Le Sahara occidental, tombeau de la légalité internationale
« Les portes du Sahara nous sont juridiquement ouvertes, tout le monde a reconnu que le Sahara nous appartient depuis la nuit des temps. Il nous reste donc à occuper notre territoire. » Cette phrase, prononcée par le roi du Maroc Hassan II en 1975, résume l’attitude colonisatrice du royaume chérifien envers le Sahara occidental. Quelques jours plus tard, il lançait la Marche verte au cours de laquelle 350 000 civils et 20 000 soldats marocains envahissaient ce territoire que le Royaume occupe encore aujourd’hui illégalement. Depuis, les Nations unies rappellent tous les ans le droit du peuple sahraoui à l’autodétermination mais sur le terrain, l’occupation s’intensifie chaque jour davantage.
Il faut revenir aux années 1960 et à la décolonisation pour comprendre l’écart entre la réalité et ce que prévoit le droit international. Convoité par le Maroc et la Mauritanie, le Sahara occidental est alors sous protectorat espagnol. En 1963, l’Organisation des Nations Unies (ONU) l’inscrit sur la liste des territoires autonomes, dont les populations autochtones ont vocation à déterminer leur statut. Parallèlement, la guérilla contre l’Espagne s’organise : des militants sahraouis créent le Frente Popular para la Liberacion de Sagui et Hamra y Rio (Front Polisario).
L’impasse de la paix
En 1974, sous la pression onusienne, l’Espagne consent enfin à organiser un référendum d’autodétermination. De crainte que les Sahraouis ne votent en faveur de leur indépendance, le Maroc demande l’arbitrage de la Cour internationale de justice dans l’espoir qu’elle affirme sa souveraineté sur le territoire. Mais le 16 octobre 1975, la Cour rend un avis contraire. Qu’importe : le Maroc entame sa colonisation à travers la Marche verte. Les affrontements éclatent avec le Front Polisario, soutenu par l’Algérie. La Mauritanie, qui réclame sa part du territoire, envoie aussi des troupes. L’Espagne se retire. Des milliers de Sahraouis fuient les combats et s’installent dans des camps de réfugiés en Algérie.
C’est dans ce contexte belliqueux que naît, en 1976, la République arabe sahraouie démocratique (RASD), proclamée par le Front Polisario et aujourd’hui reconnue par plus de trente États, dont la Mauritanie qui a renoncé à ses prétentions sur le territoire. En 1981, la République est admise parmi les membres de l’Union africaine et le Maroc claque la porte de l’organisation. Il faudra finalement attendre 15 ans pour qu’un plan de paix soit officialisé entre les deux parties, le 22 avril 1991.Celui-ci prévoit un cessez-le-feu et l’organisation d’un référendum d’autodétermination, encadré par la Mission des Nations Unies pour l’Organisation d’un référendum au Sahara occidental (MINURSO).
25 ans plus tard, la paix est dans l’impasse. Si le cessez-le-feu est maintenu, le projet de référendum, condition du maintien de la paix, a lui été définitivement rejeté par le Maroc en 2003, après que la MINURSO a refusé d’inscrire sur la liste des électeurs des dizaines de milliers de colons marocains capables de faire basculer le scrutin.
Autonomie contre autodétermination
Sur le terrain, le Maroc n’a cessé de consolider son occupation, allant jusqu’à annexer 80 % du Sahara occidental. Il exerce un contrôle administratif et sécuritaire total, notamment grâce à la construction d’un mur de sable achevé en 1987, qui scinde le territoire sahraoui et laisse seulement 20 % des terres revendiquées par les autochtones au Front Polisario (voir carte Courrier de l’ACAT n°342). Sous la pression de la colonisation massive, trois-quarts de la population est d’origine marocaine et les autochtones sont aujourd’hui en minorité. Dans les mentalités marocaines, la théorie de la marocanité du Sahara occidental est devenue quasi sacrosainte à travers la personne du Roi, considéré comme le protecteur suprême de l’identité et de l’intégrité du pays.
La seule concession faite par Mohammed VI ces dernières années est d’envisager l’octroi du statut de région autonome qui laisserait au Royaume le contrôle militaire du territoire, ainsi que celui de la monnaie et des affaires étrangères. Ainsi, le Maroc donne l’impression de négocier, mais rejette implicitement l’option de l’indépendance. À charge ensuite pour les Sahraouis de se contenter d’une autonomie acquise, plutôt que d’une autodétermination qui n’adviendra jamais. Le Front Polisario rejette catégoriquement cette option, au nom du droit à l’autodétermination.
Une occupation qui ne dit pas son nom
Si les organisations internationales et quelques rares États dénoncent ponctuellement les violations des droits de l’homme commises par le Maroc au Sahara occidental, personne n’ose dénoncer les violations du droit international humanitaire, pourtant sensé régir les situations d’occupation. Torture, transfert de population, procès inéquitables ou encore pillages des ressources naturelles… Ces atteintes sont nombreuses, mais les qualifier de violations du droit international humanitaire signifierait reconnaître l’occupation illégale du territoire sahraoui, et susciterait l’ire du Maroc.
L’occupation n’est pas un point de vue mais bien une réalité juridique. Pourtant, aux yeux de la majorité des États, parler « d’occupation » serait un parti-pris pour le Front Polisario. L’Union européenne, dont le Maroc est le premier partenaire économique, a totalement banni le terme. Elle ferme les yeux sur le pillage des ressources naturelles sahraouies, dont elle est complice. Le Tribunal de l’UE a rappelé en décembre 2016 que les accords économiques préférentiels avec le Maroc ne pouvaient pas s’appliquer aux produits du Sahara occidental, le Maroc n’ayant aucune souveraineté sur ce territoire. Pourtant, nombre d’entreprises européennes exploitent et importent les ressources minérales, fossiles, agricoles et halieutiques sahraouies, avec l’assentiment de leurs États respectifs.
Nul doute que ces atermoiements de la communauté internationale galvanisent le Maroc qui a récemment relancé sa machine de guerre diplomatique. Obsédé par la lutte contre le Front Polisario et ses soutiens, il a réintégré l’Union africaine en janvier 2017 avec l’objectif de faire exclure la RASD de l’organisation. Et d’entériner, toujours plus, une occupation qui ne dit pas son nom.