Le Comité des Nations unies contre la torture condamne la Tunisie
Dans les mois suivant la révolution de janvier 2011, les autorités tunisiennes n’ont eu de cesse de le répéter : le temps de la justice était venu ! Les victimes torturées sous les règnes de Bourguiba et de Ben Ali étaient invitées à porter plainte avec la garantie de ne pas voir les faits prescrits. Pourtant, six ans plus tard, l’impunité quasi-généralisée témoigne de la volonté des autorités d’enterrer les faits à coup de procès bâclés et de manœuvres juridiques fallacieuses.
Le cas de Rached Jaïdane – à qui le Comité vient de donner raison contre la justice tunisienne – en est un parfait exemple. Ce professeur d’université, soupçonné d’avoir fomenté un attentat, a été arrêté en 1993, torturé et condamné à 26 ans de prison à l’issue d’un procès de 45 minutes. Libéré en 2006, il lui a fallu attendre la révolution pour déposer plainte. Appuyé par le programme d’assistance directe SANAD de l’OMCT et par l’ACAT, Rached s’est confronté à une enquête bâclée et un procès marqué par d’innombrables reports. En avril 2015, la justice a rendu son verdict : les juges ont déclaré les faits prescrits et ont ainsi relaxé les accusés. Seul Ben Ali a été condamné à cinq ans d’emprisonnement, à la faveur d’une incohérence juridique.
Par ce jugement, la justice tunisienne a non seulement anéanti les espoirs de justice de Rached Jaïdane, mais plus généralement refermé la chape de plomb sur les crimes du passé subis par des milliers de concitoyens tunisiens.
La décision du Comité contre la torture, rendue à la suite d’une plainte déposée par l’ACAT et TRIAL international, s’inscrit à l’encontre de ce verdict. Elle est lourde de sens et d’exigences vis-à-vis de la justice tunisienne. Tout en rappelant à la Tunisie l’ « obligation (…) d’imposer aux auteurs d’actes de torture des peine appropriées eu égard à la gravité des actes », le Comité :
- indique que la justice tunisienne ne peut nullement retenir la prescription comme elle l'a fait dans l'affaire Jaïdane ;
- exige, dans les cas où les juges ne pourraient qualifier juridiquement de torture des actes commis avant 1999 (date d’incrimination de la torture dans le Code pénal), qu’ils retiennent une qualification reflétant la gravité des faits et permettant des poursuites.
Un appel clair à rompre avec les pratiques d’impunité qui, au-delà de la douleur qu’elles infligent aux victimes, constituent un blanc-seing donné aux forces de sécurité tunisiennes qui continuent aujourd’hui fréquemment de recourir à la torture et aux mauvais traitements.
L’ACAT, l’OMCT et TRIAL international appellent l’Etat tunisien à honorer ses obligations internationales en prenant toutes les mesures nécessaires pour assurer la mise en œuvre effective de cette décision, qui, selon Rached Jaïdane, « rétablit enfin la vérité. Elle est une première victoire contre l’impunité et un premier pas sur le long chemin de ma réhabilitation. J’espère que le Comité m’aidera ainsi à recouvrer mes droits à faire condamner mes tortionnaires. »
RAPPEL : L’affaire Rached Jaïdane
En 1993, Rached Jaïdane, enseignant à l’Université en France, se rend en Tunisie pour un mariage. Le 29 juillet, une quinzaine d’agents de la Sûreté de l’Etat en civil l’interpellent à son domicile, sans mandat. Suspecté de fomenter un attentat contre le RCD, le parti au pouvoir, il est conduit au ministère de l’Intérieur et interrogé. Dix-sept heures d’affilée, les équipes de tortionnaires se relaient pour lui faire subir d’atroces tortures : coups de poings, de pieds et de matraques sur tout le corps, la tête et les organes génitaux, sévices sexuels, électrocutions, supplice de la baignoire, écrasement des doigts. Coups et sévices de moindre intensité se poursuivent ensuite pendant plusieurs semaines afin de le contraindre à signer des aveux qu’il n’a pas même le droit de lire.
Le 20 juin 1996, après trois ans d’emprisonnement arbitraire, Rached Jaïdane et onze autres accusés sont condamnés à 26 ans de prison lors d’un procès de 45 minutes.
Rached Jaïdane est libéré en février 2006, après 13 années de mauvais traitements. Il continue de souffrir de graves séquelles physiques et psychologiques de la torture.
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