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Quelques idées reçues autour du projet de réforme pénale

À l’occasion du projet de réforme pénale, plusieurs questions se posent légitimement. Certaines affirmations communément admises méritent de s’y arrêter quelques instants.
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« Si le problème est la surpopulation, pourquoi ne pas simplement construire plus de prisons ? »

Évolution du nombre de détenus et de places de prison en France :

  • 1er juillet 2001 : 49 718 détenus pour 49 043 places
  • 1er juillet 2006 : 59 488 détenus pour 50 332 places
  • 1er juillet 2011 : 64 726 détenus pour 56 081 places
  • 1er juillet 2013 : 68 569 détenus pour 57 320 places

Construire toujours plus de places de prison est l’orientation qui a été prise ces dernières décennies pour réduire la surpopulation carcérale. Les programmes immobiliers pénitentiaires se succèdent ainsi depuis près de 30 ans. Alors qu’un plan de construction est à peine achevé, un nouveau est déjà lancé. Avec le résultat suivant : le nombre de places de détention est passé de près de 49 000 en juillet 2001 à 57 000 en juillet 2013.

Accroître le parc pénitentiaire n’est pourtant pas une solution efficace. Plusieurs travaux de recherche mettent en évidence le fait que le nombre de détenus augmente parallèlement au nombre de places de prison. Le Comité européen pour la prévention de la torture constate ainsi que « Plusieurs États européens se sont lancés dans de vastes programmes de construction d’établissements pénitentiaires pour découvrir que leur population carcérale augmentait de concert. » Les recommandations visant à réduire le nombre d’incarcérations plutôt que d’augmenter le nombre de places de prison se multiplient. Le jury de la conférence de consensus, le rapport d’information du député Dominique Raimbourg et la CNCDH se sont ainsi récemment prononcés en ce sens. Par ailleurs, les établissements pénitentiaires construits dernièrement font l’objet de maintes critiques. Caractérisés par leur aspect ultra-sécuritaire, ils s’appuient sur des moyens technologiques modernes et réduisent au minimum les contacts humains pourtant essentiels à la vie en détention. De taille surdimensionnée (souvent plus de 600 places), ils sont éloignés des grandes villes et difficilement accessibles, ce qui pose d’importantes difficultés quant au maintien du lien familial et avec l’extérieur.

Ces établissements pénitentiaires accroissent donc les tensions et violences et ne sont pas de nature à développer un climat favorable à la réinsertion et à la lutte contre la récidive. Enfin, de tels projets de construction sont très onéreux et représentent une part conséquente du budget alloué à l’administration pénitentiaire, au détriment d’un recours plus important à des mesures non privatives de liberté. Le coût journalier de la prison est, en outre, beaucoup plus élevé que celui des mesures non privatives de liberté. En 2010, la Cour des comptes évaluait le coût moyen de la détention à 71,10 euros par jour, tandis que le coût quotidien de la semi-liberté a été évalué à 48 euros et le placement sous surveillance électronique à 5,40 euros.

« Dissuasive, la prison est la seule peine efficace pour lutter contre la récidive et protéger la société »

L’idée est très répandue que plus une peine est sévère, plus elle est dissuasive. Pourtant, cette affirmation repose sur un postulat erroné. Les travaux de recherche effectués en France et à l’étranger n’apportent ni la preuve de l’effet dissuasif de la prison ni de son efficacité sur la récidive. « Des chercheurs canadiens ont recoupé les résultats de cinquante études, portant sur plus de 300 000 délinquants. Aucune des analyses n’a permis de conclure que l’emprisonnement réduit la récidive ni mis au jour aucun effet dissuasif de l’incarcération. Au contraire, l’augmentation de la durée de la peine est associée à une légère augmentation de la récidive ».

Ce n’est donc pas en prononçant plus de peines de prison que l’on protège plus efficacement la société. En l’état actuel, la prison a surtout un effet désocialisant qui contribue à renforcer les facteurs ayant conduit à l’infraction. À l’issue de ses travaux, le jury de la conférence de consensus estime ainsi que la prison « ne garantit, en l’état, que peu ou pas le non renouvellement d’actes délinquants et n’offre à la société qu’une sécurité provisoire ». Il recommandait que la peine de prison ne soit prononcée que « lorsqu’il est établi qu’elle est indispensable à la sécurité de la société ».

