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Une avocate de la dernière chance pour Charles Flores

Gretchen Sween, avocate spécialisée dans la défense des condamnés à mort indigents au Texas, tente par tous les moyens de casser la condamnation à mort de Charles Flores. Elle pointe les nombreux obstacles pour défendre des accusés encourant la peine capitale et les condamnés à mort aux États-Unis.
Charles Flores_ aout 2015 - copie

Aux États-Unis, il n’y a pas de juge d’instruction. Les services du procureur instruisent à charge, c’est-à-dire qu’ils retiennent les éléments en défaveur de l’accusé.  Face à eux, les avocats de la défense doivent présenter des arguments et preuves pour réfuter, ou du moins affaiblir, l’accusation. Le juge arbitre. Dans les procès avec réquisition de peine de mort, c’est un jury populaire qui doit d’abord déterminer la culpabilité puis, s’il y a lieu, la sentence.

Si le système prévoit en théorie une égalité entre les parties, en pratique il y a souvent une grande différence entre les moyens dont disposent procureurs, enquêteurs et officiers de police face à des accusés aux faibles ressources. Ces derniers se voient le plus souvent attribuer des avocats commis d’office,  mal payés et parfois très inexpérimentés, qui seront très limités voire peu motivés pour représenter efficacement leurs clients. La tâche s’avère encore plus ardue une fois l’accusé condamné à mort. En effet, les possibilités d’appel et les moyens sont ensuite particulièrement  compliqués et restreints.

C’est précisément le parcours de Charles Flores, Américain d’origine mexicaine condamné à la peine capitale par l’État du Texas en avril 1999, sur la base d'un témoignage obtenu sous hypnose par les policiers.

Charles, parrainé par l'ACAT dans le cadre du programme de correspondance, dénonce le manque de moyens et de compétences de ses avocats commis d'office, à son procès puis pour ses premiers appels. Pratiquement arrivé au terme des recours possibles et après avoir échappé de justesse à une première exécution en juin 2016, il voit les chances de faire reconnaître son innocence sans cesse diminuer. Aujourd’hui son sort repose presque entièrement sur l’engagement sans failles de sa dernière avocate. Gretchen Sween est spécialiste des procédures de peine capitale, mais le système judiciaire ne lui accorde encore que peu de moyens pour défendre efficacement son client.

 


INTERVIEW

ACAT : En quoi consiste votre travail ?

Gretchen Sween : Je suis avocate, je pratique en libéral depuis septembre 2018. J'ai travaillé un certain nombre d'années en cabinet sur des procès civils et des appels. Je prenais quelques affaires de peine de mort pro bono [bénévolement] lorsque je le pouvais. En 2015, j'ai opéré un changement de vie et décidé de travailler exclusivement à la défense des personnes indigentes dans le quartier des condamnés à mort du Texas.

 

ACAT : D’où procède ce changement ?

G.S : C’est ce que j’ai découvert en tentant de défendre alors Raphael Holiday [également parrainé par l'ACAT dans le cadre du programme de correspondance] qui est à l’origine de ma décision. Si son avocat commis d'office en première instance semble s’être soucié de lui, il est clair qu’il n’avait pas les moyens ou le temps d’enquêter sur de nombreux éléments de l’accusation. Ensuite, à mon sens, M. Holiday a littéralement été abandonné par ses avocats commis d’office suivants, si bien qu’il a été mal représenté tout au long de ses appels et que ses droits n’ont pas été examinés de façon valable. Je n’ai personnellement été associée à sa défense que le dernier mois avant son exécution par l’État du Texas. Un délai très court, mais au cours duquel j’ai découvert beaucoup de choses qui ont de quoi choquer la conscience de tout être humain.

 

ACAT : Depuis quand défendez-vous Charles Flores ?

G.S. : J'ai commencé à représenter Charles en juin 2016, juste après qu’il a obtenu un sursis à son exécution. À cette époque, je travaillais pour le Bureau du Défenseur public du Texas qui représente les personnes condamnées à mort devant les tribunaux de l’État. Quand j'ai quitté ce bureau pour m’installer en libéral, j’ai continué à suivre Charles bénévolement. Récemment, j'ai été nommée par un tribunal fédéral pour le représenter officiellement dans toutes les procédures restantes devant les tribunaux étatiques et fédéraux et, si nécessaire, pour solliciter la clémence auprès de l’exécutif en dernier recours.

 

ACAT : À quelle représentation juridique a-t-il eu accès avant que vous ne repreniez son dossier ?

