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Pierre Nkurunziza : Garder le pouvoir… au prix de la guerre civile

Le Burundi glisse dangereusement vers une reprise de la guerre civile aux conséquences inquiétantes pour le pays et la région des Grands Lacs. Retour sur deux années de dégradation continue de la situation politique et de ses répercussions sur les droits de l’homme.
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Le Burundi glisse dangereusement vers une reprise de la guerre civile aux conséquences inquiétantes pour le pays et la région des Grands Lacs. Retour sur deux années de dégradation continue de la situation politique et de ses répercussions sur les droits de l’homme.

Tout commence par la volonté d’un homme, soutenu par son clan, prêt à tout, pour garder le pouvoir et ses prébendes : l’argent du pays, sa gestion et la mainmise politique sur l’appareil d’État. Cet homme s’appelle Pierre Nkurunziza, Président de la République du Burundi.

De rebelle à Président de la République

En 2003, alors leader du principal mouvement armé d’opposition, le Conseil national pour la défense de la démocratie – Forces pour la défense de la démocratie (CNDD-FDD), Pierre Nkurunziza réussit à rallier son mouvement aux Accords de paix d’Arusha, signés le 28 août 2000. Ces accords visent à mettre un terme au conflit sanglant qui endeuille le Burundi depuis l’assassinat du premier président démocratiquement élu, Melchior Ndadaye, un Hutu, par des militaires putschistes, Tutsis, en octobre 1993. Ces Accords d’Arusha prévoient un système de quotas « Hutus-Tutsis » garantissant l’équilibre des postes au sein de l’armée, de l’administration et de la représentation politique. Ils limitent aussi à deux les mandats du chef de l’État[1], comme le prévoira la Constitution de mars 2005[2].

Ces accords font malheureusement l’impasse sur la nécessité de juger les responsables des graves violations des droits de l’homme commises durant la guerre civile et ses 300 000 morts.

De Président à autocrate

En 2005, la paix règne à nouveau au Burundi et le Parlement élit l’ancien rebelle Pierre Nkurunziza Président de la République. En 2010, il est réélu face à une opposition désorganisée. Mais la corruption généralisée au sein du pouvoir nourrit, jour après jour, un ressentiment social et politique grandissant contre le régime[3]. En mars 2014, Pierre Nkurunziza tente en vain de faire modifier la Constitution afin de supprimer la limitation des mandats présidentiels. Mais les députés, y compris ceux de la majorité, refusent[4]. Face à ce camouflet, les conseillers de Pierre Nkurunziza changent de fusil d’épaule et prétendent que, même si les Accords d’Arusha et la Constitution limitent à deux les mandats du chef de l’État, son premier mandat ne compte pas puisqu’il a été élu de manière indirecte par le Parlement. Cette obstination du président en place à briguer un troisième mandat inquiète de nombreux Burundais, Hutus comme Tutsis, car le symbole du consensus politique des Accords d’Arusha est pour la première fois remis en cause par le pouvoir en place.

Le 25 avril 2015, Pierre Nkurunziza annonce qu'il se présente à l'élection présidentielle, pour un troisième mandat consécutif. En mai, la Cour constitutionnelle, sous pression du pouvoir en place, valide sa candidature. Son vice-président s’enfuit après avoir dénoncé des pressions énormes et des menaces de mort[5]. Dès le 26 avril, la jeunesse burundaise est descendue dans les rues de Bujumbura, la capitale, pour dire « non » au troisième mandat. La police et la milice pro-gouvernementale « Imbonerakure » répriment. C’est le début des exactions : manifestants tués par balles, torturés, menacés…

Tous les partis d’opposition comme la très grande majorité des organisations de la société civile appellent à la mobilisation citoyenne pacifique pour faire échouer cette dérive totalitaire. Conscient de la vitalité de la société civile dans ce combat pour le respect des Accords d’Arusha, le régime en place s’engage dans une politique d’affaiblissement délibéré de cette société civile. Il profite de l’échec du coup d’Etat du 13 mai 2015 et de la chasse aux militaires dissidents pour décimer la plupart des médias indépendants (stations de radio fermées, matériel de diffusion détruit, journalistes menacés de mort contraints de fuir à l’étranger). La quasi-totalité des défenseurs des droits de l’homme sont, pour les mêmes raisons, contraints de quitter le pays. En novembre, c’est le coup de grâce : les activités de la majorité des associations de défense des droits de l’homme sont interdites et leurs comptes bancaires gelés. L’ACAT-Burundi après avoir vu son président fuir à l’étranger, est dorénavant interdite d’activités.

