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Exilés sous contrôle

Si la première ébauche du projet de loi sur l’immigration n’est pas définitive, certaines dispositions annoncées, comme l’allongement de la durée de rétention, laissent craindre une criminalisation accrue des exilés. Décryptage d’une tendance inquiétante.
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Multiplication des assignations à résidence, allongement de la durée de rétention administrative dans des centres déjà pleins à craquer, création de nouveaux centres d’assignation à résidence au pied des pistes des aéroports… Voici quelques-unes des mesures annoncées pour le projet de loi sur l’immigration qui devrait être détaillé en janvier 2018.

Tout porte à croire que les dispositions voulues par le gouvernement renforceront la tendance déjà à l’œuvre de criminalisation des exilés, qui se manifeste par la multiplication des contrôles d’identité et des contrôles aux frontières. L’amalgame douteux fait entre immigration et insécurité, mais également entre immigration et terrorisme, se traduit en effet par des politiques publiques particulièrement inquiétantes au regard du respect des droits fondamentaux. Parmi elles, la multiplication des dispositifs de contrôle des étrangers.

Contrôler pour mieux expulser

Premier endroit où ces contrôles ont été rétablis : les frontières, où les forces de l’ordre refoulent quotidiennement des personnes au mépris des procédures légales, sous couvert de lutte contre le terrorisme. En réalité, ces contrôles semblent viser principalement à empêcher l’entrée des exilés en provenance d’Italie, dont une grande partie est en quête d’une protection, à laquelle ils ont droit au titre de l’asile. De même, la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, adoptée cet automne, autorise les contrôles d’identité dans des zones très étendues, lesquelles ne se limitent pas aux frontières terrestres du territoire français.

L’article 10 du texte précise que les forces de l’ordre pourront contrôler dans ces zones  « les personnes dont la nationalité étrangère peut être déduite d’éléments objectifs extérieurs à la personne même de l’intéressé ». Du fait du caractère flou de l’expression « éléments objectifs extérieurs », les associations craignent que, toujours sous couvert de lutte contre le terrorisme, ces mesures facilitent les contrôles aux faciès. 

Le renforcement de ces contrôles se manifeste également dans le traitement des demandeurs d’asile. Si jusque-là, la France appliquait peu le règlement Dublin (voir ci-contre), une instruction de juillet 2016 a fortement encouragé les préfectures à renvoyer les demandeurs d’asile vers d’autres États européens… Et pour ce faire, à utiliser la panoplie des mesures de contrôle et de contrainte à la disposition de l’administration. Ce sont ainsi multipliés les mesures d’assignation à résidence des demandeurs, ainsi que le recours à l’enfermement dans des centres de rétention administrative (CRA). La loi du 29 juillet 2015 a également élargi la procédure d’assignation à résidence aux demandeurs d’asile : alors qu’auparavant ils ne pouvaient être assignés qu’au moment de leur transfert vers l’État responsable de leur demande, ils peuvent désormais être forcés de pointer au commissariat jusqu’à plusieurs fois par semaine pendant l’étape visant à déterminer l’état responsable.

Fermeté et absurdité

Ces exilés faisant l’objet d’une procédure d’assignation à résidence peuvent être placés dans des dispositifs d’hébergement d’urgence dans lesquels le travail social est transformé. En effet, les intervenants sociaux sont contraints de participer au contrôle des exilés au profit des autorités, au détriment des missions d’accueil et d’aide. Pour quels résultats ? Seuls 10 % des mesures de transfert de « dublinés » sont effectivement mises en œuvre et la France renvoie autant de personnes qu’elle n’en reçoit en application du règlement « Dublin ». Plus récemment, les préfets ont reçu une instruction ministérielle les incitant à user « de la plus grande fermeté » dans la mise en œuvre de la politique de reconduite aux frontières. Résultat, en quelques semaines : des CRA pleins et des décisions qui confinent à l’absurde, tel le transfert d’une personne arrêtée à Ajaccio vers le CRA de Metz, où celui d’une personne interpellée à Briançon vers Toulouse.

Un exilé n’est pas dangereux. Quelle infraction a-t-il commise, autre que de ne pas avoir de titre de séjour ? Pourquoi  alors le priver de liberté ? Pourquoi l’incarcérer ? D’autant que la privation de liberté n’est jamais sans conséquence pour la personne qui la subit – dans des conditions jugées au demeurant « pas dignes » par la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté, Adeline Hazan. En plus de l’argument de la lutte anti-terroriste, les hommes politiques et les médias n’hésitent pas à dépeindre une « crise migratoire » afin de justifier la mise en place de telles mesures coercitives. Pour autant, si l’année 2015 a, semble-t-il, marqué un pic dans le nombre d’arrivées en Europe, et principalement de personnes en quête d’une protection, le nombre d’exilés arrivant sur notre sol est bien loin de constituer un péril. Quand bien même, rien ne justifie qu’une telle violence institutionnelle se déploie face aux exilés qui viennent chercher refuge au pays des droits de l’homme. Les mots « asile », « accueil » et « fraternité » ne constitueraient-ils plus qu’une vieille utopie aujourd’hui dépassée ? Bien au contraire : il est plus qu’urgent de la réaffirmer afin qu’elle guide notre analyse de la politique migratoire annoncée en ce début d’année.

Définitions :

Assignation à résidence : mesure administrative qui oblige un étranger à résider dans un endroit précis et à se présenter périodiquement à un service de police ou de gendarmerie. 

Centre de rétention administrative : lieu privatif de liberté dans lequel les étrangers sont placés dans l’attente de leur expulsion du territoire français pendant une durée maximale de 45 jours. Plus de 45 000 personnes y ont été enfermées en 2016, dont des enfants.

Loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme : loi adoptée le 30 octobre 2017 qui a pour objectif la prévention du terrorisme. Elle reprend un certain nombre de mesures prévues dans le cadre de l’État d’urgence (voir Courrier de l’ACAT n°345, juillet/août 2017).

Règlement Dublin : règlement européen visant à déterminer l’État membre responsable de l’examen d’une demande d’asile. C’est généralement le premier état par lequel est passé le demandeur lorsqu’il est arrivé en Europe. Selon ce règlement, le demandeur peut être expulsé dans cet état pour que sa demande y soit étudiée.

Loi asile et immigration : des premières annonces inquiétantes

Les détails du projet de loi sur l’asile et l’immigration n’ont pas encore été dévoilés à l’heure où nous écrivons ces lignes, mais les premières informations qui ont fuité font craindre un net recul des droits et libertés des personnes étrangères :

- Allongement de la durée de rétention et extension des cas dans lesquels la privation de liberté est possible ;

- création de centres d’assignation à résidence au bord des pistes des aéroports ;

- intégration de la notion discutable de « pays tiers sûr », pour renvoyer un demandeur d’asile dans un pays hors de l’Union européenne, sans examiner le bien-fondé de sa demande ;

- raccourcissement des délais de recours devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) et, pour certaines catégories de personnes, remise en cause des droits garantis durant toute la durée du recours.


Par Marion Guémas, ancienne responsable des programmes Asile à l'ACAT

Article issu du Humains n°03

  • Droit d'asile