Utilisation excessive de la force par la police : l’ONU critique, la France persiste
Texte par Emilie Schmidt, responsable Programmes et plaidoyer France Sûreté et libertés de l'ACAT-France.
Tous les quatre ans et demi, sous l’égide du Conseil des droits de l’homme, les États se soumettent à l’examen de leurs pairs. Objectif : fournir des recommandations en matière de droits de l’Homme que le pays examiné est libre d’accepter entièrement ou partiellement (puis de mettre en place), ou de « noter », autrement dit les refuser.
Le 1er mai dernier, à Genève, la France se soumettait à son nouvel examen périodique universel (EPU).
En amont, l’ACAT-France avait partagé ses observations pour que les États se saisissent d’une question en particulier : le maintien de l’ordre. Notre rapport est sans appel. Le maintien de l’ordre « à la française » engage un tournant répressif préjudiciable aux droits fondamentaux, à commencer par la liberté de manifester.
La France était alors déjà pointée du doigt pour sa violente gestion des manifestations contre la réforme des retraites. Le maintien de l’ordre « à la française » fera l’objet de 27 recommandations sur les 355 reçues par la France au total.
La réponse officielle de la France tombe en septembre dernier : 19 de ces 27 recommandations sont acceptées et 5 autres le sont « partiellement », l’État les estimant déjà mises en œuvre. Analyses de quelques recommandations phares.
« Envisager des mesures efficaces visant à mieux garantir la liberté de manifester »
Cette recommandation danoise, acceptée par la France, est importante. Car le maintien de l’ordre « à la française » tend vers une logique de plus en plus répressive, alors qu’il devrait rester préventif : éviter les infractions et non punir des personnes.
Mais la tournure de cette recommandation est très diplomatique. Elle laisse de grandes possibilités d’interprétation. « Envisager » de prendre des « mesures efficaces » n’engage qu’assez peu le gouvernement à réviser la doctrine du maintien de l’ordre français. Et pourtant, elle pourrait appeler à des réformes très importantes : interdire les lanceurs de balles de défense (LBD) en manifestation ou ne mobiliser que des agents de police ou de gendarmerie formés au maintien de l’ordre. Ce qui n’est pas le cas.
« Rendre les organes de contrôle pleinement indépendants »
Cette recommandation norvégienne n’a été acceptée que partiellement par la France. Selon elle, un cadre existe déjà pour garantir des enquêtes indépendantes et impartiales en cas de plainte contre la police ou la gendarmerie.
La France assure que toutes mesures pour renforcer ces enquêtes seront prises en considération.
Mais en l’état actuel des choses, si un agent des forces de l’ordre est suspecté d’abus, l’enquête administrative reste confiée à… d’autres agents des forces de l’ordre ! L’impartialité même des organes de contrôle est remise en cause. C’est pourquoi, depuis 2016, l’ACAT-France demande la création d’un organe entièrement indépendant chargé d’enquêter sur les faits commis par les forces de l’ordre. Nous demandons une transparence totale sur les sanctions disciplinaires adoptées à leur encontre. C’est une question de justice et d’égalité !
« Mettre un terme à l’usage excessif de la force »
Les recommandations vénézuélienne et biélorusse allant dans ce sens ont tout simplement été… notées par la France. Dans le langage de l’ONU, cela signifie qu’elles ont été refusées par l’État.
Et pourtant. Armes de guerre, techniques dangereuses, agents non formés… le maintien de l’ordre « à la française » est marqué par un usage excessif de la force.
Des personnes sont aujourd’hui grièvement blessées en manifestation, alors même que la liberté de manifester est un droit essentiel dans une démocratie. Selon le droit international, on ne peut y faire exception qu’en cas de menaces très graves. Des passants, extérieurs aux manifestations, sont également parfois blessés !
Deux policiers de la BRAV-M (brigade de répression de l’action violente motorisée) viennent de comparaitre devant le tribunal de Bobigny pour des violences volontaires commises sur un jeune manifestant contre la réforme des retraites[1].Plus que jamais, ces questions sont d’actualité en France. Ni les agents, ni leur hiérarchie ne se préoccupent de la dignité des personnes. Leur manque d’intérêt pour l’intégrité alimente l’impunité policière.
Le nombre élevé de recommandations acceptées par la France est encourageant, mais prudence. Le gouvernement ne reconnait nulle part que le maintien de l’ordre français a besoin d’une réforme urgente.
La France n’a accepté que les recommandations les plus encourageantes, celles qui l’invitaient à « poursuivre » des politiques pourtant jugées inefficaces par l’ACAT-France.
Les recommandations les plus fortes, pour mettre fin à l’usage excessif de la force, ont simplement été notées. Traduction : pour le gouvernement français, pas question d’imaginer un maintien de l’ordre plus respectueux des droits de l’Homme en supprimant les armes de guerre et autres techniques dangereuses.
L’acceptation d’une recommandation engage l’État français à les appliquer au cours des quatre prochaines années (c’est la durée de cycle d’un EPU) ou de mettre tous les moyens en œuvre. Le rôle de la société civile est d’autant plus important qu’elle a le pouvoir de suivre la bonne application de ces recommandations.
Réel poids pour le plaidoyer de l’ACAT-France, il faut maintenant rappeler au gouvernement quelles sont ses obligations diplomatiques, mais également comment aller plus loin en matière de droits de l’Homme. La Journée internationale contre les violences policières est le moment parfait pour rappeler qu’un maintien de l’ordre respectueux des droits fondamentaux est la condition indispensable pour le plein respect de l’État de droit.
Il est nécessaire de dépasser cette prétendue opposition entre droits de l’Homme et maintien de l’ordre, pour que la France redevienne l’exemple qu’elle a autrefois été en matière de gestion des foules.
[1] David Perrotin, « Racisme et violences contre Souleyman : les mille et une excuses de la BRAV-M devant l’IGPN », Mediapart, 6 mars 2024.