Birmanie : deux ans après le coup d’État, la société civile à l’agonie
Analyse par Diane Fogelamn, responsable Programmes et plaidoyer Asie de l'ACAT-France.
Le 1er février 2021, quelques mois après les élections législatives remportées par la Ligne nationale pour la démocratie (LND) – le parti à la tête du pays depuis 2015 – la junte militaire birmane, qui contestait ce résultat, a mené un coup d’État pour s’emparer du pouvoir. Deux ans après, en janvier 2023, l’arbitraire et la violence règnent. La junte impose sa loi martiale. Apogée de cette violence : en 2022, les exécutions capitales ont repris dans le pays. À cet égard, l’ACAT-France appelle à la suspension de tout projet d’exécution en Birmanie[1], à la commutation des peines de mort qui ont été prononcées et à l’instauration d’un moratoire sur la peine de mort.
Les populations civiles, victimes de violations massives et systématiques des droits humains
Depuis le coup d’État de février 2021, l’ONG locale Assistance Association for Political Prisoners (AAPP) a comptabilisé 17404 arrestations de prisonniers politiques, 13619 toujours détenus et 2796 qui ont été tués par la junte lors de répressions organisées suite à des mouvements pro-démocratie[2]. Selon cette ONG, un prisonnier politique englobe « toute personne arrêtée, détenue ou emprisonnée à cause de son rôle perçu ou connu, son soutien perçu ou connu, ou son association, avec des activités de promotion de la liberté, de la justice, de l’égalité, des droits humains – dont les droits des minorités – en lien avec le mouvement pro-démocratie ».
Nombreuses sont les exactions commises par la junte contre les populations civiles : tueries de masse, arrestations et détentions arbitraires, pratique de la torture, recours aux violences sexuelles, attaques dans des zones de conflits, persécution systématique des membres de la minorité rohingya… Le Mécanisme d’enquête indépendant pour le Myanmar, créé en septembre 2018 par le Conseil des droits de l’homme de l’ONU pour recueillir des éléments de preuve attestant de la commission de crimes internationaux les plus graves et de violation du droit international, a déclaré en octobre 2022 qu’il existait « un nombre croissant d’éléments indiquant que les crimes de guerres et les crimes contre l’humanité s’intensifient » en Birmanie[3]. Ce constat souligne la situation extrêmement préoccupante des droits humains dans le pays.
La reprise des exécutions capitales comme outil politique de répression de l’opposition
En outre, en juillet 2022, l’armée a procédé à quatre exécutions d’opposants politiques, une première en trente ans environ[4] : jusqu’alors, le pays était considéré comme abolitionniste de fait. D’autres condamnations ont été prononcées depuis. À la date du 2 décembre 2022, l’ONU estimait que, depuis le coup d’État, plus de 130 personnes avaient été condamnées à mort par des tribunaux militaires[5]. L’AAPP fait quant à elle état de 143 condamnations à mort à ce jour[6].
Il se pourrait que ces chiffres soient en-dessous de la réalité : cette évaluation se heurte au secret et à l’opacité de ces procédures, d’autant que ces condamnations sont prononcées à l’issue de procès injustes et sommaires, en violation des standards internationaux sur le procès équitable. La peine de mort est utilisée par la junte comme outil de persécution, d’intimidation et de harcèlement de tous ceux qui osent s’opposer aux autorités.
À l’échelle internationale, la Birmanie n’a pris aucun engagement sur la question de la peine de mort. L’État n’a pas signé le Pacte international sur les droits civils et politiques (PIDCP), ni le deuxième protocole facultatif s’y rapportant, lequel vise spécifiquement à abolir la peine de mort. En ce qui concerne plus largement la torture, la Birmanie n’a pas signé la Convention contre la Torture. Toutefois, le 15 décembre 2022, à contre-courant de cette absence d’engagement, la Birmanie a voté pour la première fois en faveur d’un moratoire sur la peine de mort lors du vote pour la 9ème résolution pour un moratoire sur la peine de mort alors qu’elle s’était précédemment abstenue. Une prise de position à considérer toutefois avec prudence, en ce qu’elle pourrait être seulement l’expression d’une manœuvre diplomatique ou politique sans conséquence sur le recours à la peine de mort dans le pays.
