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Afghanistan
Un monde tortionnaire

Afghanistan

La torture et les mauvais traitements sont largement employés en Afghanistan, par les forces gouvernementales comme par les talibans, par l’armée comme par la police, envers des insurgés comme des civils, contre des adultes comme des enfants. Ce sont dans les lieux de détention que les sévices sont le plus pratiqués, notamment dans le cadre de la recherche d’aveux et de renseignements, surtout à l’égard de personnes suspectées d’appartenance à des groupes insurgés.

Contexte

Après plus de trois décennies de guerre, l’Afghanistan est un pays dévasté. Les infrastructures (routes, hôpitaux, écoles) sont pratiquement inexistantes, près de la moitié des habitants vivent dans une extrême pauvreté et l’analphabétisme touche plus des deux tiers de la population. Selon des estimations modérées, 40 000 personnes sont mortes du fait du conflit au cours des dix dernières années. Plus de 2 700 civils ont été tués en 2012 et au premier semestre 2013 le nombre de victimes civiles était en augmentation de 23 % par rapport à la même période de 2012. Près de 500 000 personnes ont été déplacées et 2,7 millions d’Afghans sont réfugiés en dehors du pays. Au-delà de la guerre et de son corollaire d’atrocités, les violations des droits de l’homme sont quotidiennes. Les arrestations arbitraires, les atteintes à la liberté d’expression, à la liberté de conscience, les discriminations envers les minorités ethniques et religieuses, la corruption ou l’enrôlement d’enfants soldats représentent les problèmes les plus brûlants. Même chose pour la ségrégation exercée à l’égard des femmes, aussi bien au niveau institutionnel qu’au sein de la société. Les mariages forcés, la criminalisation de tout comportement impliquant une marge de liberté et le manque d’accès à l’éducation maintiennent les femmes dans un état de soumission et de vulnérabilité. Le retrait définitif des troupes étrangères est prévu pour 2014, mais l’insécurité prévaut dans la majeure partie du pays. En juin 2013, les États-Unis ont annoncé être prêts à négocier directement avec les talibans, mais ils se sont rétractés face à la colère des autorités. Les pourparlers de paix ont fait peu de progrès durant l’année. Certaines zones du territoire restent sous le contrôle des insurgés et d’autres sont dirigées par des seigneurs de guerre plus ou moins inféodés au pouvoir central. La violence est endémique et la présence de criminels de guerre à des postes gouvernementaux, l’absence d’État de droit et l’impunité n’augurent pas d’une amélioration prochaine de la situation.

Pratiques de la torture

La torture et les mauvais traitements sont largement employés en Afghanistan, par les forces gouvernementales comme par les talibans, par l’armée comme par la police, envers des insurgés comme des civils, contre des adultes comme des enfants. Ce sont dans les lieux de détention que les sévices sont le plus pratiqués, notamment dans le cadre de la recherche d’aveux et de renseignements, surtout à l’égard de personnes suspectées d’appartenance à des groupes insurgés.

Victimes

Les premières victimes sont les personnes placées en garde à vue et en détention.

Les détenus soupçonnés d’appartenir à l’insurrection sont les plus susceptibles de subir des sévices. Plus de la moitié d’entre eux ont été maltraités ou torturés entre octobre 2011 et octobre 2012 par les services de sécurité. Un taliban présumé témoigne : « Quatre officiers de police m’ont frappé avec un câble dans le dos et sur les jambes. L’interrogatoire a duré deux heures. Le jour suivant, j’ai subi des électrocutions sur les bras et les jambes. Une autre fois, ils m’ont menacé avec une arme, disant qu’ils allaient me tuer si je n’avouais pas. J’ai été forcé de poser mes empreintes de pouce sur un document et je n’ai plus été interrogé ».

Les personnes suspectées de crimes de droit commun sont aussi des cibles. Un jeune Afghan, qui a quitté son pays après avoir été arrêté au motif que sa famille possédait une Bible, a témoigné des mauvais traitements infligés aux prisonniers : « J’ai été frappé, torturé. Le commandant […] me tabassait avec la crosse de sa kalachnikov sur la tête ».