« Pourquoi faire des cadeaux aux détenus en les laissant en liberté ou en réduisant leur peine de prison ? »

La contrainte pénale, les libérations conditionnelles ou libérations sous contrainte ne sont pas des faveurs accordées aux personnes qui ont commis des actes répréhensibles. Il s’agit de réelles sanctions pénales, accompagnées de mesures de contrôle et de contrainte. L’une comme l’autre visent à adapter les modalités et le contenu de la peine à la situation afin de sanctionner l’infraction commise de manière plus pertinente et de réduire le risque de réitération. Plutôt qu’un châtiment à vocation uniquement punitive, la sanction pénale ne devrait-elle pas permettre aux personnes condamnées de travailler sur les raisons et les conséquences du passage à l’acte afin d’éviter une nouvelle infraction ? Selon la personnalité de l’auteur de l’infraction et les circonstances, des sanctions non privatives de liberté peuvent favoriser la réinsertion et être plus efficaces pour réduire le risque de récidive là où, au contraire, la prison est souvent qualifiée « d’école de la délinquance ».

En France, la principale étude concernant la récidive estime que 63 % des personnes qui sortent de prison sans aménagement de peine sont à nouveau condamnées dans les cinq ans qui suivent la libération, alors que ce taux tombe à 39 % pour les personnes qui ont fait l’objet d’une libération conditionnelle. « En réalité, la prison est à la fois la peine la plus punitive, et la moins exigeante. Il n’est rien demandé d’autre au prisonnier que de se tenir tranquille, de purger sa peine en silence et sans incident. La probation exige au contraire du condamné qu’il engage des démarches d’insertion, de soins, de réflexion sur son/ses passage(s) à l’acte et sur les moyens d’éviter une récidive ».

« Les victimes sont laissées pour compte. Elles vont être moins écoutées, protégées et défendues »

L’intérêt d’une personne victime d’un acte délinquant est double : il s’agit, d’une part, que l’auteur de l’infraction réponde de son acte et, d’autre part, de s’assurer qu’il ne recommencera pas. Une infraction doit être sanctionnée ; c’est là l’objet de la justice pénale. Cependant, n’est-il pas dans l’intérêt de tous que cette sanction soit du mieux possible adaptée à la personne condamnée afin de l’amener à corriger son comportement et d’éviter un nouvel acte de délinquance ? La prison a démontré qu’elle n’était pas une peine efficace dans bon nombre de cas. Souvent, une peine alternative remplit bien mieux les objectifs visés. Or, une peine qui favorise la sortie de la délinquance et la diminution de la récidive est une peine qui contribue directement à réduire le nombre de victimes et à protéger la société.

« Des gens dangereux vont être remis en liberté »

L’idée que des personnes qui sont aujourd’hui en prison se retrouvent dehors effraie. Pourquoi ? La médiatisation de plus en plus importante de certaines affaires judiciaires donnent à penser que toutes les personnes qui sont en prison sont de grands criminels. « Il n’y a pas plus d’affaires criminelles aujourd’hui que quelques années auparavant, mais le développement des nouvelles technologies et la surmédiatisation des affaires judiciaires leur donnent un écho considérable en les portant à la connaissance d’un très large public ». En réalité, les « grands criminels » dont nous entendons parler dans les médias ne constituent qu’une minorité des personnes emprisonnées. Sur la totalité des peines d’emprisonnement et de réclusion prononcées en 2010, moins d’une sur cent concerne des crimes. L’immense majorité des incarcérations concerne en effet des délits. Il s’agit essentiellement de vols et recels (trois emprisonnements sur dix), infractions à la circulation routière (un sur cinq), coups et violences volontaires (un sur sept) et d’infraction sur les stupéfiants (un sur huit). En tout état de cause, les « grands criminels » ne sont quasiment pas concernés par le projet de réforme pénale. Ainsi, la contrainte pénale ne s’appliquera pas aux crimes. Elle pourra être mise en oeuvre, par exemple, en cas de vol simple, conduite en état d’ivresse, outrage à agent, coups et blessures volontaires, harcèlement sexuel, conduite sans permis, défaut d’assurance, usage illicite de stupéfiants, etc. En revanche, elle ne concernera pas les personnes ayant commis un viol, un vol avec arme ou avec violence, une agression sexuelle contre un mineur, etc. Enfin, même dans les cas où elle serait applicable, les juges pourront toujours choisir de prononcer une peine de prison si, après évaluation, la contrainte pénale ne s’avérait pas la sanction la plus adaptée à la situation et à la personnalité de l’auteur de l’infraction.

Aline Daillère, responsable prisons et lieux privatifs de liberté à l'ACAT (@Aline_Daillere)

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