La responsabilité cruciale de l’ensemble de la communauté internationale
De nombreux États et organisations internationales ont régulièrement condamné les violences et la terreur exercée par la junte envers le peuple birman. Le 21 décembre 2022, le Conseil de sécurité des Nations-Unies a même adopté, pour la première fois, une résolution importante sur le Myanmar exigeant « l’arrêt immédiat de toutes les formes de violence » dans l’ensemble du pays, demandant instamment à l’armée de « libérer immédiatement toutes les personnes détenues arbitrairement » et encourageant la communauté internationale « à soutenir la mise en œuvre du consensus en cinq points établi le 24 avril 2021 par l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN) » dont la Birmanie est membre[7]. Sur ce dernier point, cette résolution fait référence au consensus en cinq points adopté par l’ASEAN sur la crise en Birmanie, afin de faire cesser les violations des droits humains dans le pays, en cohérence avec les principes et engagements de cette union. Ceux-ci exigent : « l’arrêt immédiat des violences dans le pays ; la retenue ; la mise en œuvre d’un dialogue constructif entre toutes les parties concernées pour rechercher des solutions pacifiques, la nomination d’un envoyé spécial du président de l’ASEAN pour servir de médiateur afin de promouvoir le processus de dialogue et la fourniture d’aide humanitaire au peuple du Myanmar par l’intermédiaire du Centre de coordination de l’aide humanitaire de l’ASEAN »[8]. La junte n’en a respecté aucun : ni les condamnations répétées, ni les déclarations des Nations-Unies, ni les engagements pris avec d’autres États ne l’arrêtent.
En conclusion, en fin d’année 2022, le Secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, a déclaré que la communauté internationale avait « échoué » en Birmanie[9]. Le 22 décembre 2022 le Rapporteur spécial de l’ONU sur la situation des droits de l’homme au Myanmar a préconisé, au lendemain de l’adoption de la résolution du Conseil de sécurité des Nations unies susmentionnée, « des options viables pour les Etats membres qui sont prêts à faire face à cet échec, y compris la coordination des sanctions, la coupure du flux de revenus qui finance les assauts militaires de la junte, un embargo sur les armes et les technologies à double usage et une aide humanitaire robuste qui peut atteindre ceux qui en ont le plus besoin, entre autres mesures », soulignant l’importance de « la volonté politique de les mettre en œuvre »[10].
Deux ans après le coup d’État de février 2021, le message est clair : au-delà des déclarations, il y a urgence. La communauté internationale doit prendre ses responsabilités et agir de manière forte, immédiate et rapide.
[1] Dans cet article, il sera fait référence à la Birmanie, mais le pays répond aussi à la dénomination de « Myanmar », une appellation officielle imposée par la junte en 1989. Les deux appellations coexistent.
[2] Assistance Association for Political Prisoners, « Daily Briefing in Relation to the Military Coup », 20 janvier 2023.
[4] Nations unies, « Myanmar junta’s execution of four democracy activists condemned by UN », UN News, 25 juillet 2022.
[5] Nations unies, « Myanmar : Secretive military courts sentence scores of people to death », UN News, 2 décembre 2022.
[6] Assistance Association for Political Prisoners, op cit., 20 janvier 2023.
[7] Nations unies, « Security Council Demands Immediate End to Violence in Myanmar, Urges Restraint, Release of Arbitrarily Detained Prisoners, Adopting Resolution 2669 (2022) », UN Press, 21 décembre 2022.
[8] ASEAN Secretariat, « Chairman's Statement on the ASEAN Leaders' Meeting, ASEAN Secretariat », 24 avril 2021.
[9] Nations unies, « Il faut agir pour mettre fin au carnage au Myanmar : l’appel d’un expert de l’ONU », ONU Info, 22 décembre 2022.
[10] Ibid.