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Là où il y a une forte densité carcérale, les droits humains reculent

La surpopulation carcérale est un phénomène chronique en France. Avec un taux d’occupation moyen de 122%, les prisons françaises occupent le bas du classement européen. Derrière ces chiffres se cachent des abus, des violations des droits humains et des traitements cruels, inhumains et dégradants comme l’a souvent dénoncé l’ACAT-France. Des solutions existent, comme un mécanisme contraignant de régulation carcérale.
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Analyse par Emilie Schmidt, responsable Programmes et plaidoyer France Sûreté et libertés de l'ACAT-France.

Au 1er octobre 2023 les prisons françaises dénombraient 74 342 détenus pour 60 850 places opérationnelles, soit un taux d’occupation de plus de 122% sur tout le parc carcéral français. Mauvaise élève parmi les pays européens, la France se trouvait à la 45ème place, devant Chypre et la Roumanie, en ce qui concerne sa densité carcérale pour l’année 2022. 

La surpopulation carcérale est un problème chronique en France. Elle a des conséquences néfastes sur les conditions de détention et sur « l’après-détention ». C’est ainsi qu’on dénombrait aussi 2480 matelas au sol. Derrière ces chiffres, ce sont 2480 personnes qui ne disposaient pas de lit et dormaient à même le sol dans des cellules surpeuplées de 9m² alors même que le principe d’encellulement individuel est inscrit à l’article 100 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009. 

La surpopulation carcérale, source de traitements cruels, inhumains et dégradants

Au-delà des statistiques, la surpopulation carcérale a des effets néfastes sur la vie des détenus. Les personnes détenues doivent souvent rester plus de 20h sur 24 dans des cellules surpeuplées, où l’espace dont chacun dispose est parfois inférieur à 1m². 

Une majeure partie des cellules sont vétustes, il est courant d’y voir des rats, des puces et des punaises de lit. Le chauffage ne fonctionne pas, il fait donc froid en hiver et très chaud en été. L’accès aux sanitaires est également limité, lorsqu’ils ne se trouvent pas au sein même des cellules, obligeant à s’y rendre sous le regard de ses codétenus. 

Cette promiscuité nuit totalement à l’intimité et crée de vives tensions entre détenus. La sécurité des personnes détenues n’est ainsi plus assurée, comme celle du personnel pénitentiaire qui est submergé. Les déplacements sont limités. 

Lire notre communiqué de presse : « Surpopulation carcérale : seul contre tous, le gouvernement s'oppose à une solution d'urgence »

Dans un tel contexte, la participation à des ateliers, à des formations ou à l’emploi pendant la détention devient difficile, voire impossible. Être accompagné par un conseiller pénitentiaire d’insertion et de probation (CPIP) pour préparer sa sortie devient un privilège inaccessible alors que ce suivi est indispensable pour une réinsertion réussie. L’accès aux soins est également plus difficile.

Un fonctionnement global dégradé se pérennise et finit donc par devenir la norme. 

La France a déjà été condamnée à cause de la surpopulation carcérale !

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Ces conditions indignes de détention ont valu plusieurs condamnations de la France tant au niveau international qu’au niveau interne.

Déjà en 2019, le Comité européen pour la prévention de la torture (CPT) avait visité des établissements pénitentiaires français et s’était dit vivement préoccupé par les conditions matérielles de détention et la surpopulation carcérale en France. Le CPT avait appelé les autorités françaises à prendre des mesures urgentes pour que chaque personne dispose d’un lit et d’un   espace vital en cellule collective d’au moins 4 m², à adopter une stratégie globale destinée à réduire la population carcérale et à prévenir la violence entre personnes détenues. 

En janvier 2020, la Cour européenne des droits de l’homme avait également ordonné à la France de mettre fin au problème de surpopulation dans ses prisons et aux conditions de détention dégradantes qui en découlent. La Cour a reconnu que la France violait l’article 3 de la Convention interdisant les traitements inhumains ou dégradants. Elle a donné droit aux détenus à l’origine de cette requête car ils disposaient d’un espace inférieur à la norme minimale requise de 3m². Cette situation était aggravée par l’absence d’intimité avec l’utilisation des toilettes dans la cellule même. La Cour européenne des droits de l’homme pointait du doigt de façon générale l’absence de conditions de détention décentes, l’absence de liberté de circulation et des activités hors des cellules insuffisantes. 

