« J’AI REFUSÉ DE LAISSER LA CONDAMNATION À MORT DÉTERMINER MON FUTUR »
Comment avez-vous été condamnée à mort ?
SUSAN KIGULA : J’ai passé seize ans dans les couloirs de la mort en Ouganda, pour un crime que je n’ai pas commis. J’avais 20 ans quand j’ai été arrêtée et mise en prison. Je vivais alors avec le père de ma fille, qui était âgée de un an à l’époque. Un soir, alors que mon compagnon venait de rentrer à la maison, nous avons dîné et nous nous sommes couchés. Plus tard dans la nuit, nous avons été attaqués par des assaillants inconnus, qui ont fait irruption chez nous vers 3h du matin. J’ai été réveillée par un objet pointu sur mon cou et j’ai réalisé que mon mari n’était plus dans le lit. Il était couché, gémissant et saignant au cou. J’ai moi aussi été gravement blessée à la nuque. Je saignais abondamment. Le père de mon enfant, lui, était en train de mourir. Des voisins m’ont emmenée à l’hôpital. Trois jour après l’enterrement, j’étais dans un état critique, je ne pouvais plus marcher sans être aidée. C’est là qu’un policier est venu m’arrêter. Ils me soupçonnaient d’avoir tué mon compagnon. Pendant deux mois, je suis restée au poste de police, où on m’a donné des médicaments. Lorsque j’ai pu marcher, j’ai été accusée de meurtre et envoyée en prison. Deux ans plus tard, j’ai été traduite en justice et après que de faux témoins ont avancé de fausses preuves contre moi, le juge m’a reconnue coupable et m’a condamnée à mort.
Pouvez-vous décrire vos conditions de détention ?
S.K. : J’étais atteinte du syndrome du couloir de la mort, qui survient lorsque l’on attend la mort tous les jours, sans savoir quand l’on viendra vous chercher pour vous conduire à la potence [ce syndrome se traduit par un état de stress posttraumatique, qui atteint son paroxysme lorsque le condamné abandonne toute procédure d'appel afin d'abréger ses souffrances. Il est considéré par plusieurs instances juridiques comme un traitement inhumain et dégradant, ndlr]. C’est une situation très effrayante, épouvantable. Nous avions de petits seaux qui servaient de toilettes et qui étaient placés dans de très petites pièces. Nous les partagions avec quatre ou cinq personnes. Les condamnés à mort étaient placés à l’isolement et n’avaient pas le droit de se mêler aux autres prisonniers, sauf pour assister aux prières.
Comment avez-vous vécu l'injustice dont vous étiez victime ?
S.K. : Pour ma part, je connaissais mes droits. Je savais que j’étais victime d’une injustice, je savais que je ne devais pas être condamnée à mort. En prison, je me suis rendu compte qu’il y avait beaucoup de femmes victimes d’injustice. J’ai été révoltée par cette situation. Nous vivions toutes dans la peur, sans savoir ce qui allait nous arriver le lendemain ou ce qui pouvait se passer si nous mourrions en prison. J’ai alors réalisé que j’avais besoin d’aider ces femmes. Ma conscience était très claire : je ne suis pas une criminelle, je ne l’ai jamais été et je ne le serai jamais. J’ai donc refusé de laisser cette condamnation à mort déterminer mon futur.
Vous avez donc étudié en prison ?
S.K. : Oui, j’ai fait le choix d’entretenir de bonnes relations avec le personnel pénitentiaire et j’ai demandé à la direction de créer une école au sein de la prison. Je voulais prendre le contrôle de moi-même au sein de ces murs, mais c’était aussi une manière d’avoir une « vraie vie » même en étant incarcérée. J’ai réalisé qu’un certain nombre des femmes condamnées avaient à peine compris la procédure des procès, simplement parce qu’elles ne comprenaient pas l’anglais et étaient analphabètes. Les traductions du tribunal n’étaient pas claires pour elles. L’administration de la prison a donné son autorisation et a ouvert une école en prison. Avant ma condamnation, je n’avais pas fini le lycée. C’est pourquoi j’ai commencé au niveau 8 [ce qui correspond plus ou moins à la dernière année du collège en France, ndlr] et je suis allée jusqu’aux études supérieures.
Ensuite, vous avez choisi d’étudier le droit. Pourquoi ?
S.K. : J’ai rencontré Alexander Mcleen, directeur du programme African Prisons Project, qui m’a proposé une bourse pour étudier le droit. Mais je détestais cela. Je me souviens qu’il m’a dit « si tu étudies le droit tu pourras t’aider toi-même et aider les autres face aux injustices, non seulement dans ton pays mais aussi dans le monde entier ». Cela m’a surprise. Puis, il a ajouté : « Cela peut commencer avec toi. » Ces mots ont changé ma vie pour toujours. J’ai travaillé dur, avec détermination, persévérance et un travail acharné. Aujourd’hui, je suis avocate et je suis fière de vous dire que je suis diplômée de l’université de Londres [Susan Kigula a suivi le même programme externe de l’université de Londres que Nelson Mandela et a obtenu le titre de Bachelor of Laws, diplôme universitaire de premier cycle dans les pays anglophones, ndlr].
Qu’est-ce que cela fait d’être condamné à mort ?
S.K. : C’est horrible, c’est même l’expérience la plus effrayante que j’ai pu vivre. Si vous voyez une voiture rouler vers vous, vous pouvez toujours courir pour vous échapper. Mais quand vous êtes condamné à mort, votre destin c’est d’être pendu. C’est sans espoir : ils viennent, vous prennent et vous tuent. C’est tellement effrayant.
Comment avez-vous gardé espoir ?
S.K. : Croire en Dieu m’a donné beaucoup d’espoir et de courage. J’espérais aussi revoir un jour ma fille en tant que mèrelibre. Mon innocence, enfin, m’a donnée suffisamment d’énergie pour soutenir les autres et changer leur vie de manière positive. En voyant toutes ces femmes lutter pour leur vie en prison, qui criaient pour leurs enfants qu’elles avaient laissé derrière elles, j’ai ressenti le besoin de les aider.
Vous dites que l'éducation est fondamentale. Pourquoi ?
S.K. : Nelson Mandela disait « l’éducation est l’arme la plus puissante que l’on puisse utiliser pour apporter de la justice dans ce monde ». Grâce à l’éducation, vous apprenez à vous battre pour vos droits, mais aussi pour les droits des autres. L’éducation élève les gens, leur donne accès à l’information et leur permet de discuter des problèmes avec clairvoyance. Mais surtout, l’éducation permet de comprendre ce qui se passe dans le monde et d'aider au mieux ceux qui n’y ont pas accès.
Propos recueillis par Anna Demontis, chargée de projet éditorial
Article issu du Humains n°07