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Cameroun
Actualité

Les ravages de la guerre contre Boko Haram

Depuis 2014, la situation sécuritaire et celle des droits de l’homme se sont fortement dégradées dans le nord du Cameroun du fait de la guerre de/contre Boko Haram
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Depuis 2014, la région de l’Extrême-Nord au Cameroun est en proie à un conflit, quand la secte islamiste nigériane Boko Haram a entrepris des attaques répétées contre les populations et les organes de l’État. Face à ces attaques, les autorités camerounaises ont déployé de plus en plus de soldats sur le terrain. Ces derniers ont répondu à Boko Haram par la force, y compris contre les populations considérées comme proches des islamistes. Depuis lors, la situation sécuritaire et celle des droits de l’homme se sont fortement dégradées dans le nord du Cameroun.

Les massacres de Boko Haram

Dès 2004, Boko Haram[1] a fait du nord Cameroun une  base arrière de ses activités criminelles au Nigeria. Pendant environ neuf ans, les autorités camerounaises ont accepté sa présence et le fait qu’elle recrutait des milliers de combattants locaux dans ses rangs[2]. En 2013, sous la pression internationale, les autorités camerounaises opèrent un véritable changement de leur politique vis-à-vis de Boko Haram : Plusieurs prédicateurs et membres de la secte sont arrêtés, plusieurs bases arrière sont démantelées, de même que des réseaux d’approvisionnement en armes et en nourriture. Le Cameroun devient dès lors un ennemi de Boko Haram. La secte décide alors de punir ce pays : massacres de villageois, attentats-suicides, enlèvements et recrutement d’enfants soldats, prises d’otages, tortures. Entre janvier et septembre 2015, Boko Haram aurait tué plus de 380 civils et des dizaines de membres des forces de défense et de sécurité camerounaises. Ces exactions peuvent être définies comme des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité.

Une réaction excessive des forces armées

Pour mettre un terme à cette déstabilisation du nord du pays, les autorités camerounaises ont, de manière progressive, déployé sur le terrain des milliers de soldats, ainsi qu’une partie importante de son aviation militaire. Des détachements militaires tchadiens sont également venus prêter main forte au Cameroun début 2015. Dans un premier temps, les affrontements ont été frontaux. Mais face à la puissance militaire étatique et les lourdes pertes humaines de Boko Haram, ce dernier a revu sa stratégie de guerre. Les djihadistes de Boko Haram ont, depuis juin 2015, multiplié les attentats-suicides avec des enfants embrigadés et les attaques de petites localités mal défendues par l’armée, créant la psychose au sein des populations.

Pour débusquer les membres et soutiens de Boko Haram au Cameroun, les forces armées ont mené, dès 2014, des opérations de contrôle et de renseignements au sein de sa population, particulièrement au sein de la communauté Kanuri, qui vit de part et d'autre de la frontière avec le Nigeria, et qui fournit le gros des troupes de Boko Haram. Dans le cadre de ces opérations, des milliers de citoyens camerounais, soupçonnés d’appartenance ou de proximité avec Boko Haram, ont fait l’objet de violences : arrestations de masse, exécutions sommaires, disparitions forcées, actes de torture, morts en détention. Plus de 1 000 personnes seraient actuellement détenues dans des conditions inhumaines.

L’un des faits les plus graves remonte à la nuit du 27 au 28 décembre 2014, où au moins 25 détenus ont trouvé la mort dans une cellule improvisée de la légion de gendarmerie de l’Extrême-Nord à Maroua. Le lendemain, 45 survivants étaient transférés à la prison de Maroua. 130 autres ont disparus... Ces personnes faisaient partie d’un groupe d’au moins 200 hommes et garçons qui avaient été arrêtés dans les villages de Magdeme et Doublé, le 27 décembre 2014, à la suite d’une opération de ratissage menée par des militaires, gendarmes et policiers. A cette occasion, au moins neuf personnes avaient été tuées par balles, de nombreux jeunes hommes avaient fait l’objet de violences physiques et plus de 70 bâtiments avaient été incendiés volontairement.   

