EPU : 27 recommandations adressées à la France sur le maintien de l'ordre
Texte par Emilie Schmidt, responsable Programmes et plaidoyer Sûreté et libertés France de l'ACAT-France.
Parmi les 355 recommandations adressées à la France, la question des discriminations raciales arrive en tête avec plus de 50 recommandations suivie par celle en lien avec les forces de l’ordre. Parmi ces dernières, 27 rejoignent les recommandations faites par l’ACAT-France : repenser la doctrine du maintien de l’ordre, mettre fin à l’usage excessif de la force, mener des enquêtes impartiales et indépendantes en cas d’allégations d’usage illégal de la force sont les sujets inquiétants majoritairement les États membres.
« Réconcilier les politiques de maintien de l’ordre et les libertés fondamentales »
La recommandation n°137 faite par le Liban traduit une inquiétude globale quant à l’usage excessif de la force par les policiers français ces dernières années. La Suisse a aussi pu recommander à la France de faire évoluer sa doctrine policière autour de la notion de « désescalade de la violence » afin de garantir les libertés fondamentales d’expression et de rassemblement des manifestants français.
Si le contexte social dans lequel se trouve la France a favorisé la rédaction de telles recommandations, il est nécessaire d’aller au-delà et de repenser en profondeur les pratiques policières, les techniques et armement utilisés ainsi que le contrôle de l’activité des forces de l’ordre afin de les rendre plus respectueux des droits humains.
« Repenser la politique du maintien de l’ordre afin d’éviter l’usage excessif de la force pendant les manifestations »
Le Luxembourg, parmi de nombreux autres États, recommande à la France de repenser sa politique du maintien de l’ordre afin d’éviter tout usage disproportionné de la force. Pour cela, il est nécessaire de privilégier la communication et l’échange avec les manifestants.
➡️ Comme le recommande la Norvège, spécialiste de cette doctrine, le concept de « désescalade » doit être immédiatement incorporé à la pratique policière.
Plutôt que de répondre à la violence par la violence, il est important de créer des agents de liaison spécialement formés à la communication et à la gestion des conflits afin de faciliter la communication entre les différentes parties prenantes de la manifestation dans un esprit de dialogue et de facilitation de celle-ci.
➡️ L’armement et les techniques utilisés en manifestations doivent également être révisés.
Depuis 2016 et la sortie de son premier rapport, l’ACAT-France demande l’interdiction des lanceurs de balle de défense dans le contexte de maintien de l’ordre ainsi que des grenades à main de désencerclement et grenades lacrymogènes : des armes, légalement catégorisées comme des armes de guerre par la loi française, utilisées contre des manifestants et causant de graves blessures voire même parfois la mort.
Les techniques telles que la nasse par exemple doivent également être abandonnées ou à défaut, strictement encadrées afin d’en limiter l’usage, d’interdire l’utilisation de gaz lacrymogènes à l’encontre de manifestants encerclés ainsi que de permettre à ces derniers de sortir de la nasse à tout moment.
« Examiner tous les cas d’usage excessif de la force par les forces de l’ordre »
L’impunité est devenue la règle lorsque l’on parle d’usage disproportionné de la force par les forces de l’ordre. Il est primordial de mettre un terme à cette impunité policière. Pour cela, il est nécessaire d’examiner tout signalement d’usage illégal de la force, comme le recommande l’Angola notamment.
➡️ Ces enquêtes doivent être indépendantes et effectives comme le recommande le Liechtenstein notamment. Ce qui n’est pas le cas actuellement.
En effet, les enquêtes en cas d’usage excessif de la force sont déléguées dans la majeure partie des cas, à des services d’inspection interne ou aux services de gendarmerie et de police eux-mêmes, ce qui pose un réel problème d’indépendance.
➡️ Les enquêtes, lorsqu’elles aboutissent, doivent également mener à des poursuites et des sanctions disciplinaires et condamnations proportionnées à la gravité de l’acte reproché afin de dissuader les agents de commettre de tels actes.
Aujourd’hui, les affaires mettant en cause un usage illégal de la force n’aboutissent que rarement à des condamnations. Comme le précise la recommandation malaisienne, il est absolument nécessaire que les agents coupables d’actes illégaux répondent de leurs actes devant la justice afin de mettre un terme à cette impunité grandissante.
« Mettre en place une formation continue sur la gestion des foules respectant les libertés d’expression et de rassemblement »
➡️ Au-delà même de la mise en place d’une formation continue sur la gestion des foules recommandée par la Slovénie, il est absolument nécessaire que les seuls corps mobilisés pour intervenir lors des manifestations soient des corps formés et spécialisés dans la gestion des foules et le maintien de l’ordre.
Or, en l’espèce, les brigades anti-criminalité (BAC) ou brigades de répression de l’action violente (BRAV) que l’on retrouve bien souvent mobilisés sur ce genre d’évènements ne sont pas formées pour cette matière. Ces corps ne sont pas ou peu formés à l’usage d’armes spécifiques au maintien de l’ordre telles que les grenades. Des armes extrêmement dangereuses qui, mal utilisées, peuvent commettre des dommages corporels et psychiques irréparables. Il est donc absolument nécessaire de s’assurer de la parfaite connaissance des doctrines d’utilisation des armes de chaque agent intervenant en contexte de manifestation.
➡️ Enfin, comme le recommande l’Égypte notamment, les forces de l’ordre devraient être sensibilisées aux questions afférant aux droits humains et notamment à l’adéquation des pratiques policières et du respect des libertés fondamentales.