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Angola
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Migrations : l'Angola schizophrène ?

Si l'Angola accueille avec bienveillance les réfugiés congolais qui fuient la crise au Kasaï, il renvoie dans la violence les migrants qui travaillent illégalement dans les mines de diamants situées au nord-est de son territoire.
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Le 25 avril 2017, Le Rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits de l’homme des migrants, François Crépeau, a rendu public son rapport de mission en Angola. Un an plus tôt, il s’était rendu dans ce pays, dirigé d’une main de fer par José Eduardo Dos Santos depuis 1979. L’ACAT s’était fortement mobilisée pour qu’une telle visite soit acceptée par les autorités angolaises. Le rapport recommande à l’Angola de « se doter d’une stratégie nationale globale sur la migration afin de protéger et de promouvoir les droits de l’homme de tous les migrants dans le pays ». Si l’on retire le filtre diplomatique, on comprend qu’il n’y a aucune politique migratoire cohérente en Angola, à part celle consistant à renvoyer avec violence les sans papier congolais de l’autre côté de la frontière.

Vagues d’expulsions

Durant la guerre civile angolaise de 1975 à 2002, l’ancienne rébellion UNITA  avait fait venir de nombreux Congolais pour extraire les diamants des mines artisanales dans les régions Lunda Norte et Lunda Sul. Ces flux migratoires s’étaient par la suite accrus, avec l’arrivée d’autres migrants congolais qui fuyaient la misère. À la fin de la guerre, les autorités angolaises ont repris le contrôle de la frontière nord, ainsi que de ses territoires : en décembre 2003, les vagues d’expulsion des migrants ont commencé de l’Angola vers le Kasaï, province frontalière du sud de la République démocratique du Congo (RDC). En près de quinze ans, plus d’une centaine de milliers de ressortissants congolais sans papier ont été expulsés. Plusieurs dizaines de milliers d’entre eux – dont de nombreuses femmes et jeunes filles – ont fait l’objet de violences, dont des violences sexuelles, de la part de membres des forces de défense et de sécurité angolaises.

Violences sexuelles endémiques

L’organisation italienne Comitato Internazionale per lo Sviluppo dei Popoli (CISP) est témoin de ces violences depuis 2010. Entre janvier à mai 2015, le CISP a recensé 560 viols de migrantes expulsées d’Angola. Une année auparavant, en juin 2014, Médecins du Monde (MDM) dressait le bilan désastreux de la politique migratoire angolaise, marquée par l’utilisation de la violence comme mesure de rétorsion sur les migrants congolais. D’après les témoignages accablants recueillis par MDM, les expulsions se déroulaient sans protection juridique et au mépris des droits de l’homme. Les expulsés faisaient régulièrement l’objet de mauvais traitements et de tortures, dont de nombreuses violences sexuelles, dans une logique consistant à terroriser et à humilier les migrants, en particulier les femmes. De leur côté, Human Rights Watch (HRW), en mai 2012, et Médecins sans frontières (MSF), en décembre 2007, avaient également dénoncé dans des rapports de telles violences sexuelles.

Crédit : Coralie Pouget pour ACAT

Depuis, peu d’informations proviennent de ces territoires. Les tortures et les passages à tabac des Congolais sans papier, notamment à l’aide de coups de fouet, au moment de leur arrestation sont-elles encore pratiquées ? Il est vraisemblable qu’il y ait eu une diminution de leur nombre car, sinon, des informations auraient filtrées. Néanmoins les pratiques demeurent. Une vidéo mise en ligne le 2 novembre 2016 sur Facebook montre une femme, accusée de traverser illégalement la frontière au Cabinda, attachée à un arbre par les pieds. Un homme vêtu d’un uniforme kaki, qui correspond à celui de la police des frontières en Angola, la frappe violemment sur la plante des pieds.

Impunité notoire

En 2012-2013, les autorités angolaises s’étaient engagées auprès des autorités congolaises et des instances des Nations unies à améliorer les conditions de renvoi des ressortissants congolais et à enquêter sur les allégations de violences. Après une forte mobilisation de la communauté internationale sur le sujet, notamment la visite du Secrétaire général adjoint aux droits de l’homme de l’ONU à la frontière entre la RDC et l’Angola en mai 2012, les autorités angolaises avaient pris l’engagement d’enquêter sur ces allégations de violations des droits de l’homme et de poursuivre leurs auteurs présumés devant la justice. Plus de quinze ans après ces premières violences, aucun auteur présumé ou responsable hiérarchique au sein des forces de défense et de sécurité angolaises n’a été poursuivi devant la justice pour violences sexuelles, ni pour tortures.

Certes, l’Angola accueille avec bienveillance les réfugiés congolais qui fuient l’insécurité au Kasaï (voir encadré), voulant se donner l’image d’un pays responsable qui sait accueillir les populations en détresse sur son territoire. Il octroie également aux Nations unies et aux ONG la possibilité de travailler en toute liberté. Cela ne doit pas pour autant masquer la réalité des violences faites aux migrants venus chercher une vie meilleure. Ils ne doivent pas être oubliés. De plus, qu’en sera-t-il lorsque la crise politique congolaise sera résolue et que la communauté internationale aura détourné les yeux de la frontière angolaise ? L’Angola reprendra-t-elle ses mauvaises habitudes ?

Crise politique au Kasaï

Voilà plus d’un an que la région congolaise du Kasaï, frontalière avec l’Angola, est plongée dans un conflit sans précédent. Après l’exécution sommaire du chef traditionnel Kamuina Nsapu par des agents des forces de l'ordre, ses partisans  se sont attaqués aux autorités locales. Il s’est ensuivie une répression dont le bilan est terrible : à l'heure où nous écrivons ces lignes, 3 400 personnes auraient été tuées selon l'Église catholique. L’ONU parle de 200 000 déplacés et 80 fosses communes ont été découvertes. Deux experts des Nations Unies, Zaida Catalán et Michael Sharp, ainsi que les quatre Congolais qui les accompagnaient, ont été assassinés. Le Conseil des droits de l’homme de l’ONU a adopté une résolution afin d’établir les faits et d’identifier les auteurs des violences.


Par Clément Boursin, responsable des programmes Afrique à l'ACAT