Le cargo Bahri Yanbu gagne l’Espagne sans sa cargaison d’armes françaises
Le cargo Bahri Yanbu a finalement pris la route du port de Santander en Espagne sans son chargement d’armes françaises. Il s’agissait notamment de canons Caesar, dont une note de la Direction du renseignement militaire a déjà attesté de leur utilisation dans le conflit yéménite. Face à l’illégalité de ces livraisons au regard du TCA (Traité sur le commerce des armes, signé et ratifié par la France) en raison de la possibilité que ces armes soient utilisées au Yémen contre des populations civiles, l’ACAT a mandaté le cabinet Ancile Avocats pour déposer un référé afin de bloquer l’acheminement des armes.
« Nous nous réjouissons que le cargo ait renoncé à charger ces armes françaises au Havre, alors qu’il est clair que cette livraison contrevenait au Traité sur le commerce des armes » indique Nathalie Seff, déléguée générale de l’Acat-France. « L’annonce de ce chargement a soulevé un mouvement de protestation de citoyens, d’ONG et de certains parlementaires. Par cette action et cette mobilisation, nous démontrons que la société civile française peut constituer un réel contre-pouvoir face à des intérêts internationaux qui mettent à mal les droits fondamentaux de millions de personnes » ajoute Bernadette Forhan, présidente de l’ACAT-France.
Une décision de justice cynique
C’est grâce à la mobilisation citoyenne et médiatique, non à une décision de justice, que le trajet du cargo a été modifié. Dans son jugement, le tribunal administratif de Paris a rejeté le référé de l’ACAT considérant que « l’autorisation de sortie douanière de ces armements ne crée pas un danger caractérisé et imminent pour la vie des personnes. » L’ACAT s’indigne de cette décision cynique et lourde de conséquences dès l’instant où ces armes se trouveront entre les mains d’un pays ayant perpétré des crimes de guerre envers des populations civiles yéménites. Il faut rappeler le caractère illégal du transfert d’armes dès lors que la France « a connaissance, au moment où l'autorisation est demandée, que ces armes ou ces biens pourraient servir à commettre un génocide, des crimes contre l'humanité, des violations graves des Conventions de Genève de 1949, des attaques dirigées contre des civils ou d'autres crimes de guerre » (Traité sur le commerce des armes, article 6 alinéa 3). Le 2ème critère de la position commune 2008/944/PESC indique également que « les états membres refusent l’autorisation d’exportation s’il existe un risque manifeste que la technologie ou les équipements militaires dont l’exportation est envisagée servent à commettre des violations graves du droit humanitaire international ».
C’est cette même notion de risque qui avait mené le Parlement européen, dès 2016, à rappeler l’interdiction pour tous les pays membres de poursuivre le transfert d’armes vers l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis. Le 14 novembre dernier, une résolution de ce même parlement critiquait le fait que certains Etats membres « semblent ne pas prendre en considération le comportement du pays destinataire et l’utilisateur final des armes et des munitions » et s’inquiétait que « la fourniture de systèmes d’armes en période de guerre et dans des situations caractérisées par des tensions politiques importantes puisse avoir des répercussions disproportionnées sur les civils. »
Selon le cabinet Ancile Avocats, cette décision est d’autant plus choquante que « la justice est le dernier rempart pour empêcher un chargement constituant le dernier acte sur lequel les autorités ont prise avant une livraison sur un terrain de massacre. » Face à cette décision, l’ACAT s’apprêtait à se pourvoir en cassation devant le Conseil d’Etat, quand l’annonce du non-chargement de la cargaison d’armes et de la nouvelle destination du cargo est tombée. L’ACAT reste et restera vigilante sur la suite du parcours du cargo ainsi que sur les prochaines livraisons de canons Caesar prévues dans les mois à venir.