G.S. : Pour son procès, Charles s’était vu attribuer des avocats commis d’office qui, à l'époque, disposaient de très peu de ressources pour engager des enquêteurs privés et des experts. Cependant, on peut vraiment dire qu’ils n'ont même pas cherché à trouver du soutien à sa cause. Il aurait été souhaitable mais totalement illusoire que le juge décide d’interrompre le procès pour donner à la défense les moyens de financer la recherche d'un expert sur la question de l’hypnose. Cependant, les avocats n'ont même pas tenté de faire la moindre demande de fonds pour trouver des experts susceptibles de témoigner en faveur de Charles. L'une des plus grosses erreurs qu’ils aient commise est de n’avoir mis en place aucune stratégie pour épargner la condamnation à mort à Charles qui venait d’être déclaré coupable. En effet, ils n'ont présenté aucun témoin -ni expert, ni membre de la famille, ni qui que ce soit qui aurait pu contrer les tentatives de déshumanisation de Charles par l’accusation et raconter son parcours de vie.

 

ACAT : Son cas est-il représentatif d’une majorité de condamnés à mort au Texas ?

G.S. : Une défense au rabais dans les affaires de peine de mort était assez courante dans les années 80 et 90, en particulier au Texas. Aujourd'hui, il est peu probable qu’un avocat se comporte aussi mal que celui de Charles en 1998-99. Depuis 2000, la Cour suprême a rendu plusieurs arrêts qui obligent les avocats à vraiment creuser chacun des aspects d’une accusation de l’État contre leur client et, particulièrement, à enquêter rigoureusement et à présenter un dossier solide susceptible de convaincre le jury d'infliger une condamnation moins importante que la peine de mort.

Cependant, quantité d’accusés encourant la peine de mort au Texas se voient encore assigner des avocats commis d’office qui n'entreprennent aucune enquête sérieuse sur le crime imputé, en vue de la première phase du procès qui détermine la culpabilité, ou sur les potentielles circonstances atténuantes, en vue de la seconde phase du procès qui détermine la peine. Ces avocats acceptent souvent d’intervenir au procès alors qu'ils ne sont pas préparés et ils ne plaident pas avec zèle pour leurs clients, à aucun moment.

 

ACAT : Comment Charles a-t-il été défendu ensuite, pour ses appels ?

G.S. : L’attitude, manifestement aberrante, des premiers avocats de Charles n'a jamais été dénoncée par ses avocats ultérieurs, si bien que les tentatives d’appels de la condamnation ont systématiquement échoué. La première tentative de Charles pour faire reconnaître l’ « assistance inefficace d’un avocat » n’a jamais été développée ni étayée par des preuves. Cet échec est dû au fait que ses avocats d’alors ont également été inefficaces et n'ont mené aucune enquête valable. Désormais, la loi fait qu’il est trop tard et qu’il n’est plus permis à Charles de contester ces manquements évidents à son procès.

 

ACAT: Qu’avez-vous tenté et que tentez-vous pour empêcher son exécution et faire reconnaître son innocence ? Quelles sont les difficultés ?

G.S.: En récupérant le dossier de Charles, j’ai eu la possibilité de retourner devant un tribunal du Texas pour contester la présentation par l’État au procès du témoignage obtenu sous hypnose par les forces de l'ordre. Malheureusement, en mai 2020, la cour d’appel du Texas a rejeté cet appel.

Actuellement, nous avons fait appel sur la même question auprès de la Cour suprême des États-Unis. Cependant, un tribunal fédéral ne peut pas accorder de réparation sur un recours qui n'a pas été initialement présenté à et jugé par un tribunal d'État. Ainsi, si cet appel à la Cour suprême fonctionne, cela signifie que l'affaire pourra être rejugée par un tribunal au Texas. Si cet appel échoue, Charles devra trouver un biais procédural pour revenir devant un tribunal d'État avec de nouvelles demandes, sinon il risque à nouveau l’exécution.

Cependant, nos ressources disponibles pour les enquêtes, les experts, etc. demeurent très limitées. Pourtant ces moyens sont indispensables pour tenter d'obtenir un nouveau procès en convaincant les tribunaux du Texas de la nécessité d'examiner des demandes qui n'ont été examinées par aucun tribunal jusqu’ici. De nombreux points du dossier de Charles devraient encore être traités en audience. Le défi consiste à contourner les obstacles procéduraux et à trouver les moyens pour étayer ses recours par des preuves et un travail juridique convaincant.

 

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