Les femmes détenues dans les prisons afghanes (près de 800 en 2011) sont également victimes d’abus. En 2012, le ministère des droits des Femmes a dénoncé des cas de viols de prévenues par la police et des ONG ont rapporté plusieurs cas de brutalités et de viols exercés par des gardiens de prison.

De nombreux enfants sont aussi placés dans les établissements pénitentiaires, en majorité dans le cadre du conflit armé. Plus des trois quarts d’entre eux ont subi des mauvais traitements ou des sévices de la part des différents services de sécurité au cours de leur interrogatoire en 2012.

L’exploitation sexuelle est monnaie courante en prison. Des surveillants viennent parfois « se servir » parmi les détenus, notamment les plus jeunes. Un témoin raconte : « Un jeune de notre cellule a été emmené par les gardiens et nous ne l’avons pas revu pendant trois jours. Quand il est revenu, il était travesti et complètement effondré. Les surveillants violaient les prisonniers ».

Dans les centres de correction pour mineurs, ces derniers sont également violentés et torturés. L’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (UNODC) a recensé, en mai 2011, près de 800 enfants et adolescents (dont 100 filles), âgés pour la plupart de 12 à 18 ans – certains n’avaient pas plus de 7 ans – détenus.

Les conditions de détention sont en elles-mêmes constitutives de traitements inhumains ou dégradants. Dans certains établissements, les détenus sont plus de 100 par cellule. L’eau et la nourriture sont fournies en quantité insuffisante, les conditions sanitaires sont désastreuses et les maladies infectieuses sont répandues. Certains détenus attendent de passer en jugement depuis deux ou trois ans. En mars 2012, dans la prison de Pul-e-Charkhi, 100 détenus sont entrés en grève de la faim pour protester contre leur traitement.

Tortionnaires et lieux de torture

Les forces de sécurité se livrent massivement aux abus. La Direction nationale de la sécurité (National Directorate of Security-NDS), la principale agence de renseignement du pays, est connue pour torturer les détenus de façon routinière : en 2012, plus du tiers des personnes qu’elle a interrogées ont subi des mauvais traitements ou des tortures. L’Armée nationale afghane (ANA) a aussi le pouvoir d’arrêter et de détenir des personnes dans le cadre du conflit, pour les interroger avant de les remettre aux policiers ou aux membres du NDS. Un tiers des personnes interrogés par l’ANA auraient été torturées en 2012. Les différentes agences de police recourent aussi régulièrement aux mauvais traitements, non seulement à l’encontre de suspects de droit commun, mais aussi envers des personnes suspectées de prendre part à l’insurrection. Près de la moitié de ces dernières ont été torturées en 2012. Quant à l’ALP, la police locale formée par les forces spéciales américaines, elle aurait violenté plus des quatre cinquièmes des personnes détenues en 2012, selon les déclarations de ces dernières. Les tortures se déroulent en général dans les bâtiments de ces services, mais parfois aussi dans des centres de détention non officiels et secrets. Plusieurs rapports font état de lieux tels que des caves, des containers, des check-points de la police ou même les locaux du gouverneur provincial de Kandahar.

La Force internationale d'assistance et de sécurité (ISAF), la composante militaire de la coalition qui opère en Afghanistan sous l’égide de l’OTAN depuis 2001, ainsi que la CIA et les forces spéciales américaines – qui ne relèvent pas de l’ISAF – détiennent et transfèrent régulièrement des Afghans aux autorités. Selon les règles de l’ISAF, les détenus doivent être libérés ou livrés sous quatre-vingt-seize heures, durant lesquelles ils n’ont aucun contact avec leurs familles ou leurs avocats. S’ils sont ensuite remis aux services de sécurité locaux, ils seront le plus souvent soumis à de nombreux mois supplémentaires de détention au secret*. En 2012, un tiers de ces détenus ont été torturés après leur transfert – un chiffre en hausse par rapport à l’année précédente. Par conséquent, les forces armées étrangères participent à une violation flagrante du droit à une procédure équitable et se rendent aussi coupables de complicité d’actes de torture.

