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Actualité

« L’essence humaine commune se révèle dans la fragilité »

Parce qu’elle suppose que tous les êtres humains sont les mêmes, partout, la notion d’ « homme universel » est l’un des fondements de l’universalité des droits de l’homme. Éléments de définition avec Marcel Rémon, père jésuite et directeur du Centre de recherche et d’actions sociales (CERAS).
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Qu’est-ce que l’« homme universel » ?

C’est une idée universelle de l’homme qui s’appliquerait partout. En faire un concept pose néanmoins problème. Quand on s’interroge sur les caractéristiques communes à tous les hommes, on réfléchit à partir de positions enracinées dans des cultures idéologiques très précises, dont la culture européenne occidentale où sont nés les droits de l’homme et la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH). À partir de là, émerge un relativisme de la question des droits de l’homme et de leur universalité. C’est pourquoi l’auteur Francois Jullien propose de définir l’universel par la négativité, c’est-à-dire par ce qui est, partout, intolérable. Quand on voit la crise des réfugiés, par exemple la photo d’un enfant qui meurt sur la grève, c’est intolérable. On ne se pose pas la question de savoir si cet enfant est un humain, on a une sorte de réaction de dire « non ». C’est ce « non » à l’intolérable qui est universel.

Y a-t-il une essence humaine qui transcende les différences entre les individus ?

Il y a une essence humaine, mais elle n’est pas donnée a priori. On n’est pas automatiquement en fraternité avec tous les hommes et on ne se reconnait pas systématiquement en tant que frère avec chacun. Cette essence humaine commune se révèle dans la fragilité. Lorsque l’on est ensemble dans la souffrance, dans le malheur, dans la tragédie, dans une situation de guerre ou de crise humanitaire, l’humanité jaillit dans la fraternité de la solidarité parce qu’on se rend compte qu’on est comme tout le monde, fragile et désemparé.

Comment relie-t-on cela aux droits de l’homme ?

La force des droits de l’homme et de la DUDH réside dans le fait que ce sont des droits qui défendent les plus fragiles. Ils représentent le minimum nécessaire pour pouvoir rester « homme » dans la crise et dans le malheur. C’est cela qui fait leur universalité. Si l’on n’a pas de quoi manger, de quoi boire, de quoi se vêtir, de quoi s’éduquer, on perd son humanité. Il faut donc garantir certains droits qui nous protègent et nous permettent de conserver notre humanité. De même, si on accepte qu’une partie des humains deviennent des objets ou des esclaves, c’est toute l’humanité qui perd une partie d’elle-même. Donc, les droits de l’homme sont aussi les droits de l’humanité, qui doit se battre pour que chaque homme reste homme et puisse le devenir de plus en plus.

En quoi la dignité est-elle fondamentale ?

Si certaines actions ou paroles rabaissent une personne à un niveau infra-humain, c’est-à-dire qu’elle n’arrive plus à se considérer comme un être humain, cette personne perd sa dignité. À cet égard, humanité et dignité vont de pair et toute action dirigée contre la dignité est une action dirigée contre l’humanité.

Comment défendre cette idée d’homme universel dans un monde où les hommes sont catégorisés de façon à ce qu’ils n’aient pas les mêmes droits ? N’est-ce pas utopique ?

Ce n’est pas du tout utopique. Il y a l’indignation première qui consiste à dire « ce n’est pas possible ». Certes, chaque société, chaque pays, chaque juridiction a différentes manières de protéger les droits ou de les écrire, mais cela n’empêche pas que, partout, les personnes scandalisées par des traitements qu’elles considèrent comme inhumains sont appelées à se battre. Les droits de l’homme, c’est aussi se battre pour ne pas perdre sa propre indignation.

 

A retrouver dans le  numéro 4 d'Humains !