République Dém. du Congo
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Quel changement en RDC ?

Parce qu’elle est le fruit de tractations avec le clan de l’ancien président, Joseph Kabila, l’élection de Félix Tshisekedi à la présidence de la République démocratique du Congo (RDC) aurait pu être un mauvais signal pour la lutte contre l’impunité. Mais le nouveau président a tout de même pris des premières mesures encourageantes, qui devraient permettre davantage de justice.
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C’est sans réelle légitimité que le nouveau président de la République, Félix Tshisekedi, a pris ses fonctions le 25 janvier 2019 au Palais de la Nation à Kinshasa (République démocratique du Congo, RDC). Après plusieurs jours d’incertitudes, marqués par des violences et la répression des manifestations organisées par les partisans du candidat Martin Fayulu, le 20 janvier 2019 (voir frise chronologique ci-contre), la Cour constitutionnelle a finalement proclamé la victoire définitive de Félix Tshisekedi malgré l’absence de résultats définitifs présentés par la Commission électorale nationale indépendante (CENI).

Il est intéressant d’observer l’écart entre les résultats de l’élection présidentielle et ceux du scrutin législatif, qui ont pourtant eu lieu le même jour : le parti de Félix Tshisekedi, l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), n’a remporté que 32 sièges, tandis que le Front commun pour le Congo (FCC) – le parti de Joseph Kabila dont le candidat est arrivé troisième au scrutin présidentiel – a obtenu une large majorité avec 337 sièges sur 485. Ces indicateurs laissent croire, qu’encore une fois, le piège Kabila s’est refermé sur la RDC.

Fin des mauvaises pratiques ?

Ainsi, l’ancien président s’est aménagé une sortie honorable en misant sur l’opposant le moins hostile en apparence et en imposant une cohabitation qui lui permet de conserver les reines du pouvoir. Cette configuration devrait lui permettre de contrôler plusieurs ministères régaliens, en plus du Parlement où il détient déjà une large majorité. Le président Félix Tshisekedi, dispose donc d’une marge de manœuvre très limitée pour entreprendre les nombreuses réformes de fond dont le pays a besoin.

Les premières annonces faites par Félix Tshisekedi durant ces premiers mois sont pourtant encourageantes. Il n’a pas demandé la levée des sanctions internationales contre les proches de Joseph Kabila qui avait été annoncée par le ministère des Affaires étrangères. Le 2 mars, il a dévoilé son programme des 100 premiers jours de son mandat où il a annoncé que la paix et la sécurité seraient au centre de ses priorités. Il a également annoncé que tous les détenus politiques seraient bientôt libérés – ce qui est déjà en partie réalisé – et que l’Agence nationale des renseignements (ANR) – qui dépend directement de la présidence – sera réformée afin de lui donner un visage humain. Félix Tshisekedi promet la fin des mauvaises pratiques, mais les différents services de défense et de sécurité, noyautés depuis des décennies par le clan Kabila, pourront-ils être réformés aussi facilement par le nouveau président ?

Espoirs d’une nouvelle gouvernance 

Celui-ci hérite d’un bilan catastrophique en matière de droits humains. De nombreuses exactions ont été commises en RDC à partir de 1996, notamment à l’occasion de deux conflits régionaux en terre congolaise à la fin des années 1990, causant la mort de plusieurs millions de Congolais. Les responsables de ces graves violations des droits humains (forces gouvernementales congolaises et étrangères, rébellions congolaises et étrangères) n’ont jamais été jugés malgré la documentation de ces crimes, notamment dans le rapport Mapping des Nations unies (voir « Pour aller plus loin »). Au contraire, leurs responsables ont souvent été promus à des postes clés au sein des forces de défense et de sécurité congolaises, au nom de la paix et de la stabilité. Au milieu des années 2010, au fur et à mesure que le pouvoir de Joseph Kabila a été de plus en plus critiqué par une large majorité de ses concitoyens, les forces de défense et de sécurité congolaises se sont transformées en police politique et la répression est devenu systématique à l’endroit de toute voix contestataire.