Les quelque 4 500 membres des forces spéciales basés en Afghanistan sont notamment chargés de l’entraînement de la police locale, une force paramilitaire censée devenir la principale ligne de défense contre les talibans là où les militaires et les policiers nationaux n’ont pas les moyens d’intervenir. Les unités américaines et l’ALP effectuent ainsi des opérations de contre-insurrection dans les régions reculées du pays. Les forces spéciales peuvent détenir des personnes soupçonnées d’appartenance à l’insurrection jusqu’à neuf semaines, sans charge, les forcent souvent à se mettre à nu et les gardent à l’isolement* dans des cellules froides, sans fenêtres et éclairées vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Selon la présidence afghane, elles « conduisent des raids nocturnes, fouillent les maisons, harcèlent et torturent les gens ». Un des membres des forces spéciales a été accusé par les autorités d’avoir mené les tortures de 15 civils, dont 7 sont morts et l’un était âgé de 16 ans.

En janvier 2012, la responsabilité des prisons est repassée du ministère de la Justice au ministère de l’Intérieur (le transfert inverse s’était produit en 2003 pour réduire les cas de torture), ce qui soulève de sérieuses inquiétudes sur une possible recrudescence des sévices et abus envers les détenus. Les mauvais traitements, la violence gratuite et les humiliations sont quotidiens en prison.

La loi afghane prévoit que les personnes âgées de moins de 19 ans reconnues coupables de crimes ou de délits soient placées dans des centres de correction pour mineurs. Dans ces établissements, il a été rapporté que certains gardiens fournissent de la drogue en échange de faveurs sexuelles. Un détenu a rapporté en 2012 que le directeur du centre et son fils violaient régulièrement les mineurs. Selon d’autres témoignages, des membres du personnel frappaient les détenus qui avaient dénoncé les mauvais traitements à des ONG.

Dans les zones sous leur contrôle, les talibans appliquent leur propre système judiciaire, fondé sur une interprétation stricte de la Charia avec des peines comme la lapidation, la flagellation et la mutilation. En août 2010, un couple de jeunes gens en fuite, coupable de « relation illicite », a été tué à coups de pierre dans un village administré par les talibans, dans la province de Kunduz.

En dehors de ces secteurs, dans les zones rurales et éloignées, les shuras, conseils communautaires regroupant les anciens des villages, représentent les principaux moyens de règlement des litiges pénaux et civils et infligent aussi des sanctions prévues par la Charia. En septembre 2012, dans la province de Ghazni, une fille de 16 ans a été condamnée à recevoir 100 coups de fouet en public pour avoir entretenu une « relation illicite » avec un garçon.

Méthodes et objectifs

Les types de tortures pratiqués durant les interrogatoires sont très variés. De multiples techniques ont ainsi été documentées, notamment les passages à tabac, les chocs électriques, les menaces de viol, les positions de stress ou les privations de sommeil. Beaucoup de détenus témoignent du fait que les méthodes sont souvent combinées et que les sévices vont crescendo s’ils refusent d’avouer. Les coups répétés sur les pieds, les mains ou le dos à l’aide de tuyaux en plastique, de bâtons ou de câbles électriques sont particulièrement utilisés, souvent alors que la victime est suspendue, par les bras, les poignets ou les jambes. Les séances de torture peuvent se dérouler de jour comme de nuit, parfois sur de très longues périodes : de vingt jours à un mois et demi selon les témoignages…

Les tortures ont pour but d’arracher des aveux. Il s’agit de faire confesser la participation à l’insurrection, à un attentat, d’obtenir des noms ou des adresses, de faire reconnaître la possession d’armes… Les mauvais traitements peuvent aussi être exercés comme une forme de « punition supplémentaire ».

