] Une petite partie de l’oreille d’un détenu a été sectionnée et celui-ci aurait été contraint de la manger. » Menacés de mort, ils ont aussi été privés de l’accès à un avocat et à des soins médicaux pendant environ une semaine. Menacés de mort, ils ont aussi été privés de l’accès à un avocat et à des soins médicaux pendant environ une semaine. Il s’agit pour les tortionnaires d’extorquer des aveux aux criminels présumés et, depuis la crise électorale de 2010, de contraindre les personnes détenues à rejeter leur appartenance politique et à confesser leur participation à des activités de déstabilisation du pays.
Législation et pratiques judiciaires
Condamnation juridique de la torture
Signataire de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples et du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), qui prohibent la torture, le Burundi a également adhéré en 1993 à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. La Constitution et la législation interdisent aussi la torture. Le nouveau Code pénal, adopté en 2009, l’érige en infraction dans le droit interne. Comme les autres traitements cruels, inhumains ou dégradants, elle est passible d’une peine d’emprisonnement de 10 à 15 ans, voire de 20 ans en cas d’usage ou de menace d’une arme, et d’une amende de 100 000 à 1 million de francs burundais (entre 57 et 570 euros au 17 juin 2011. La majorité de ces dispositions est pourtant difficile à appliquer, faute d’adoption d’un nouveau Code de procédure pénale (un projet de révision est en cours d’examen par le gouvernement). D’après le texte en vigueur actuellement, qui date de 1999, la police judiciaire doit néanmoins ouvrir des enquêtes sur les infractions, qu’une plainte ait été déposée ou non. Les institutions chargées de la sécurité (la PNB, le SNR et les FDN) prévoient par ailleurs des procédures internes pour enquêter sur leurs membres soupçonnés de torture et les poursuivre en justice. Elles sont en outre placées sous la supervision de la Commission parlementaire pour la sécurité et la défense, composée de fonctionnaires civils élus. Depuis sa mise en place en novembre 2010, le premier Ombudsman du pays peut examiner les plaintes, enquêter sur les atteintes aux droits de l’homme commises par les agents de la fonction publique et adresser des recommandations aux autorités. Un département chargé de l’assistance aux victimes de la torture a été créé au sein du Ministère de la solidarité nationale, des droits de la personne humaine et du genre. Avec l’aide de la communauté internationale, un fonds d’indemnisation des victimes de la torture est en voie de création. La Commission nationale indépendante des droits de l’homme au Burundi (CNIDH), mise en place en juin 2011 dispose de larges attributions, puisqu’elle doit recevoir les plaintes et enquêter sur les violations des droits de l’homme, améliorer le traitement des personnes privées de liberté et prévenir les actes de torture et autres traitements inhumains ou dégradants.
Poursuite des auteurs de torture
En dépit de toutes ces dispositions, l’impunité est encore de mise au Burundi. Le gouvernement a mis en place une commission d’enquête sur les crimes commis à l’époque des élections de 2010, mais il n’a pas encore tenu la promesse faite à Amnesty International d’enquêter sur les allégations de torture infligée par le SNR au cours de l’été de cette année-là et de sanctionner les responsables présumés. Les agents soupçonnés sont toujours en poste. Le 7 juin 2010, le tribunal de grande instance de Muramvya, une province située au centre du Burundi, a condamné trois policiers pour torture contre des membres présumés des FNL et d’autres détenus en 2007. Les coupables ne semblent pas encore avoir été informés du jugement et deux d’entre eux continuent à exercer leur fonction et à être en contact avec la population civile. L’impunité dont bénéficient les forces de défense et de sécurité est en grande partie liée à l’absence de volonté politique d’y mettre un terme. Les autorités admettent rarement l’existence de la torture. Le 22 juillet 2010, le conseiller juridique du SNR, Jérôme Kantanta, a réfuté les allégations de torture portées contre les agents de son service et déclaré que les détenus avaient peut-être été blessés lorsqu’ils avaient tenté de résister pour ne pas être arrêtés pendant l’été 2010. Un autre responsable du SNR a pour sa part parlé « d’autodéfense » et annoncé qu’aucune mesure disciplinaire ou judiciaire ne serait engagée. La pratique est parfois reconnue, mais à demi-mot : le ministre de l’Intérieur, Edouard Nduwimana, a ainsi convenu que la torture pouvait « quelques fois » se produire, avant d’ajouter qu’elle « pouvait [parfois] permettre de connaître la vérité ». La faiblesse du Parlement burundais et de l’appareil judiciaire représente aussi un frein à la protection des droits de l’homme. Dominé par le CNDD-FDD, le Parlement n’exerce presque pas son rôle de contrôle des organes de l’État. La situation de dépendance du pouvoir judiciaire par rapport au pouvoir exécutif et aux autorités locales constitue également un obstacle majeur à l’ouverture d’enquêtes impartiales sur les affaires de torture. Contrairement à ce que prévoit le statut de la magistrature, les juges et les procureurs ne sont pas recrutés par concours, mais nommés par le ministre de la Justice. Subordonnés au gouvernement en matière d’embauche, ils peuvent aussi se faire muter ou suspendre pour avoir fait preuve d’indépendance ou rendu des jugements contraires aux intérêts du pouvoir. S’agissant des cas de torture, ils sont régulièrement victimes de pressions, voire de menaces de la part des autorités et peuvent alors renoncer à ordonner une enquête ou à poursuivre les suspects.
Au niveau matériel, l’appareil judiciaire possède des infrastructures et du matériel vétustes. Les tribunaux de résidence sont en plus suspendus au bon vouloir des autorités communales pour l’attribution de véhicules, l’achat et l’entretien d’équipements. Les juges en conflit avec l’administration locale peuvent se voir refuser l’octroi des matériels nécessaires à l’ouverture ou à la conduite d’une enquête. Au niveau des ressources humaines, le secteur souffre d’un manque de personnel et d’employés suffisamment qualifiés, en partie à cause des salaires peu élevés qui sont proposés. L’ensemble de ces faiblesses retarde considérablement le traitement des dossiers judiciaires, gêne le bon déroulement des enquêtes (mauvaise qualité des interrogatoires, déperdition des preuves, corruption des témoins) et favorise les erreurs dans la qualification des infractions. Faute d’huissiers en nombre suffisant, la communication des décisions et donc leur application prennent du retard. Dans un pays aux faibles ressources, certains policiers et juges cèdent à la corruption et classent sans suite des affaires sensibles, en toute impunité vu l’absence de procédures administratives anticorruption. L’absence de justice pour les atteintes aux droits de l’homme commises par le passé et pour celles perpétrées récemment contribue à un environnement dans lequel les victimes et leurs familles se détournent des postes de police et des tribunaux au profit de la justice populaire, devenue courante dans presque toutes les provinces du pays.