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Sri Lanka : la présidence de l'impunité

En échouant à rendre justice aux victimes, le processus de lutte contre l’impunité n’a pas réussi à initier une réconciliation nationale. La preuve en est l’élection d’un ancien bourreau, Gotabaya Rajapaksa, en novembre 2019.
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En échouant à rendre justice aux victimes, le processus de lutte contre l’impunité n’a pas réussi à initier une réconciliation nationale. La preuve en est l’élection d’un ancien bourreau, Gotabaya Rajapaksa, en novembre 2019.

Comme un dernier clou dans le cercueil de la justice transitionnelle. Le 16 novembre 2019, Gotabaya Rajapaksa a été élu à la tête du Sri Lanka. L’élection de cet ancien bourreau en dit long sur l’état actuel du processus de justice transitionnelle, réellement initié qu’en 2015 par l’ancien président, Maithripala Sirisena. Ces dernières années, le manque de volonté politique et de moyens accordés à la lutte contre l’impunité ont contribué à entretenir les tensions ethniques et religieuses. À l’arrivée, le bilan est sans appel : des perspectives de justice qui s’éloignent de plus en plus pour les victimes ; une société qui ferme toujours un peu plus la porte à la réconciliation.

Signaux forts

Pourtant, lorsqu’en janvier 2015 Maithripala Sirisena accède au pouvoir et met fin au règne de la famille Rajapaksa – le frère de Gotabaya Rajapaksa, Mahinda Rajapaksa, a dirigé le pays de 2005 à 2015 (voir les dates clefs ci-dessous) – l’espoir est rapidement confirmé par de nombreuses réformes. Le pays accepte la visite du Rapporteur spécial des Nations unies sur la promotion de la vérité, de la justice, de la réparation et des garanties de non-répétition. Maithripala Sirisena s’engage à abroger la loi draconienne sur la prévention du terrorisme (Prevention of Terrorism Act, PTA), qui permettait la détention prolongée et la torture de personnes considérées comme suspectes.

Les droits civils et politiques connaissent également des améliorations significatives, notamment en ce qui concerne la liberté de la presse et le droit à l’information reconnu comme fondamental. Le Sri Lanka ratifie la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées en mai 2016, ce qui est un signal fort en faveur de la lutte contre l’impunité dans un pays où 65 000 personnes ont disparu durant la guerre. En 2016, est mis en place un Bureau national des personnes disparues (Office of Missing Persons, OMP) afin de retrouver la trace de ces personnes, d’indemniser les proches et de fournir des certificats d'absence aux familles.

Persister dans l’impunité

Cependant, le processus est lent. En mars 2018, l’OMP est enfin pourvu de sept membres chargés de mener les enquêtes. Lucide sur la marge d’action faible dont il dispose ainsi que sur ses moyens limités, le Bureau affirme, dans un rapport provisoire remis au président en octobre 2018, qu’il est impératif de garantir la justice. Mais la volonté politique manque lorsqu’il s’agit d’établir les responsabilités et d'engager des poursuites.

Les enquêtes sur les crimes commis par les forces de sécurité sri-lankaises durant la guerre civile restent au point mort. Si Maithripala Sirisena fait la promesse, devant le Conseil des droits de l’homme des Nations unies, d’établir une commission pour la paix et la réconciliation et de créer un tribunal mixte intégrant des magistrats étrangers, il finit par déclarer que le mécanisme judiciaire mis en place ne serait pas compétent pour engager des poursuites, mais chercherait seulement à établir la vérité sur les disparitions. Maithripala Sirisena persiste dans la protection des membres de l’armée accusés d’être responsables d’exactions. Soupçonné d’avoir commis des crimes de guerre, Jagath Dias a été nommé au poste de chef d’État-major de l’armée sri-lankaise. Plus récemment, le lieutenant général Shavendra Silva est passé au commandement de l’armée en août 2019, en dépit des « graves allégations de violations flagrantes du droit international humanitaire et relatif aux droits humains contre lui et ses troupes pendant la guerre », signalées par la Haute-Commissaire aux droits de l’homme des Nations unies, Michelle Bachelet.

« Terminator »

Autre pilier de la justice transitionnelle, la commémoration des victimes n’est toujours pas garantie et la surveillance policière demeure. Les personnes présentes lors de cérémonies de commémoration sont photographiées, parfois interrogées. Les organisateurs, souvent des figures de la communauté tamoule ou des membres du clergé chrétien, peuvent également être inquiétés par la police. Dans un tel contexte, une partie des victimes perd espoir dans le processus de justice, alors même que commémorer la mémoire des victimes est capital pour le processus de réconciliation nationale.

Durant la campagne présidentielle de 2019, le pays a connu une montée des discours nationalistes cinghalais et bouddhiste, hostiles aux minorités tamoules et/ou musulmanes. Une tendance sur laquelle Gotabaya Rajapaksa a surfé, en menant campagne sur la promesse de combattre la corruption et l’extrémisme islamiste face à un peuple traumatisé par les attentats djihadistes du 21 avril 2019, qui ont fait 269 morts. Son élection signe aussi le retour des bourreaux d’hier au pouvoir. Surnommé « Terminator », ce lieutenant-colonel à la retraite a dirigé une unité, baptisée le « Bataillon Tripoli », dont la spécialité était d’enlever les journalistes et les dissidents à bord de camionnettes blanches pour les tuer. C’est ainsi qu’il avait gagné un deuxième surnom : chef du « commando des vans blancs ». Élu à 52 % des voix, il est le symptôme d’une société sri-lankaise qui peine à se pacifier et qui laisse se répandre en son sein le poison de la division, néfaste pour la situation des droits humains et l’harmonie entre Cinghalais et Tamouls.
 

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