Législations et pratiques judiciaires

Condamnation juridique de la torture

L’Afghanistan est partie à la Convention des Nations unies contre la torture, mais n’a pas signé son Protocole additionnel (OPCAT).

La Constitution énonce que « nul ne peut ordonner ou être autorisé à pratiquer la torture, même pour découvrir la vérité, sur un individu qui fait l’objet d’une enquête, d’une arrestation, d’une détention ou qui a été condamné ». L’article 275 du Code pénal prévoit qu’un agent public qui torture un accusé pour soutirer des aveux encourt une longue peine d'emprisonnement. Le Code de procédure criminelle provisoire contient des garanties procédurales de nature à prévenir la torture (limitation de la durée de garde à vue à soixante-douze heures, interdiction d’utiliser des preuves obtenues sous la torture) – même si elles ne sont souvent pas respectées. Si la torture représente donc un crime selon le droit afghan, il reste qu’elle n’est pas définie et que sa définition internationale n’a pas été intégrée dans la loi.

Dès lors, de nombreux éléments se combinent qui vident de sa substance la prohibition légale de la torture. Tout d’abord, il est difficile, en l’absence d’une définition légale, de prouver la torture. De plus, les juges ont tendance à se baser exclusivement sur les aveux pour rendre leur verdict et remettent rarement en question les méthodes utilisées pour les recueillir. C’est à l’accusé qu’il incombe de prouver qu’il a été victime de sévices et de montrer des preuves visibles de blessures physiques. Par ailleurs, le manque de moyens et de personnel des tribunaux, le poids des influences politiques et tribales, ainsi que des menaces et de la corruption, sapent l’indépendance du pouvoir judiciaire.

La Commission indépendante des droits de l’homme en Afghanistan (AIHRC) est une agence gouvernementale indépendante qui a reçu de nombreux éloges pour la qualité et l’impartialité de son travail. En juin 2013 cependant, Navi Pillay, Haut-Commissaire aux droits de l’homme de l’ONU, a pointé l’impact négatif de la nomination par le président Hamid Karzaï de cinq nouvelles recrues, dont un ancien membre du gouvernement taliban, sur l’indépendance, la réputation et la valeur du mandat de la commission.

Poursuite des auteurs de torture

En 2010, une loi qui accorde l’immunité aux auteurs de graves atteintes aux droits de l’homme commises au cours des trente dernières années a été adoptée. Les chefs talibans qui acceptent de coopérer avec le gouvernement sont eux aussi exemptés de toute poursuite. Ce texte institutionnalise donc l’impunité et empêche les victimes d’obtenir réparation.

De toute façon, les tortionnaires sont très rarement traduits en justice. Aucune poursuite pour torture n’a été engagée contre des agents des forces de sécurité durant l’année 2012.

L’armée a reconnu la condamnation d’un seul officier, en 2011, pour avoir battu un détenu. Certains membres du NDS ont été demis de leurs fonctions, mais ils ont le plus souvent été simplement transférés ailleurs, à un poste similaire. 96 enquêtes ont été menées à la suite d’allégations d’abus de la part de policiers, qui ont abouti à 77 exclusions ou poursuites. 4 membres de la police ont été reconnus coupables d’abus de pouvoir et du viol d’une jeune fille de 18 ans dans la province de Kunduz en novembre 2012. Cependant, selon le bureau du procureur général, aucune plainte pour torture n’a été déposée contre des policiers en 2012. En juillet 2012, un agent d’un centre de correction pour mineurs a été condamné à seize ans de prison pour avoir violé un détenu de 15 ans.

Ces cas restent des exceptions et l’impunité des membres des forces de l’ordre demeure la règle en Afghanistan. Le manque de prise de conscience de la part des autorités aggrave encore le problème : le gouvernement rejette les allégations de tortures systématiques dans les centres de détention et explique que les insurgés sont entraînés à prétendre qu’ils ont subi des sévices lors des visites d’organismes internationaux.

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