Une société civile intimidée qui s’autocensure

Le 15 janvier 2015, le Réseau des défenseurs des droits humains en Afrique centrale (REDHAC) a été la première organisation à s’exprimer publiquement sur ces événements et à demander une enquête. Deux mois plus tard, le 13 mars, le Ministre de la communication, M. Issa Tchiroma, a confirmé la mort de 25 personnes au sein de la légion de gendarmerie de Maroua. Il a indiqué que des investigations, notamment des autopsies, avaient été menées par les autorités militaires afin d’en comprendre les causes et que le commandant de la légion de gendarmerie de l’Extrême-Nord, M. Zé Onguené Charles, avait été déchargé de ses responsabilités à titre conservatoire puis mis à la disposition de la justice. Mais dans le même temps, il affirmait que les forces de défense et de sécurité étaient la cible d’une « attaque mensongère et totalement inacceptable » de la part du REDHAC […] « dans le but manifeste de jeter l’opprobre de façon à priver le Cameroun du soutien de la communauté internationale dans la guerre contre Boko Haram ».

Dans les mois qui ont suivi, plusieurs journalistes et défenseurs des droits de l’homme camerounais et étrangers ont été intimidés pour avoir été présents dans le Nord du Cameroun ou pour avoir voulu enquêter dans cette partie du territoire. Une autocensure est aujourd’hui pratiquée au sein de ces professions, d’autant plus que la législation nationale relative à la lutte contre le terrorisme s’est durcie avec une loi promulguée en décembre 2014 qui enfreint de nombreux droits et libertés fondamentales[3]. Dorénavant, toute parole ou écrit public, considérés comme « apologie des actes de terrorisme », est passible de 15 à 20 ans d’emprisonnement et d’une amende de 25 à 50 millions de FCFA. Le problème c’est que la définition du « terrorisme » est très large et que le terme « apologie » n’est pas définie. Du coup, les défenseurs des droits de l’homme et les journalistes peuvent potentiellement être condamnés à de lourdes peines s’ils font leur travail.

Impunité

Selon Amnesty International, qui a pu enquêter sur les faits survenus au sein de la légion de gendarmerie de Maroua fin décembre 2014, les détenus avaient été placés dans deux pièces distinctes, chacune contenant au moins 100 détenus. Un gaz aurait alors envahi l’une des deux pièces, provoquant des vomissements, des saignements de nez et des difficultés respiratoires chez les détenus. « Le nombre de victimes pourrait être encore plus important » que les 25 morts officiels, indique l’ONG dans son rapport, publié en septembre 2015[4].

On comprend mieux pourquoi un an après les faits, les enquêteurs du ministère de la Défense n’ont toujours pas publié les noms des personnes mortes, révélé l’emplacement de leurs corps, les causes de leur mort, et interrogé les principaux témoins.

Il n’y a peu de chance pour que la vérité soit réellement établie dans cette affaire tant que l’enquête restera sous la conduite du ministère de la Défense, ni d’aucune autorité gouvernementale d’ailleurs. Car l’impunité est la règle au Cameroun pour les forces de défense et de sécurité. Cela ne date pas hier. Nous sommes persuadés à l’ACAT, qu’on ne vainc pas le terrorisme par la terreur. La lutte contre Boko Haram ne peut réussir que dans le respect le plus scrupuleux des droits de l’homme et des libertés publiques. Pour l’instant, le Cameroun semble commettre les mêmes erreurs que son voisin nigérian…

Pour aller plus loin : Aux origines de la secte Boko Haram, article d’Alain Vicky dans Le Monde Diplomatique, https://www.monde-diplomatique.fr/2012/04/VICKY/47604

 

[1] Officiellement depuis mars 2015 son nouveau nom est « Province de l’État islamique en Afrique occidentale »

[2] Plus de 3 000 jeunes Camerounais ont rejoint Boko Haram pour des raisons principalement économiques, alors que leur région reste sous-développée et marginalisée par le pouvoir central et ce depuis des décennies.

[3] Quand lutte contre le terrorisme rime avec restriction des libertés, une tribune de l’ACAT dans Le Monde Afrique, http://www.acatfrance.fr/actualite/au-cameroun--lutte-contre-le-terrorisme-rime-avec-restriction-des-libertes

[4] Cameroun : les droits humains en ligne de mire. La lutte contre Boko Haram et ses conséquences, rapport d’Amnesty International, https://www.amnesty.org/fr/documents/document/?indexNumber=afr17%2f1991%2f2015&language=fr

  • Justice et impunité