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Violences policières : pourquoi il faut s’y intéresser

Des violences lors d’une interpellation, pendant une manifestation ? On pourrait penser que de tels faits ne sont pas si graves. Ni si fréquents. Que les policiers français ne sont ni au service d’un tyran ni aussi brutaux que leurs collègues américains. La France n’est pas un État tortionnaire, pourquoi l’ACAT s’intéresse-t-elle aux violences policières ?
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L’homme a trop bu. Il invective les clients du bar. Les menace. Fracasse des verres. Les flics interviennent. Cinq ou six costauds. L’homme ne se laisse pas embarquer. Il les repousse, se débat. Injures. Un policier le ceinture par derrière, lui immobilise les bras le long du corps. Un autre lui fauche les jambes. Il est au sol. Menotté les mains dans le dos, l’homme ne bouge plus. Pourtant deux flics l’immobilisent encore. L’un est assis sur son dos. L’autre sur ses jambes. Deux fois 90 kilos. Pendant plusieurs minutes. Il gémit. Je vois qu’il peine à respirer. Je dis : « Arrêtez. Il n’est plus dangereux. - On connaît notre boulot. Circulez ! », me crie le policier. Ils relèvent le type, resserrent ses menottes. Il gémit plus fort. Les flics l’entrainent vers leur voiture. C’était à Paris il y a quelques années. À deux pas des bureaux de l’ACAT. Une intervention policière ordinaire dérape. Un homme déjà maitrisé est brutalisé, est puni. J’aurais dû intervenir plus tôt.

On pourrait penser que de tels faits ne sont pas si graves. Ni si fréquents. Qu’on est loin de la torture. La France n’est pas un État tortionnaire. Pourquoi l’ACAT s’intéresse-t-elle alors aux violences policières ? Notre association va publier un rapport sur les violences commises par nos forces de police et de gendarmerie. Il rappellera que, dans le cadre de leurs missions, ces violences ne sont pas toujours illégitimes. Le recours à la force doit être nécessaire (impossible d’agir autrement) et proportionné (pas d’armes à feu pour répondre à des jets de pierres). Il doit aussi s’apprécier en fonction du but recherché : protéger des personnes peut justifier une violence plus importante que protéger des biens ou reconduire un étranger en situation irrégulière. La transparence n’est pas la vertu première des forces de l’ordre. En ce qui concerne l’usage des armes, légitime ou non, et le nombre de personnes blessées ou tuées, l’opacité règne. Quant aux éventuelles sanctions prononcées, leur nombre comme leur nature restent largement inconnues. Ce n’est jamais très bon signe. Pourtant ces violences existent. Les victimes ? Majoritairement des hommes jeunes, étrangers ou d’origine étrangère, ou encore des personnes particulièrement vulnérables ou souffrant de déficience mentale. Les moments les plus critiques sont les interpellations, les transports de police, les opérations de maintien de l’ordre et de reconduite à la frontière.

Des armes qui « décomplexent »

Il existe clairement une violence de défoulement à l’issue des manifestations ou à l’encontre des migrants (cf événements de Calais où La Chapelle à Paris). Elle s’exerce en particulier depuis la généralisation du recours aux armes non létales (flashballs, tasers). Depuis 2004, au moins 32 personnes ont été grièvement blessées, pour la plupart au visage (alors que les tirs à la tête sont interdits) par les balles en caoutchouc des flashballs. Dix-neuf ont été éborgnées ou ont perdu l’usage d’un oeil. Un homme touché à courte distance est décédé en 2010. Les armes non létales se prêtent aux abus. Elles ne tuent pas et ne laissent pas de trace. Elles décomplexent. Un bon coup de taser facilite le menotage d’une personne agitée. Et la punit en même temps d’avoir osé se rebeller. Même si les faits restent rares par rapport au nombre total d’interventions, ils ne sont ni anodins ni exceptionnels. Et cette rareté n’ôte rien à la dimension scandaleuse et illégale de chaque cas de recours à une violence excessive. L’ACAT a toujours estimé qu’elle devait être attentive aux violations des droits de l’homme commises par les forces de l’ordre de notre pays. Le terme consacré était « la vigilance ». À l’époque, les sections locales d’Amnesty ne travaillaient pas sur leur propre pays. Mais, au-delà de la volonté de se démarquer de cette ONG, il y avait le sentiment que nous ne pouvons être pleinement légitimes à demander aux gouvernements étrangers de respecter les droits de l’homme sans avoir la même exigence vis à vis de nos propres institutions. Il faut balayer devant notre porte. Mettre en pratique la phrase de l’Évangile : « Pourquoi vois-tu la paille qui est dans l’oeil de ton frère, et n’aperçois-tu pas la poutre qui est dans ton oeil ? »1 Il apparaissait en outre légitime d’avoir un niveau d’exigence plus élevé pour la France qui se revendique comme le « pays des droits de l’homme ». Cette volonté a été réaffirmée tout au long de l’histoire de notre association. Ainsi en 1996 : « La mission de l’ACAT doit reposer, de façon équilibrée, sur trois piliers : l’action internationale, la vigilance en France et l’éducation aux droits de l’homme. »2

Tolérance zéro

L’ACAT a été créée en 1974. Douze ans après la fin de la guerre d’Algérie, les horreurs commises par l’armée française étaient dans toutes les têtes. « Partant du principe que la France, pas plus que les autres démocraties, n’est à l’abri d’une réapparition de la torture, l’ACAT incite à la vigilance face aux abus de pouvoir risquant de conduire à la torture »3. La torture survit souvent à la chute des dictatures. Cette « inertie de la torture » s’exerce aussi dans l’autre sens : l’usage de la torture, sa banalisation, se développe d’autant mieux qu’il existe un climat propice à la multiplication de ces violations. Plus les violences policières sont nombreuses, plus elles sont couvertes par l’omerta et l’esprit de corps, plus les juges acceptent de fermer les yeux, plus les risques de dérapages existent le jour où des circonstances spéciales font leur apparition. Le général Aussaresses a dit qu’en Algérie, il n’avait fait qu’amplifier des méthodes utilisées par la police. Anciens gardiens de prison, des tortionnaires d’Abou Ghraïb ont reproduit en pire des techniques qu’ils utilisaient déjà contre les détenus aux USA. Prévenir la torture dans une démocratie suppose une tolérance zéro face aux violences policières illégitimes. Pour éviter que les forces de l’ordre se laissent aller à suivre leur inclinaison naturelle à la violence le jour où elles y seront encouragées par une opinion publique prête à renoncer à nombre de principes au nom de la sécurité. Ainsi, l’ACAT se doit d’être attentive, vigilante. Elle le fera en rappelant qu’il n’est nullement question de priver la police de ses moyens d’agir. Bien au contraire. Nous savons en effet que l’efficacité de la police augmente lorsqu’un lien de confiance s’établit entre le public et les forces de l’ordre. Cela suppose que la police soit respectée. À elle d’être respectable et donc irréprochable en matière de respect de la déontologie et des droits de l’homme.

Jean-Etienne de linares, délégué général de l’ACAT

1. Mathieu 7-3 ou Luc 6-41
2. 1996, texte d’orientation
3. 1978, assemblée générale d’Aix-en-Provence

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