Cameroun : démocratie en danger
Rien ne va plus au Cameroun. Jour après jour, des rapports d’ONG documentent des violations graves des droits de l’homme commises dans l’Extrême Nord du pays, touché par le terrorisme de la secte islamiste Boko Haram, comme dans les régions anglophones du Sud où les populations manifestent pour leurs droits et libertés. Le point commun entre ces deux régions aux enjeux en apparence très différents : la loi portant répression des actes de terrorisme instrumentalisée de part et d’autre du pays, qui est soumis à un véritable climat de peur. Car sous couvert de lutter contre Boko Haram dans un cadre légal, le président Paul Biya a promulgué, fin décembre 2014, un texte qui réduit drastiquement les libertés fondamentales.
Les autorités camerounaises y ont sciemment défini le terrorisme de manière imprécise, en utilisant notamment des formulations floues et générales. Ainsi, le terrorisme est avéré s’il y a l’intention « de contraindre le gouvernement [...] à accomplir ou à s’abstenir d’accomplir un acte quelconque, à adopter ou à renoncer à une position particulière ou à agir selon certains principes », « de perturber le fonctionnement normal des services publics, la prestation de services essentiels aux populations ou de créer une situation de crise au sein des populations, de créer une insurrection générale dans le pays ». Toute grève, manifestation ou appel à la désobéissance civile peut donc être assimilé à un acte de terrorisme. De fait, tout participant à ce type d’événement est un terroriste potentiel.
EXACTIONS DU NORD AU SUD
Dans l’Extrême-Nord, des milliers de citoyens camerounais, soupçonnés d’appartenance à la secte islamiste Boko Haram, sont en prison et attendent d’être jugés. Nombre d’entre eux ont été torturés pour qu’ils avouent leurs crimes et certaines peines paraissent disproportionnées : trois lycéens ont été condamnés en novembre 2016 à dix ans de prison ferme par le tribunal militaire de Yaoundé pour « non dénonciation d’actes terroristes ». Ils avaient été arrêtés deux ans plus tôt pour avoir partagé par SMS une blague sur Boko Haram. De même, environ 200 personnes ont été condamnées à la peine de mort pour terrorisme par la justice militaire, à l’issue de procès bâclés. La loi antiterroriste prévoit en effet la peine capitale pour tous ceux qui commettent ou se sont rendus complices de terrorisme. En réalité, ces détenus sont condamnés à mourir en détention car la peine de mort n’est plus appliquée au Cameroun depuis 1997.
Dans le Sud, les régions anglophones sont en proie à une crise politico-sociale qui s’intensifie depuis octobre 2016. Le régime de Paul Biya s’est appuyé sur la loi antiterroriste afin d’arrêter et de poursuivre en justice la plupart des leaders anglophones des marches organisées fin 2016. Les libérations décidées par un décret présidentiel en août 2017 sont survenues trop tard : en réaction aux emprisonnements répétés, à la répression continue des marches pacifiques, ainsi qu’aux coupures des radios et d’Internet, d’autres leaders aux discours plus violents ont radicalisé une partie de la population. Des agents des forces de l’ordre ont été assassinés, entraînant une répression plus importante de la part des autorités. Aujourd’hui, la situation sécuritaire dans les régions anglophones est critique et de nombreux citoyens sont en prison, accusés de terrorisme. Nombre d’entre eux vont passer devant des tribunaux militaires, qui ne garantissent pas la tenue de procès équitables et qui sont susceptibles de prononcer la peine de mort.
NOURRIR LES EXTRÉMISMES
En plus de définir de manière très large le terrorisme, la loi de décembre 2014 ne précise pas ce qu’est son « apologie ». De fait, des paroles ou des écrits publics sont facilement considérés comme tel. Plusieurs journalistes, ainsi que des défenseurs des droits de l’homme camerounais et étrangers, ont été intimidés pour avoir été présents dans le Nord du pays ou pour avoir voulu enquêter sur des sujets relatifs aux droits de l’homme dans le cadre de la lutte contre Boko Haram. Lorsque la crise dans les régions anglophones a commencé, les mêmes pressions se sont exercées sur ces professions qui pratiquent de plus en plus l’autocensure sur les sujets politiquement délicats, pour se protéger de la justice. Un jeune qui fait une blague sur Boko Haram, un journaliste qui fait son travail de manière indépendante ou un citoyen qui manifeste pour le respect de ses libertés fondamentales :aujourd’hui au Cameroun, tout le monde risque d’être considéré comme un terroriste et jugé comme tel. Alors que le pays connait des crises politiques régionales majeures dans plusieurs de ses périphéries, le régime de Paul Biya a choisi l’option de la répression. Tant pis si cette répression massive et indiscriminée favorise le développement des extrémismes, qui étaient au départ largement minoritaires. D’autant que la détérioration de la situation est surtout la conséquence directe d’un désengagement de l’État dans le développement des régions, où les autorités ne cherchent plus à répondre aux besoins primaires des populations. À mesure que se rapproche l’échéance de l’élection présidentielle de novembre 2018, à laquelle Paul Biya devrait se présenter, les voix dissidentes risquent donc de rappeler l’État à ses obligations. Et la loi antiterroriste d’être encore plus instrumentalisée.
Texte: Clément Boursin, responsable des programme Afrique à l'Acat
Retrouvez cet article dans le numéro 4 d'Humains
Les risques de la loi antiterroriste
De multiples mesures sont dangereuses pour les droits de l’homme et la démocratie :
- La peine de mort est prévue pour tout « acte ou menace d’acte susceptible de causer la mort, de mettre en danger l’intégrité physique, d’occasionner des dommages corporels ou matériels, des dommages aux ressources naturelles à l’environnement ou au patrimoine culturel », pour ceux qui financent des «actes de terrorisme», blanchissent des produits relevant des «actes de terrorisme » et ceux qui recrutent et forment des personnes en vue de leur participation à de tels actes.
- Les droits de la personne arrêtée pour terrorisme sont restreints : la loi prévoit une garde à vue de 15 jours, renouvelable indéfiniment sur simple autorisation gouvernementale et pour laquelle la possibilité d’avoir accès à un avocat n’est pas mentionnée.
- Compétence exclusive du tribunal militaire pour juger les personnes soupçonnées de terrorisme
- Lorsque la sentence tombe, il n’y a pas d’appel possible.
- Des peines allant de 15 à 20 ans d’emprisonnement et une amende de 25 à 50 millions de francs CFA (38 000 à 76 000 euros) pour « apologie du terrorisme », expression qui n’est par ailleurs pas définie dans la loi