Un homme que les autorités veulent faire taire

Le 3 août, Pierre Claver Mbonimpa, le défenseur le plus connu du pays, survit miraculeusement à une tentative d’assassinat par armes à feu. Touché au visage et au cou, il part se faire soigner en Belgique, où il se remet aujourd’hui de ses blessures. Trois mois plus tard, le 6 novembre, son fils est assassiné à Bujumbura après avoir été arrêté par des forces de l’ordre.

Face à cette dérive, la communauté internationale ne réussit pas à s’accorder sur les mesures à prendre pour arrêter Pierre Nkurunziza dans sa fuite en avant. Le scrutin présidentiel se tient le 21 juillet 2015. Un mois plus tard, Pierre Nkurunziza est investi pour un nouveau mandat.

Petit à petit, les manifestants pacifiques à force de répression sanglante quittent la rue et laissent la place à ceux qui ont des armes et des revendications plus belliqueuses contre le régime répressif. La violence monte alors d’un cran : assassinats ciblés, arrestations et tortures de détenus, attentats à la grenades etc. Selon les Nations unies, au moins 474 personnes ont été tuées depuis avril 2015 et au moins 496 personnes ont été torturées.

D’autocrate à potentiel responsable de crimes contre l’humanité

Le cercle restreint autour de Pierre Nkurunziza s’engage dans une stratégie d’ethniciser le conflit afin de casser les revendications politiques de leurs adversaires : le respect des Accords d’Arusha et de la Constitution nationale.

Le 29 octobre, le Président du Sénat, Révérien Ndikuriyo, déclare - dans une rhétorique dangereuse destinée à monter les Hutus contre les Tutsis - que les opposants retranchés dans les quartiers de Bujumbura seront « pulvérisés » s’ils continuent à résister. Il promet d’attribuer des parcelles à ceux qui « iraient travailler ». Moins de deux mois plus tard, plus de 200 jeunes hommes majoritairement Tutsis sont sommairement exécutés à Bujumbura.

Retour sur un massacre annoncé

Vendredi 11 décembre 2015. Trois camps militaires situés dans les faubourgs de Bujumbura sont attaqués par des hommes armés opposés au régime en place. Les forces de sécurité fidèles au président Nkurunziza repoussent les assaillants. S’ensuit une effroyable campagne de représailles à l’encontre de la population vivant dans les quartiers qualifiés de contestataires, où vivent majoritairement des Tutsis. Plus de 200 personnes Tutsis sont exécutées. Selon Amnesty International, qui a pu enquêter sur ce massacre, « bien que des unités régulières de la police aient participé aux opérations, ce sont des unités spéciales comme la Brigade antiémeute et l’Appui pour la protection des institutions qui se sont rendues coupables des violations les plus graves »[6]. Des membres de la milice « Imbonerakure » ont également joué un rôle macabre dans les exécutions. La « vengeance » aurait été le mot d’ordre de cette opération de représailles à grande échelle.

Aujourd’hui, le pays est économiquement exsangue. En mars 2016, l’Union européenne - principal partenaire et bailleur de fonds du Burundi - a suspendu son aide directe au gouvernement burundais. Une partie important de sa population vit dans la peur : plus de 250 000 Burundais ont fui le pays. Il y a de vrais risques à ce que le conflit de basse intensité au Burundi s’étende aux pays voisins et ne déstabilise à nouveau la région des Grands Lacs, qui depuis plus de vingt ans n’en finit plus de s’autodétruire crises après crises.

 

Pour aller plus loin

Le Blog des défenseurs des droits de l'homme Burundais, qui relatent jour après jour la situation dans leur pays, exactions après exactions…

http://sostortureburundi.over-blog.com/

 

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[1] Article 7 des Accords d’Arusha: « [Le président] est élu pour un mandat de cinq ans renouvelable une seule fois. Nul ne peut exercer plus de deux mandats présidentiels »

[2] Article 96 de la Constitution du Burundi (mars 2005) : «Le Président de la République est élu au suffrage universel direct pour un mandat de cinq ans renouvelable une fois »

[3] « Burundi : la crise de corruption », International Crisis Group, mars 2012, http://www.crisisgroup.org/fr/regions/afrique/afrique-centrale/burundi/185-burundi-la-crise-de-corruption.aspx

[4] Burundi : l’Assemblée nationale retoque le projet de révision constitutionnelle de Nkurunziza, 21 mars 2014, http://www.jeuneafrique.com/164820/politique/burundi-l-assembl-e-nationale-retoque-le-projet-de-r-vision-constitutionnelle-de-nkurunziza/

[5] « Burundi: le vice-président de la Cour constitutionnelle en fuite », RFI, 4 mai 2015, http://www.rfi.fr/afrique/20150504-burundi-bujumbura-vice-president-cour-constitutionnelle-fuite

[6] « Mes enfants ont peur : aggravation de la crise des droits humains au Burundi », Amnesty International, décembre 2015,

 

 

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