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La sanction de l’échec : la répression des migrants dans le pays d’origine

On dénonce souvent le traitement répressif et déshumanisé des migrants sur le territoire français. On en sait bien moins sur ce qui les attend dans leur pays d’origine quand ils sont renvoyés à la case départ.
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Migrer, c’est se déplacer, c’est quitter un pays d’origine, temporairement ou définitivement, pour un autre pays. Mais les États « d’arrivée » fixent des règles sévères et souvent intenables pour que cette migration soit légale. Le projet migratoire d’une personne risque d’échouer si sa demande d’asile est rejetée, si elle n’obtient pas de titre de séjour ou si elle n’est même pas autorisée à entrer sur le territoire français à la sortie de l’avion ou du bateau. Cet échec se concrétise, dans son point ultime et le plus dramatique, lorsque ces personnes sont renvoyées de force dans leur pays d’origine.

Or, on s’intéresse trop peu à ce qui attend ces personnes dans leur pays d’origine ou de provenance après l’échec du projet migratoire. Pourtant, le sort de celui qui a été « renvoyé à la case départ » est fort peu enviable. De nombreux pays, dont certains ont signé avec la France des accords bilatéraux de coopération, sanctionnent sévèrement les candidats malheureux à l’exil, du seul fait de leur tentative de s’établir ailleurs. Les politiques européennes de contrôle migratoire et les accords de réadmission signés avec des pays tiers (en dehors de l’espace Schengen) sont lourds de conséquences et générateurs de risques graves pour les personnes concernées. Jill Alpes est chercheuse spécialisée dans le domaine du droit de la migration[1], notamment sur les risques encourus par les migrants dans leur pays d’origine. Avec un groupe d’étudiants volontaires de sciences politiques, elle a mis en évidence les nombreuses formes de répression de la migration dans les pays d’origine ou de provenance. Les résultats de cette recherche ne couvrent qu’un petit nombre de pays mais ils laissent craindre un abîme de violations des droits de l’homme. Sur les 22 pays ciblés où des lois ou des pratiques répressives ont été répertoriées, plusieurs, comme le Cameroun ou l’Algérie ou encore la Macédoine, ont conclu des accords bilatéraux avec la France ou avec l’Union européenne[2].

Un arsenal de poursuites et peines

Devançant la répression de la migration par les pays de destination comme la France, certains États font du zèle. Dans cette optique, ils ont mis en place un arsenal pénal de poursuites et de peines de prison ferme pour sanctionner toute personne qui aurait tenté d’émigrer et n’aurait pas été légalement accueillie par le pays de destination. On reproche également à ces migrants malchanceux d’avoir « jeté l’opprobre » sur le pays par leur échec même. Ce type de reproches et de poursuites est particulièrement utilisé à l’encontre des demandeurs d’asile déboutés. On leur fait payer cher d’avoir porté le discrédit sur le régime du pays qu’ils tentaient de fuir. Dans d’autres situations, une personne peut être privée de liberté, détenue arbitrairement, parce qu’elle n’a pas rempli ou ne remplirait pas, aux yeux d’autorités locales souvent corrompues, les conditions pour être admise légalement, pense-t-on dans le pays d’arrivée. Certaines victimes sont arrêtées à leur descente d’avion, littéralement remises entre les mains de la police locale par l’escorte policière française qui a mis à exécution la mesure d’éloignement.

Tuer dans l’oeuf toute tentative d’émigrer

Certains États sont si zélés dans leur rôle de gardien externe des frontières de l’Europe qu’ils sanctionnent jusqu’à la tentative de sortie du territoire d’origine. Des aspirants à la migration sont ainsi arrêtés à l’aéroport de leur propre pays, sous prétexte qu’ils ne disposent pas de tous les documents requis (ou parce qu’ils n’ont pas suffisamment soudoyé la police aux frontières locales). Toutes ces personnes subissent alors des pratiques répressives et violentes, comme les brutalités policières, la confiscation de documents personnels, des extorsions de fonds ou des demandes de rançon. Ces pratiques ont pour but de terroriser les aspirants à la migration et tuer dans l’œuf toute tentative d’émigrer, à titre d’exemple.

Ces violations des droits sont commises avec l’accord tacite des autorités de nos pays qui bénéficient indirectement de cette « externalisation » du contrôle des frontières et s’accommodent de la distance et du peu de transparence de ces pratiques de « maîtrise de l’émigration ». S’interroger sur les risques encourus par les migrants malchanceux dans leur pays d’origine revient, en quelque sorte, à retourner le miroir : cela pose la question de la privation de la liberté de circulation de certaines personnes dans leur propre pays, interdites de sortir, alors que le libre choix du lieu de résidence est un droit fondamental reconnu par les conventions internationales. Cela met aussi en lumière une tendance nouvelle un des tristes aspects de la mondialisation : les migrants, en tant que tels, et parce qu’ils ont été stigmatisés comme ayant échoué dans leur tentative migratoire, deviennent une catégorie à part entière de victimes de violations des droits de l’homme.

Eve Shahshahani, responsable des programmes Asile à l’ACAT

1. A l’Université libre d’Amsterdam, spécialisée dans le droit de la migration
2. Border Casualties : European migration control, return risks and human rights in countries of origin. Projet de recherche collective mené par Charlotte Blondel, Marie Conciatori, Nausicaa Preiss, Meritxell Sayos Monras, Suzanne Seiller et Janine Uhlmannsiek, (Science Po Paris) coordonné par le Dr Maybritt Jill Alpes, 2015

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