Malgré des condamnations et les relances du Comité des ministres, organe de contrôle de l’exécution des décisions de la CEDH, la France n’a toujours pas remédié au problème chronique de la surpopulation carcérale. La réponse apportée par le Gouvernement au problème de la surpopulation carcérale reste la même depuis des années : la création de nouvelles places de prison.

Un argument décevant. Tout d’abord, car ces annonces ne sont que rarement suivies de constructions effectives. Mais surtout, car la création de nouvelles places ne permet pas de remédier à la pression carcérale. Au contraire, des lois pénales de plus en plus répressives s’ajoutent à une sévérité accrue des juges, ce qui crée une surpopulation importante dans de nombreuses maisons d’arrêt. 

À l’évidence, cette surpopulation entrave les maigres efforts de l’administration pénitentiaire pour préparer la sortie des personnes détenues et les réinsérer efficacement ce qui génère des taux de récidive impressionnants  ...et donc encore plus de peines de prison, toujours plus lourdes pour les récidivistes. La surpopulation carcérale devient un cercle vicieux dont il est difficile de sortir. 

Il est pourtant nécessaire de rappeler que la peine n’est pas une simple sanction, elle doit favoriser la réinsertion et réduire la récidive !

Un nouveau pouvoir aux juges pour mieux préparer la sortie et réduire la récidive

Un système de régulation carcérale doit être mis en place avec l’objectif à long terme de ne plus dépasser les 100% d’occupation carcérale.

Un nouveau pouvoir serait accordé aux juges de la liberté et de la détention :  si aucune place n’est disponible alors qu’un nouveau détenu doit entrer en détention, un autre détenu devra voir sa peine aménagée, à partir de critères comme le temps restant à purger.

Cette initiative a déjà existé en France !

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Une telle initiative a pourtant pu être mise en œuvre pendant l’épidémie de Covid-19. En quelques mois (de mars à septembre 2020) pour des raisons sanitaires évidentes, le nombre de détenus a diminué de plus de 12 000 personnes et le taux d’occupation global des prisons françaises est brièvement tombé en dessous de 100%, sauf dans les maisons d’arrêt. 

Ainsi, les détenus dont le reliquat de peine était inférieur à 2 mois, ont vu leur peine être automatiquement aménagée. L’efficacité des mesures et leur immédiateté ont prouvé qu’il était possible avec un peu de volonté politique de réduire significativement la population carcérale. 

Mais d’autres moyens à plus long terme seront nécessaires pour réduire la surpopulation carcérale. L’idée est très répandue que plus une peine est sévère, plus elle est dissuasive. Pourtant, cela part d’un postulat erroné. Les statistiques et les travaux de recherche en France et à l’étranger n’ont jamais pu démontrer que l’éventualité d’une peine d’emprisonnement serait plus dissuasive qu’une peine moins sévère. 

La prison est souvent perçue à défaut, comme la seule solution pour protéger la société. C’est oublier que toute personne détenue a vocation à sortir un jour de prison. Vouloir enfermer et mettre « hors d’état de nuire », sans questionner l’après, relève d’une vision à court-terme.

La question de la réinsertion et de la réhabilitation des personnes détenues est en réalité tout aussi essentielle pour protéger la société. Et pour cela, il existe en France des sanctions pénales alternatives à l’emprisonnement (sursis, détention à domicile sous surveillance électronique, travail d’intérêt général, stages etc.). Les peines de prison peuvent être aménagées et s’effectuer en partie à l’extérieur (libération conditionnelle, semi-liberté, placement à l’extérieur).

Ces mesures non privatives de liberté sont souvent perçues comme des faveurs accordées aux personnes condamnées et ne sont pas reconnues comme de vraies peines. Il s’agit pourtant de réelles sanctions, accompagnées de mesures de contrôle et de contrainte. Elles visent à sanctionner l’infraction de façon plus pertinente, elles permettent une meilleure réinsertion et réduisent donc le risque de récidive. La sanction est ainsi conçue dans le but d’amener l’auteur à corriger son comportement et éviter un nouvel acte de délinquance. 

Souvent, une peine alternative remplit mieux les objectifs visés qu’une peine d’emprisonnement. 

Ces mesures permettent à la personne détenue de se réinsérer dans la société, d’assister à des formations en dehors de la maison d’arrêt ou de bénéficier d’un emploi dès sa sortie. Pourtant ces alternatives ne sont que peu privilégiées par les juges. La sortie ayant été préparée en amont, le risque de récidive est drastiquement réduit, ce qui par ricochet participe à la réduction de la surpopulation carcérale.

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