À cet héritage, s’ajoutent les attentes très fortes de la population congolaise qui aspire à une nouvelle gouvernance, basée sur le respect de leurs droits fondamentaux, la paix, la sécurité et sur un développement homogène du pays au bénéfice de tous. Plusieurs mouvements citoyens réclament justice pour les victimes des marches pacifiques organisées ces dernières années, mais également pour celles causées par les nombreux conflits qui traversent le pays. Dans la province de Mai-Ndombe, des violences politico-ethniques ont causé plusieurs centaines de morts à Yumbi, juste avant les élections ; dans le Kasaï, les crimes récents ont fragilisé durablement le vivre ensemble entre communautés. De nombreuses parties du territoire sont laissées à l’abandon par l’État. Le défi est énorme.

Déni de vérité

Malheureusement, la liberté de manœuvre de Félix Tshisekedi risque d’être limitée et son pouvoir contrôlé par la majorité parlementaire du FCC. Celle-ci a désormais cinq ans devant elle pour éviter que les acquis obtenus sous les dix-huit ans de règne de Joseph Kabila ne soient retirés aux ex-caciques du pouvoir. D’ici là, tout l’enjeu pour Joseph Kabila est de garder sous sa coupe la CENI et la Cour constitutionnelle afin de pouvoir se présenter à nouveau à l’élection présidentielle de 2023. Dans cette optique, il peut compter sur le flou entretenu par l’article 70 de la Constitution congolaise, dont l’écriture manque de précision sur le fait qu’un ancien président de la République puisse ou non se représenter après une pause d’un mandat.

De son côté, l’ancien candidat Martin Fayulu a refusé un poste de député et continue à réclamer la vérité sur les résultats de la présidentielle. Il a déposé une requête devant la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP) dans laquelle il revendique 60 % des suffrages. Ses avocats prévoient de saisir d’autres institutions internationales… Mais avec quel espoir ? Jusqu’à ce jour, la CENI n’a toujours pas mis en ligne les résultats détaillés des élections du 30 décembre 2018. Donnant davantage de crédit à la formule employée, le 4 mars dernier, par la Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO), qui était l’un des organes observateurs du scrutin : « Déni de vérité. »

 

FRISE CHRONOLOGIQUE

18 ans de piège Kabila

  • 2001 : Joseph Kabila arrive au pouvoir à la suite de l’assassinat de son père, Laurent-Désiré Kabila, qui avait chassé par les armes le Maréchal Mobutu en 1997.
  • 2014 : Joseph Kabila tente une première fois de modifier la constitution afin de se représenter pour un troisième mandat à la présidence de la République. La société civile et l’opposition font front commun pour l’en empêcher.
  • 11 mai 2016 : alors que son dernier mandat aurait dû se terminer le 19 décembre 2016, la Cour constitutionnelle autorise Joseph Kabila à rester en poste jusqu’à l’organisation des élections.
  • 30 décembre 2018 : les élections présidentielle et législatives ont lieu. 47,56 % des électeurs se rendent aux urnes. 40 000 observateurs de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) surveillent les 74 000 bureaux de vote.
  • Début janvier 2019 : la CENI et la Conférence épiscopale nationale du Cogo (CENCO) rendent leurs premiers résultats. Martin Fayulu est déclaré vainqueur avec 62,11 % des voix. Félix Tshisekedi est crédité de 16,93 %.
  • 10 janvier 2019 : la CENI donne les résultats provisoires. Félix Tshisekedi est déclaré vainqueur avec 38,57 % des voix. Martin Fayulu obtient 34,83 %. Ce-dernier saisit la Cour constitutionnelle pour contester les résultats provisoires et ses partisans descendent dans les rues. Dix personnes sont tuées par balles et plus de 28 autres sont blessés lors de manifestations à Kikwit, Kananga, Goma et Kisangani.
  • 12 janvier 2019 : la CENI proclame les résultats du scrutin législatif. Le Front commun pour le Congo, parti de Joseph Kabila, remporte 337 sièges sur 485. L’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), le parti de Félix Tshisekedi, n’en remporte que 32.
  • 20 janvier 2019 : la Cour constitutionnelle rejette les recours déposés par Martin Fayulu et proclame Félix Tshisekedi président de la République.
  • 25 janvier 2019 : Félix Tshisekedi prend ses fonctions à Kinshasa.

 

POUR ALLER PLUS LOIN

Le rapport Mapping des Nations unies documente les violations des droits humains commises en République démocratique du Congo (RDC) entre 1993 et 2003. Disponible sur le site ohchr.org.


Un article de Clément Boursin, responsable des programmes Afrique à l’ACAT  

  • Justice et impunité