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Actualité

Afrique : la chute du régime ... Et après ?

Une fois l’alternance démocratique obtenue, quelles missions et quel rôle 
pour les mouvements de jeunes pro-démocratie ?
Flickr-Oxfam-East-Africa

« Ce n’est pas parce qu’on obtient l’alternance que la démocratie est mise en place. » Tel est le constat de Laurent Duarte, coordinateur de la campagne Tournons la page qui promeut l’alternance démocratique en Afrique. Il est vrai qu’une fois l’alternance obtenue, le nouvel enjeu pour les mouvements citoyens de jeunes, qui bouleversent les codes de la mobilisation en Afrique subsaharienne depuis presque dix ans, est d’impulser un changement politique qui permette, par la suite, d’aller vers une transformation globale du système. Fondateur du mouvement Filimbi, créé en 2015 en République démocratique du Congo (RDC), Floribert Anzuluni en est convaincu : « Filimbi n’est pas né pour uniquement chasser Kabila du pouvoir. L’alternance n’est qu’une étape pour atteindre les objectifs globaux des mouvements, qui veulent changer le quotidien des citoyens africains. L’alternance n’est qu’un moyen pour y arriver. »

Mais il semble que cela soit plus facile à dire qu’à faire. Les expériences de  Y’en a marre au Sénégal, qui a obtenu la défaite du président Abdoulaye Wade en 2012, et du Balai citoyen au Burkina Faso, à l’origine de la chute de Blaise Compaoré en 2014, en sont la preuve. Sur le terrain, le départ de ces deux présidents n’a pas concrètement changé le quotidien des populations. Les mouvements citoyens, quant à eux, se sont essoufflés. « Les élections attirent les médias, créent un engouement et cristallisent les passions, continue Laurent Duarte. Une fois sorti de ce cadre-là, il est plus difficile de mobiliser. » D’autant qu’après des mois de manifestations marqués par des menaces, voire de la répression, à l’égard des activistes et de leurs proches, les mouvements et leurs responsables se sont naturellement relâchés.

La tentation du politique

La question se pose de savoir quelle posture adopter une fois l’alternance obtenue. Au Sénégal, Y’en a marre s’est d’emblée positionné en tant que sentinelle de la démocratie, dans un contexte où le nouveau président, Macky Sall, avait conquis le pouvoir par les urnes. Au Burkina Faso, la situation était différente puisque Blaise Compaoré a quitté le pouvoir sous la pression de la rue en confiant la transition démocratique aux militaires. Contrairement aux acteurs de  Y’en a marre, les activistes du Balai citoyen ont choisi de se concentrer sur des revendications moins ancrées dans le quotidien, en demandant vérité et justice sur l’assassinat de Thomas Sankara. « Au vue de l’histoire du Burkina Faso, la posture du Balai citoyen est légitime, précise Laurent Duarte. Mais de fait, ils donnent l’impression de moins se projeter comme une force citoyenne pour l’avenir. »

Autre question : doivent-ils se penser comme des alternatives politiques partisanes, prêtes à participer au jeu électoral ? La question fait aujourd’hui débat au sein de la quasi-totalité des mouvements. En Guinée, l’artiste engagé Elie Kamano, détenu quelques jours en juillet dernier après avoir été arrêté lors d’une manifestation interdite, a affirmé au micro de Radio France internationale (RFI) en mai 2017 « être candidat aux futures élections communales ». Pour Laurent Duarte, « la deuxième étape est de légiférer et pour cela, il faut être aux postes de pouvoir, qu’on le veuille ou non ». Du côté de Filimbi, Floribert Anzuluni met au contraire en garde sur la nécessité pour les mouvements citoyens de rester non partisans afin de conserver leur indépendance et d’être des vigies des démocraties : « Il ne faudrait surtout pas transformer les mouvements citoyens en mouvements politiques. » Il reconnaît toutefois qu’ « il faut travailler à l’émergence d’alternatives politiques qui auraient les mêmes fondements que les alternatives citoyennes ».

Tensions financières

Ces mouvements doivent dans tous les cas continuer à s’intéresser directement au quotidien des populations. Car c’est avant tout en réclamant une meilleure gouvernance sur les coupures d’électricité, l’accès à l’eau, la corruption ou encore sur l’éducation qu’ils ont réussi, dès le départ, à mobiliser et à maintenir un engouement populaire. « Construire ces revendications, qui vont au-delà de l’alternance, demande un énorme travail de mobilisation citoyenne, de sensibilisation et de réflexion qui est peut-être l’étape la plus compliquée », détaille Laurent Duarte. Surtout, parce que ce travail se fait sur le long terme et qu’il est souvent invisible aux yeux des médias. Il demande aussi des compétences, des moyens logistiques et de l’argent. C’est l’un des défis qu’ont dû relever les activistes de Filimbi lorsqu’ils ont déployé une nouvelle antenne à Goma, située à plus de 2 500 km de la capitale Kinshasa : « Si vous voulez que des activistes aillent en former d’autres à Goma, il faut qu’ils payent leur billet, qu’ils aient un minimum de ressources pour se loger et se nourrir. » Cet enjeu est d’autant plus primordial que les régimes en place empêchent les mouvements de trouver des ressources et tentent ainsi de bloquer leur développement.

« Selon moi, la tension viendra de la question financière », précise Laurent Duarte. Car si les mouvements citoyens sont contraints de se tourner vers les instances internationales, du côté par exemple des Nations unies ou de l’Union européenne, cela pourrait les faire basculer dans une institutionnalisation et une plus forte hiérarchisation de leur organisation. Au risque de perdre un peu de leur âme et de leur fonctionnement démocratique ? Leur avenir dépendra, dans tous les cas, des réponses apportées à ces questions. « Sans ça, nous balaierons le pouvoir, mais la poussière et la saleté reviendront, conclue Floribert Anzuluni. Jusqu’au jour où les gens seront fatigués de balayer. » Fatigués d’avoir trop attendu un véritable changement de société.


Par Anna Demontis, chargée de projet éditorial à l'ACAT

Article issu du dossier « Afrique : jeunes et indignés », du Humains n°03